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Sortir du nucléaire
La France peut-elle se passer de son énergie nucléaire ? Peut-elle de surcroît respecter ses engagements internationaux en termes d’émission de gaz à effet de serre ? Faudra-t-il alors renoncer au confort acquis dans nos société énergivores ? C’est à ces questions que tente de répondre le rapport "Un scénario vert pour la France", élaboré pour les Verts par l’INESTENE et l’association DETENTE en mai 1999.
Un scénario vert pour la France
Le rapport "Un scénario vert pour la France" cherche à faire des propositions sur les choix énergétiques de la France, sur la base d’une sortie du nucléaire à l’horizon 2020, d’une maîtrise de la demande et d’une large diversification des sources d’énergie. Il a été élaboré sur la base d’une étude de l’INESTENE en mai 1999 et mis en forme par l’association DETENTE qui en assure la diffusion.
Il a été établi avec trois exigences :
Sortir du nucléaire en tenant compte d’une durée de vie des centrales de vingt-cinq ans. Cela correspond à la fermeture de la plus ancienne de nos centrales en fonctionnement (Fessenheim) en 2003 et des centrales les plus récentes (Civaux et Chooz) en 2025. Le nucléaire est essentiellement producteur d’électricité, ce qui impose de prévoir une réponse spécifique à la demande pour cette forme particulière d’énergie.
Limiter les émissions de dioxyde de carbone liées à la consommation d’énergie de façon à tenir compte des engagements internationaux de la France. Rappelons que l’engagement pris à Kyoto consiste à retrouver en moyenne sur la période 2008-2012 un niveau d’émission égal à celui de l’année 1990, soit 400 millions de tonnes de gaz carbonique (CO2).
Adopter un cadre de référence non contestable sur les hypothèses de croissance économique et d’évolution des besoins de la société. Pour la croissance économique et l’évolution de la demande, les éléments de référence ont été puisés dans le travail publié début 1998 par l’atelier A2 du Commissariat Général au Plan. Nous avons plus précisément retenu le scénario S1, dit scénario "laisser faire", avec une croissance de 2,3% en moyenne.
Les calculs ont été effectués en ne faisant intervenir que des technologies arrivées à leur maturité industrielle, considérant que des technologies même très prometteuses comme les piles à combustibles n’auraient pas encore conquis de parts de marché significatives d’ici 2020.
Réponse à la demande d’électricité
Un ménage français, hors chauffage électrique, consomme en moyenne 4000 kWh par an. La consommation d’énergie électrique brute en 1999, en tenant compte des 30 TWh de pertes dues au transport et à la distribution, était de 431 TWh (1TWh correspond à 1 milliard de kWh). Selon le scénario S1 du Commissariat Général au Plan, la demande augmenterait en moyenne annuelle de 1,4%, soit une consommation évaluée à 578 TWh en 2020 (1). En partant de cette hypothèse, nos propositions vont principalement dans trois directions :
La maîtrise de la demande, en réduisant la consommation d’énergie par la recherche d’une plus grande efficacité énergétique là où l’usage de l’électricité est indispensable, et par des économies d’énergie là où l’usage de l’électricité n’est pas indispensable (chauffage en particulier). Rubriques 1, 2, 3 et 10.
La production directe d’électricité à partir des sources d’énergie renouvelable (éoliennes, biomasse). Rubriques 4, 5, 6.
Le recours aux énergies fossiles (le gaz surtout) à travers les technologies actuellement les plus performantes. Rubriques 7, 8, 9.
Il faut noter que les énergies renouvelables interviennent à la fois pour la production directe d’électricité, mais également pour se substituer aux usages thermiques de l’électricité (géothermie, chauffe-eau solaires, biogaz).
Résumé des propositions du scénario (en TWh/an)
Année | 2020 | 2025 | 2030 |
Réduction des exportations | 65 | 65 | 65 |
Economies sur les usages thermiques | 129 | 130 | 130 |
Economies sur les usages spécifiques | 86 | 91 | 100 |
Production hydroélectrique | 80 | 80 | 80 |
Production éolienne | 47 | 67 | 76 |
Bois-électricité | 14 | 15 | 18 |
Cogénération industrie | 40 | 42 | 48 |
Cogénération habitat | 30 | 33 | 36 |
Turbines à gaz | 89 | 88 | 64 |
Matériaux et recyclage | 5 | 5 | 5 |
1. Exportations
Nous exportons actuellement 65,3 Twh par an (soit 13,5% de notre production totale) vers l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre (25% chacun), la Suisse (13%), la Belgique, l’Espagne et Andorre pour le reste. Nous proposons de ne pas renouveler les contrats parvenus à échéance, afin de réduire d’autant la production nécessaire.
2. Economies d’électricité pour la production de chaleur
Il faut à la fois rationaliser l’utilisation de l’énergie et minimiser les pertes des systèmes qui transforment l’énergie primaire pour la satisfaction d’un besoin donné (ici chauffage et eau chaude sanitaire). Cela passe par :
une réglementation plus stricte dans l’immobilier neuf et le tertiaire (gain d’entre 20 et 30%), l’isolation, la rationalisation de l’usage de l’eau chaude sanitaire (ECS) (7TWh/an), la réhabilitation dans l’immobilier ancien (8 TWh/an dans le tertiaire et 10,4 TWh dans l’habitat).
un programme solaire thermique (ECS et planchers solaires directs), concernant 25% des logements construits d’ici 2020, sans compter la production d’ECS dans l’ancien (2 millions de logements). Ce qui correspond à 5,4 TWh.
l’application des concepts de l’architecture bioclimatique pour réduire la demande (orientation, isolation etc...).
la substitution du gaz à l’électricité pour le chauffage.
En fin de scénario, il reste 640 000 maisons chauffées à l’électricité, contre 2 millions aujourd’hui (économie d’électricité de 24 TWh). Soit au total 129 TWh d’économies en 2020.
3. Economies pour les usages spécifiques de l’électricité
Ce sont les économies d’électricité dans les secteurs où elle est irremplaçable (hors chauffage donc). Ces économies sont immédiatement réalisables par des gains d’efficacité énergétique dont le potentiel est actuellement considérable : 58% dans le résidentiel, 42% dans le tertiaire, 25% dans l’industrie. Les mesures à envisager comprennent l’amélioration de l’offre d’équipement, l’introduction de nouvelles normes, ainsi que des interventions sur les mécanismes du marché (notion de centrale virtuelle). La production des toits photovoltaïques est incluse ici, car ceux-ci n’entraînent pas de pertes sur le réseau. 680 000 toits solaires sont envisagés en 2020. A noter l’énorme économie de 18 TWh provenant de l’arrêt de l’usine d’enrichissement de l’uranium de Pierrelatte, devenue inutile en fin de scénario. Soit au total 86 TWh économisés en 2020.
4. Production hydroélectrique
Elle représente aujourd’hui 67 TWh. Il n’existe plus en France de site important non équipé. Seule la microhydraulique est encore mobilisable, en optimisant les sites existants, pour atteindre une production de 80 TWh en 2020.
5. Eolien
Nous avons retenu les prévisions du plan Eole 2005 et des scénarios du Commissariat Général au Plan. La production augmente ensuite avec l’apparition des centrales offshore. En 2020, elle atteint 47 TWh, soit les 2/3 de l’hydraulique. A noter que ce secteur est fortement créateur d’emplois décentralisés.
6. Bois
Il s’agit d’une production électrique en cogénération dans des réseaux de chaleur. En fin de période (2020), la production est de 14 TWh, avec des turbines à vapeur.
7. et 8. Cogénération habitat et industrie
Dans une machine thermique ordinaire, une partie seulement de la chaleur est transformable en travail (électricité), le reste étant rejeté. La cogénération consiste à récupérer cette chaleur. Le rendement de 33% d’une machine à vapeur passe alors à 60%. A court terme, le gisement identifié représente entre 40 et 52 TWh dans l’industrie. A l’horizon 2020, la cogénération dans l’habitat chauffé au gaz représente un gisement de 30 TWh. On voit actuellement apparaître des unités de production de quelques kW, qui seront peut-être rapidement remplacées par des piles à combustible.
9. Utilisation de turbines à gaz à cycle combiné
Avec cette technologie, une première turbine transforme la chaleur de combustion du gaz en électricité et rejette de la chaleur, qui est ensuite utilisée dans un second étage (turbine à vapeur). Le rendement atteint 57%. Cela représente une production d’électricité de 89 TWh en 2020.
9 bis. Utilisation de turbines à gaz dérivées de l’aéronautique.
Ce sont des turbines dont le rendement atteint 45%. Elles fonctionnent uniquement pour les pointes à proximité des lieux de consommation, pour éviter les pertes en ligne. Leur production totalisée sur une année est faible.
10. Matériaux et recyclage.
Cela correspond à des économies d’énergie réalisables dans l’industrie par l’abandon de certains procédés de fabrication et la limitation des besoins de production par le recyclage (aluminium par exemple). D’où une économie de 4,7 TWh en 2020.
Les transports
Notre scénario continue à faire appel aux énergies fossiles, en particulier au gaz, pour permettre une sortie du nucléaire et donner une réponse convenable à la demande d’électricité. Pour répondre à la seconde exigence de respecter les engagements pris à Kyoto et maintenir nos émissions de gaz à effet de serre (GES) au même niveau qu’en 1990, il faut donc mener simultanément une politique volontariste dans le secteur des transports. Ce secteur est actuellement le principal émetteur de GES, et celui qui connaît la plus forte croissance depuis dix ans. En 2000, la part relative des activités dans les émissions de gaz carbonique était de 19% pour le secteur de la production et de la transformation de l’énergie, et de 41% pour les transports (2). A eux seuls, les transports routiers sont responsables de 80% de la consommation d’énergie des transports, et de plus de 90% des émissions de GES. Ses émissions ont augmenté de 15,7% entre 1990 et 2000, tandis qu’elles diminuaient de 5% dans l’industrie au cours de la même période. C’est donc dans ce secteur que nous avons tenté de chiffrer les économies possibles.
Dans son scénario S1 "laisser faire", le Commissariat Général au Plan prévoit, pour les transports, une augmentation de 80% des consommations d’énergie entre 1989 et 2020, avec une augmentation de 81% des émissions de gaz carbonique. Dans son scénario S3 "socio-environnemental", qui suppose une plus forte maîtrise des dépenses énergétiques, la consommation augmente de 36% et les émissions de 27% seulement. Cette comparaison donne une idée de l’ordre de grandeur des niveaux d’émission que nous pourrions éviter en appliquant une politique d’optimisation des transports. Pour notre part, nous avons repris les propositions du scénario S3 en renforçant simplement les mesures affectant les véhicules particuliers et utilitaires. Nous aboutissons ainsi à une réduction des émissions de gaz carbonique de 36% par rapport au scénario "laisser faire" et de 9% par rapport au scénario "socio-environnemental".
Afin de réduire efficacement les émissions de polluants dans les transports, il existe plusieurs niveaux d’intervention qu’il faut considérer simultanément :
1) Une intervention sur les consommations unitaires des véhicules.
Les constructeurs savent aujourd’hui réaliser des véhicules particuliers consommant 3 litres et moins aux 100 km. Sont également nécessaires la réduction des puissances nominales et des vitesses maximales, l’optimisation des rendements pour les vitesses moyennes, le changement du type de carburation et l’adaptation à des carburants moins polluants. Notre scénario suppose donc une mise en place accélérée des normes prévues par la directive européenne sur les consommations avec, pour base, une émission moyenne sur les véhicules neufs de 120g de gaz carbonique par kilomètre. Dans notre hypothèse, les options d’efficacité de consommation sur les moteurs essence et diesels des véhicules particuliers sont introduites sur le marché dès 2005 et occupent tout le marché en 2020. Cela correspond à une amélioration annuelle de l’efficacité énergétique de 1,6 et 1,4% respectivement pour les deux types de moteurs. Pour les véhicules utilitaires est prévue une amélioration de 20% des rendements, avec un remplacement complet du parc existant par les nouveaux modèles d’ici 2010. En 2020, le remplacement des carburants pétroliers par du GPL (Gaz de Pétrole Liquéfié) et du GNV (Gaz Naturel pour Véhicules) est supposé réalisé à 75% pour les moteurs diesel, et à 60% pour les moteurs essence.
2) Les choix d’aménagement du territoire.
Ils visent à limiter les besoins en déplacements automobiles en facilitant l’accès aux services et aux activités (développement des services et commerces de proximité, recours aux transports en commun). Leurs conséquences sont potentiellement importantes, mais ne seront sensibles qu’à long terme. Pour un véhicule particulier, une réduction de 10% de la distance parcourue génère une réduction de 2% des émissions globales de CO2. Pour le Scénario Vert, nous avons retenu un taux d’accroissement annuel de la distance parcourue en voiture de -0.59%, contre -0.37% dans le scénario S3. Cela souligne l’importance que prendra le développement des transports collectifs.
3) Les interventions de politique nationale.
Il s’agit d’abord des interventions réglementaires et fiscales. La fiscalité routière en France représente environ 30 milliards d’euros, dont 24 milliards pour la TIPP (Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers) qui représente à elle seule 10% des rentrées fiscales annuelles de l’Etat. Une tarification de l’offre publique de stationnement pourrait conduire à des recettes importantes dans les agglomérations, dissuader les entreprises en ville d’inciter leurs employés à venir en voiture particulière, et rendre plus équitable l’utilisation de l’espace public (places de stationnement) et de ses équipements.
Il est clair que ces interventions réglementaires et fiscales peuvent influencer fortement le comportement des usagers des transports, mais quelques difficultés peuvent se poser. D’abord, le respect des normes réglementaires suppose l’existence d’un contrôle efficace pour en garantir l’application. Ensuite, pour ne pas se transformer en mesures antisociales qui réserveraient l’usage de la route aux plus riches, il convient de les accompagner de compensations sur les modes de transport alternatifs.
Les autres interventions politiques à considérer sont le développement des transports collectifs déjà évoqués, et le besoin d’un comparaison systématique des investissements d’infrastructures et d’aménagement par mode lors des décisions d’investissement.
Conclusion
Dans le cadre du Scénario Vert, les usines et les bureaux continuent de fonctionner, les Français qui le souhaitent peuvent rouler en automobile, les maisons sont chauffées de manière confortable en hiver, le tout sans industrie nucléaire et avec une réelle amélioration de notre indépendance énergétique. La diminution de la consommation d’énergie contribue à réduire la fracture sociale, les charges étant réduites pour les plus défavorisés. Le développement des énergies renouvelables et la réhabilitation de l’habitat permettent de nombreuses créations d’emplois décentralisés, qui viendront en particulier prendre le relais des aides européennes dans les zones rurales. Enfin, ce Scénario Vert émet nettement moins de gaz à effet de serre que le scénario "laisser faire" du Plan, et cela sans entrer dans un projet plus ambitieux qui comprendrait la généralisation du recyclage des matières premières, la limitation des flux de transports des marchandises et des passagers et leur transfert vers des modes moins polluants et moins envahissants.
Sa mise en place suppose des investissements importants et des mesures réglementaires et fiscales (3), à répartir sur la période de vingt ans au moins qui nous sépare de la sortie définitive du nucléaire. Elle suppose enfin et surtout une volonté politique forte, qui fait aujourd’hui cruellement défaut et qu’il nous appartient d’éveiller.
NOTES
(1) En 2020, toutes les centrales nucléaires ne seraient pas encore arrêtées. Il resterait une production électrique d’origine nucléaire résiduelle de 45 TWh.
(2) Source : Emissions de l’air en France. CITEPA. Août 2001. Dans ces pourcentages, on comptabilise négativement le CO2 absorbé par l’agriculture, la sylviculture et le changement d’occupation des sols.
(3) Le Scénario Vert détaille l’ensemble des politiques et mesures à prendre pour atteindre les objectifs annoncés.
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