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On ne lit pas tout seul !

Aujourd’hui  s’est tenue, à l’auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris, une journée de la petite enfance à l’initiative de l’association LIRE (Le Livre pour l’Insertion et le Refus de l’Exclusion) à Paris. Cette journée fait suite à la parution de l’ouvrage On ne lit pas tout seul ! Lectures et petite enfance, Eres, 2011.

Ce moment a été l’occasion, pour moi, de réaffirmer mon engagement à faire de la petite enfance la première marche du système éducatif avec comme volontés la prévention de l’échec scolaire et la réduction des inégalités sociales.

Le livre, parce qu’il est un outil passerelle, a toute sa place dans cette ambition politique. Il mobilise ensemble parents, enfants et professionnels. Il permet de créer du lien social, d’accompagner un soutien parental et de mettre en synergie des acteurs –auteurs, graphistes, éditeurs, professionnels de la petite enfance, de la culture- autour de projets pédagogiques innovants. La force politique du livre tient justement parce que nous ne lisons pas seuls !

Voici mon intervention.

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux d’intervenir à cette journée de la petite enfance initiée par la parution de l’ouvrage, On ne lit pas tout seul !, issu des actes du colloque de LIRE à Paris qui s’est tenu l’année dernière et dont j’avais pu assurer l’ouverture. Je souhaite, à cet égard, remercier chaleureusement Sylvie Rayna pour cette seconde invitation.

C’est, pour moi, également un très grand plaisir que cette journée se déroule à l’auditorium de l’Hôtel de Ville. Et, c’est aussi un honneur que le travail accompli par l’association LIRE à Paris, depuis plus d’une dizaine d’années, dans la sensibilisation à la lecture –aux lectures devrais-je plutôt dire- et dans la lutte contre l’illettrisme et l’exclusion soit salué et mis en valeur par la Ville de Paris. La mise en œuvre du programme « Livre et Petite enfance » et sa réussite tiennent pour beaucoup à ce partenariat.

Longtemps, associer lectures et petite enfance n’allait pas de soi. Les discours médicaux et psychologiques, très prégnants dans les lieux d’accueil de la petite enfance -du fait de leur histoire-, ont longtemps cristallisé cette posture laissant sur les bas-côtés la fonction éducative et rendant ainsi difficilement pensable le lien petite enfance et lectures. Et même si, depuis le décret du 1er août 2000, la mission éducative des services d’accueil de la petite enfance est inscrite dans les textes, la lecture, parce qu’elle est souvent représentée, dans notre culture, comme un moment solitaire et intérieur, a pu souvent apparaître, de fait, incongrue à proposer aux très jeunes enfants et difficilement mobilisable dans l’élaboration d’un projet éducatif.

LIRE à Paris a fortement contribué à renverser cette appréhension. C’est parce qu’on ne lit pas tout seul, qu’elle mobilise ensemble enfants, parents et professionnels, que la lecture prend tout son sens à être proposée aux très jeunes enfants. Dès la naissance, le tout-petit est un lecteur ; un lecteur exigeant posant un regard d’une grande acuité sur le monde qui l’entoure. Lire pour le tout-petit, c’est se laisser bercer par une voix, être attiré par un graphisme, un format, babiller, trépigner, toucher, porter à la bouche, dévorer littéralement l’objet livre, travailler la motricité. Pour un adulte, lire à un tout-petit, c’est accepter de s’ouvrir à d’autres formes de lectures, c’est accompagner les appropriations actives de l’enfant, c’est partir de lui ou d’elle, de ses besoins, de ses compétences relationnelles, de ses compétences cognitives, de l’impliquer dans la disposition des livres, dans le choix de la lecture, de respecter son rythme de lecture, ses pauses, ses répétitions. Le pacte de lecture se confond, alors, avec un pacte de confiance entre l’adulte et l’enfant. Les enfants gardent l’initiative de leurs lectures, construisent leur estime de soi, leur imaginaire, leur premier bagage culturel. Il est fascinant de remarquer, lorsque j’interroge des éducatrices de jeunes enfants, que certains ouvrages, tel Va-t’en grand monstre vert d’Elisabeth Emberley, sont plébiscités par les enfants, marquant ainsi une génération, posant la première pierre de leur forteresse culturelle.

« La lecture est un rapport de collaboration » affirme Sophie Van der Linden. La multidimensionnalité de cette collaboration en fait un axe majeur de la politique de la petite enfance. Par la constitution du fond bibliographique, c’est aussi un soutien à des auteurs, à des illustrateurs, à des éditeurs audacieux, à un choix pédagogique qui s’opère. Je pense, ici, à l’expérience, menée dans le 18ème arrondissement de Paris, autour de la diffusion d’une littérature non sexiste et qui met en réseau bibliothèques, écoles maternelles, associations du territoire. Parler de lecture à des tout-petits n’est pas acte aisé car beaucoup d’adultes –notamment les parents d’origine étrangère, de classes populaires- ne se sentent pas légitimes à lire et à proposer des lectures à leurs enfants. La présence des lecteurs et lectrices de LIRE à Paris dans tous les relais d’assistantes maternelles et leurs antennes de Paris -37 lieux d’interventions-, dans les centres de PMI, les centres sociaux, les centres d’hébergement mère/enfant est, à ce titre, fondamental pour permettre d’atténuer, autant que possible, cette auto-censure. « On ne lit pas tout seul ! » concerne aussi les parents. Et, c’est une réflexion sur le soutien parental, la construction du lien social qui peut être entreprise. L’expérience,  qui va vous être exposée par Frédéric Boyer, Séverine Gaudré et Christelle Haussin, menée au sein de centres sociaux –Relais 59 dans le 12ème arrondissement, espace Cambrai et espace Riquet dans le 19ème arrondissement- en collaboration avec des halte-garderies est, à cet égard, magistrale. Il s’agit, par l’intermédiaire du livre pour enfant, d’accompagner des femmes et des hommes dans l’apprentissage de la langue française en les invitant à lire dans les structures d’accueil de la petite enfance des quartiers. Enfin, l’élaboration d’un projet éducatif autour de la lecture, parce qu’il se déploie dans une transversalité, permet aux professionnels de la petite enfance –que ce soit les assistantes maternelles, les auxiliaires de puériculture, les éducateurs et éducatrices de jeunes enfants- de confronter leurs pratiques, de développer leurs observations, d’affiner leurs appréhensions de la socialisation du très jeune enfant –un cahier d’observations est tenu pour chaque enfant lors de chaque lecture-, d’être dans une dynamique d’apprentissage et de réflexivité, de tisser des liens plus fins avec les parents et, peut-être, d’implanter plus durablement la pratique de la lecture. Ce sont autant de compétences valorisantes et valorisables dans des trajectoires professionnelles.

A travers cette réflexion autour de ce que peut signifier « on ne lit pas tout seul ! », il semble possible d’admettre qu’un travail sur la lecture au sein des services d’accueil de la petite enfance permet de reposer politiquement certaines questions. En ce sens, James Heckman, prix Nobel d’économie, a montré combien l’investissement dans des programmes destinés aux tout-petits avaient des effets bénéfiques à long terme : une réduction de la pauvreté, une diminution des problèmes sociaux, une prévention à l’échec scolaire et une réduction des inégalités sociales. Michèle Tabarot, dans son rapport publié en 2008, mettait, d’ailleurs, en lumière que les Etats possédant les meilleurs systèmes éducatifs – les pays d’Europe du Nord et le Japon- sont ceux qui ont pensé ensemble éducation et accueil des jeunes enfants et qui ont, en conséquence, énormément investi dans la petite enfance. Or, de nombreuses études sociologiques, notamment celle de Christian Baudelot, Marie Cartier et de Christine Détrez, dans Et pourtant, ils lisent…, ont montré combien la lecture –les manières de lire, les genres littéraires lus- peut être discriminante dans une trajectoire scolaire. En tant qu’adjoint en charge de la petite enfance, je souhaite et travaille à faire de la petite enfance la première marche du système éducatif. La lecture proposée aux tout-petits y a toute sa place.

Je sais que cette journée, du fait de retours d’expériences, d’échanges sur ces actions en matière de lecture, apportera une pierre à cet édifice. Je tiens à remercier tous ceux, professionnels de la ville, chercheur-e-s, qui oeuvrent en ce sens et souhaite une journée enrichissante et fructueuse où nos imaginaires et nos capacités d’innovation se trouveront exaltés.

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