LA RÉUNION FACE AUX CRISES

Toute crise est révélatrice d’un certain état de la société et notamment de ses carences institutionnelles. On se souvient par exemple des dysfonctionnements et des carences des autorités sanitaires locales lors de la crise du chikungunya en 2005-2006 à La Réunion. Mais alors qu’une crise devrait être l’occasion pour les acteurs d’apprendre et d’en tirer des leçons, les autorités publiques et les élus réunionnais semblent toujours aussi désemparés et en sont réduits e plus souvent à des réactions plus émotionnelles que rationnelles.

Notre île est en train de vivre deux crises quasi concomitantes, depuis un mois, le risque requin et aujourd’hui, l’incendie du Maïdo qui survient un an après celui de 2010. Deux crises qui se transforment en psychodrames tant les acteurs semblent dépassés par les événements et incapables de répondre aux attentes et exigences légitimes de l’opinion.

Il y a un mois, le Préfet décrétait une absurde campagne d’élimination des requins qui finira pitoyablement par la mort d’un seul animal, aujourd’hui, le même Préfet, sans pouvoir exhiber une véritable preuve, évoque un mystérieux groupe de pyromanes. Et de même qu’il y a un mois, le Conseil Régional s’emballait pour les fameux shark shields, de même aujourd’hui, les élus de tous bords réclament la venue d’un Dash 8 supposé avoir le pouvoir magique d’éteindre l’incendie.

Incapables de comprendre la nature du problème auquel ils sont confrontés, les « décideurs » se réfugient dans l’espoir d’une solution purement « technique ». L’affaire des requins par exemple, n’a conduit aucun élu, aucun responsable à s’interroger sur la pertinence des choix opérés depuis des années en matière de développements économique et touristique tous orientés vers les activités en milieu marin. Le risque requin est un risque naturel sur une île de l’Océan Indien mais c’est un risque socialisé dans une société qui privilégie à outrance sur l’une de ses côtes un développement inconsidéré de l’urbanisation, du bétonnage et la multiplication des activités nautiques. L’artificialisation du littoral, l’érosion des côtes, les rejets en mer de tous nos effluents, l’annexion du milieu marin pour les loisirs constituent le fond du problème mais si on se focalise de manière irrationnelle sur la « responsabilité « des requins, on ne fait qu’éviter de poser les véritables questions.

De la même façon, le risque incendie ne saurait être conjuré par la venue d’un bombardier d’eau par ailleurs inadapté au milieu réunionnais ( apparemment beaucoup ont oublié qu’en 2010, le Dash était cloué au sol dès que les nuages arrivaient en fin de matinée). Pour une fois, le Préfet a raison, c’est une affaire d’hommes sur le terrain. Mais c’est d’abord une affaire d’hommes et de moyens en termes de prévention de l’incendie car à tout le moins, il faut se donner les moyens de le circonscrire le plus rapidement possible. En effet, la croissance démographique a comme conséquence inévitable une augmentation de la fréquentation du milieu forestier par les usagers et donc une augmentation du risque incendie qu’il soit involontaire ou non. Le 22 octobre 2010, lors d’une conférence de presse in situ, Christophe Pomez et moi, nous avions préconisé un certain nombre de solutions après l’incendie de 2010. Notamment la création d’une force permanente de protection civile de la zone Océan Indien qui aurait vocation à pouvoir intervenir dans les pays de la zone avec lesquels nous aurions bâti un partenariat. Il aura fallu un nouvel incendie pour que cette idée soit reprise aujourd’hui par des élus. Nous préconisions aussi de bâtir un véritable outil de gestion des risques assumant l’articulation et la coordination de tous les éléments de la « chaîne du risque » : connaissance, prévention, protection, prévision, alerte, gestion de crise, assurances, implication des acteurs non institutionnels dans les prises de décisions, notamment les associations environnementales dont l’expertise est précieuse et le recours aux « bonnes pratiques » créatrices d’emplois. Mais rien n’a été fait et aujourd’hui, les réunionnais ont le même sentiment d’impuissance qu’en 2010 devant la catastrophe écologique qui se profile.

TEREOS INTERNACIONAL À LA RÉUNION


La nouvelle passe quasiment inaperçue. Mais Tereos vient de vendre sa filiale Soleo. C’est ici. Pour mémoire, rappelons qu’en 2010, sans qu’il y ait eu à La Réunion beaucoup de réactions, le groupe agro-industriel Tereos a fait main basse sur plus de 70 % des terres arables de La Réunion en achetant en 2010 le groupe Quartier Français qui avait acquis Soleo en 2009. Désormais Tereos contrôle 100 % de la filière canne. En réalité cette dernière n’est pas détenue par la maison mère, Tereos, mais par sa filiale brésilienne, Tereos Internacional, dédiée à la production des agrocarburants. L’achat de Quartier Français correspond à une stratégie de développement de la société brésilienne qui n’a cependant que faire de certains actifs acquis par le groupe réunionnais et qui ne rentrent pas dans ces objectifs. Ainsi, Mascarin et « Quartier Français spiritueux » vont être vendus. Aujourd’hui c’est donc l’entreprise portoise Soléo qui est vendue à un groupe métropolitain, Terralis, qui investit dans les énergies alternatives, l’éolien et le photovoltaïque. On voit les conséquences de la main mise de Tereos Internacional sur le secteur agro industriel réunionnais, hier fer de lance de l’économie locale : ce sont des pans entiers de l’activité économique qui passent entre les mains de sociétés non réunionnaises. Il faut aussi savoir que Tereos Internacional est l’un des principaux acteurs de l’accaparement des terres notamment en Afrique. Le groupe a ainsi obtenu une concession de 100 000 hectares au Mozambique, pour une durée de 150 ans, dont 15 000 ha sont déjà utilisés pour la culture de la canne à sucre en vue de la production d’agro carburants. En octobre 2010, Tereos Internacional signait un accord avec Petrobras, le géant pétrolier brésilien, un contrat de plus de 900 millions d’euros portant sur la fourniture d’éthanol. Tereos Internacional, Bolloré ou Dreyfus et de grands fonds d’investissements internationaux, sont les acteurs majeurs de ce type d’agriculture purement spéculative puisque l’objectif est de spéculer sur le marché des agro carburants et des matières premières agricoles dont toutes les études de la Banque Mondiale, montrent qu’il s’agira d’un marché extrêmement rentable dans les années à venir. Alors, évidemment la vente d’une petite société portoise (trois salariés) peut sembler anecdotique, elle est néanmoins une parfaite illustration du démantèlement du secteur industriel réunionnais dans le cadre de la mondialisation, elle illustre aussi la fin d’un capitalisme patrimonial et l’incapacité pour les acteurs économiques locaux à garder la main sur les grandes orientations du développement de La Réunion.