Ne souriez pas vous serez filmés !

La majorité municipale, UMP, de monsieur Yves Révillon a décidé d’installer, dans Bois-Colombes,  36 caméras de vidéo-surveillance. Et cela pour un coût de lancement de 1 791 500  euros auquel il faudra ajouter chaque année un demi million d’euros pour les frais de fonctionnement !

Les taxes locales sont déjà très lourdes pour les contribuables de Bois-Colombes et les contreparties auxquelles on pourrait s’attendre sont proportionnellement très faibles :

- Le manque d’ambition en ce qui concerne le développement soutenable (durable)

- des bâtiments scolaires insatisfaisants (des locaux trop exigüs pour accueillir convenablement les activités scolaires et péri-scolaires, des bâtiments mal isolés et mal chauffés …)

- L’augmentation brutale du coût du périscolaire pour les familles et le nombre important d’emplois précaires parmi les équipes d’animation

- Le manque criant de places en crèches (qui va être de plus en plus critique étant donné les projets immobiliers en cours)

-La pauvreté des offres de loisirs et de culture pour petits et grands. On peut entre autres regretter, malgré l’investissement de près de 5 millions d’euros, que la nouvelle salle Jean-Renoir ne comptera toujours qu’une seule salle. Les programmations cinématographiques, théâtrales et musicales seront toujours aussi peu nombreuses (peau de chagrin = rétrécissement ce qui ne semble pas être le cas).

1 791 500  d’euros ! Un demi million d’euros tous les ans ! Avons-nous les moyens d’assumer une telle charge ? Certes, non !

La vidéo-surveillance a-t-elle fait la preuve de son efficacité ?

La Grande Bretagne a une plus longue expérience et plus de recul que la France dans ce domaine. Le « Guardian » a rendu publique, le 6 mai 2008, un rapport élaboré par le VIIDO[1] (Visual Images Identification and Detection Office) un service de  Scotland Yard.

On y apprend, entre autres, que la vidéo-surveillance n’a permis d’élucider que 3% des vols commis dans l’espace publique londonien et cela malgré un équipement de surveillance très extensif.

« Urban Eye », un rapport européen, relève aussi l’inefficacité du dispositif pour prévenir ou résoudre des délits. Les caméras ne font que déplacer le lieu d’action des délinquants qui ont vite fait de repérer les endroits filmés. De plus, vu l’énorme quantité d’images à traiter, il est quasiment impossible pour les opérateurs de tout visionner.

L’effet de dissuasion et de résolution de la vidéo-surveillance est donc discutable mais, au-delà de la question des résultats, ce dispositif soulève aussi des problèmes d’ordre éthique et social.

En effet, jusqu’à la fin des années 90,  la vidéo-surveillance était  l’affaire quasi exclusive des espaces privés ( banques, domiciles de particuliers,  petites, moyennes et grandes surfaces…).

Depuis l’attentat du 11 septembre 2001, le dogme ultra-sécuritaire s’est propagé dans nombre de pays  et la France n’a pas été épargnée. Le souci d’assurer une sécurité publique passant dès lors avant tout, en particulier avant les libertés publiques et individuelles fondamentales. L’exemple le plus représentatif  étant américain avec le camp militaire de Guantanamo où des personnes sont  emprisonnées en dehors de tout cadre juridique.

Le choc du 11 septembre a assuré un grand changement de mentalité : on fait plus facilement accepter certaines choses au nom de la sécurité. Evoluer dans un espace publique tout en étant filmé est malheureusement devenu une chose beaucoup moins choquante.

En même temps, chaque année dans les établissements scolaires, au nom du respect du droit  à  l’image, les enseignants doivent demander l’autorisation des parents d’élèves pour pouvoir filmer ou photographier les enfants. La majorité municipale s’est-elle donné la peine de demander l’avis des bois-colombiennes et bois-colombiens  pour être filmés dans leur quotidien  ? Que nenni !!!

Ce qui peut paraître anodin est tout de même révélateur de cette conversion ;  depuis une dizaine d’année, de nombreux programmes de télé-réalité sont basés sur le principe de filmer en permanence des candidats enfermés dans un espace clos. Il fut une époque où on se serait insurgé contre cette culture « Big-brother » alors qu’aujourd’hui ces émissions populaires sont presque devenues une norme.

Alors qu’à la fin de l’année 1999, seules 60 communes étaient dotées de la vidéo-surveillance ; ce nombre était passé à 600 en 2006.

Traiter le sentiment d’insécurité augmente-t-il la sécurité ?

Ce changement « culturel » pose un gros problème social ; selon Eric Heilmann3 nous avons été gagnés, en France, par une doctrine  anglo-saxonne, la prévention situationnelle.

Le but recherché est de réduire le sentiment d’insécurité. Cette doctrine, telle qu’elle est interprétée en France, abandonne donc les mesures sociales préventives destinées à empêcher un individu de tomber dans la délinquance. Il est dès lors question d’aménager adéquatement l’espace publique (mais aussi privé) pour empêcher le passage à l’acte des délinquants. En somme, tout est fait pour compliquer la tâche du délinquant ; on ne se soucie plus d’empêcher l’émergence du délinquant, mais seulement de ses actes.

La suppression de  la prévention sociale donne alors  lieu au plus terrible des gaspillages : le gaspillage humain.

On laisse glisser  des jeunes vers la délinquance ; des jeunes qui activement accompagnés pourraient évoluer et s’inclure positivement dans la société.

C’est un gaspillage humain à double niveau : pour la personne concernée, mais aussi pour la collectivité qui se prive ainsi d’une part non négligeable de forces vives.

Il ne faut pas perdre cela de vue pour couper court au cliché de l’écolo doux rêveur, en dehors des réalités et condescendant. Nous avons tous beaucoup à perdre en suivant cette voie qu’on veut nous faire prendre.

Notre ville n’est pas exempte de problèmes de délinquance, mais leur ampleur est faible et la fréquence des délits commis sur  notre territoire communal est bien inférieure à celle rencontrée dans d’autres communes. Ils peuvent être efficacement pris en charge grâce à un véritable travail de présence humaine sur le terrain. En agissant, avant tout préventivement et en sachant être répressif à bon escient lorsque les limites légales sont franchies.

La vidéo-surveillance s’inscrit totalement dans la logique de la prévention situationnelle : réduire le sentiment d’insécurité. Mais, le sentiment d’insécurité n’est pas équivalent à la sécurité. On se situe ici davantage dans le registre du ressenti, de l’apparence, du semblant, bref dans tout ce qui n’est pas rationnel.

La seule présence de caméras sert  à rassurer le quidam, mais c’est une assurance illusoire. On fait croire que tout est fait pour assurer une tranquillité publique alors que l’essentiel est négligé.

On ne le répétera jamais assez  «  mieux vaut prévenir que guérir »car si l’on ne prévient pas, on aura beaucoup plus à souffrir de notre inactivité, plus à guérir et plus à perdre !


[1] http://www.guardian.co.uk/uk/2008/may/06/ukcrime1

2    http://www.urbaneye.net/results/ue_wp15.pdf

3  enseignant chercheur  en sciences de l’information et de la communication à l’université Louis Pasteur de Strasbourg http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2595

Non, il n’est pas vrai qu’on travaille moins en France qu’ailleurs

Avant d’affirmer qu’il faut « travailler plus », Manuel Valls a-t-il pris quelques minutes pour essayer de comprendre la révolution qui bouleverse le monde du travail depuis quelques années, en France comme chez nos voisins ?

L’Allemagne a connu, en 2009, une récession deux fois plus grave que la France. A la demande des syndicats, Angela Merkel a décidé de développer le « KurzArbeit » (travail à temps réduit) : plutôt que de licencier 20 % des effectifs, une entreprise en difficulté baisse son temps de travail de 20 % et garde tous les salariés. Elle baisse les salaires mais l’Etat maintient les revenus.

Quand le gouvernement français favorisait les heures supplémentaires, les Allemands réduisaient leur temps de travail. Grâce au KurzArbeit, malgré une récession deux fois plus forte, le chômage a augmenté cinq fois moins vite en Allemagne qu’en France. Si nous avions agi comme nos amis allemands, nous aurions 1 million de chômeurs en moins !

Aux Etats-Unis, le Livre blanc publié par la Maison Blanche, en février 2007, indiquait que la durée moyenne réelle était tombée à 33,7 heures (sans compter les chômeurs). La durée moyenne dans l’industrie était de 40,7 heures mais il y avait, par ailleurs, tellement de petits boulots que la durée moyenne, tous secteurs confondus, était tombée à 33,7 heures. Avant même que commence la récession.

En quarante ans, la durée moyenne du travail aux Etats-Unis est passée de 38,6 à 33,7 heures. Ce chiffre devrait faire réfléchir Manuel Valls et Jean-François Copé : dans un pays qui bénéficiait d’une croissance forte – grâce à une forte immigration et à un niveau d’endettement colossal – et où n’existe quasiment aucune règle en matière de temps de travail : la durée moyenne est tombée à 33,7 heures !

Qu’en est-il en France ? Quelle est, chez nous, la durée moyenne du travail ? Si l’on en croit le Portrait social 2010 de l’Insee, « en 2009, la durée hebdomadaire moyenne du travail déclarée par les personnes ayant un emploi est de 37,8 heures en France métropolitaine : 41 heures pour les personnes à temps complet et 22,8 heures pour celles à temps partiel ». Dans beaucoup d’entreprises, si l’on tient compte des heures supplémentaires, déclarées ou non, la durée réelle d’un temps plein est plus proche aujourd’hui des 40 heures que des 35.

En 1978, quand la commission Giraudet rendait ses conclusions à Raymond Barre, elle affirmait qu’il fallait baisser le temps de travail de 10 %. En 1995, la commission Boissonnat (créée par Edouard Balladur) affirmait qu’il fallait « une baisse de 20 % à 25 % du temps de travail » mais, quinze ans plus tard, la durée moyenne d’un temps plein reste supérieure à 39 heures et un socialiste nous dit qu’il faut travailler plus !

Entre 1900 et 1970, alors que la productivité augmentait assez lentement, on a divisé par deux le temps de travail : on est passé de sept à six jours, puis de six à cinq jours, tout en donnant cinq semaines de congés payés. Mais, depuis 1970, alors que la productivité a fait des pas de géant, nous sommes incapables de faire évoluer vraiment notre contrat social. Certes, dans les entreprises de plus de 20 salariés, on a gagné quelques jours de RTT mais, fondamentalement, la norme d’emploi reste la semaine de cinq jours et le temps plein reste proche de 39 heures. Quel non-sens !

Au lieu de profiter à tous, les gains de productivité colossaux débouchent sur un partage du travail non dit : d’un côté, ceux qui travaillent plein pot et, de l’autre, plus de 3 millions de chômeurs et de RMIstes qui travaillent zéro heure par semaine. Et au milieu, la foule de tous ceux et celles – les femmes sont les plus touchées – qui galèrent avec des emplois à 20 heures par semaine…

Ce « partage du travail » sauvage, réalisé par le marché, est très favorable aux actionnaires : quand il y a autant de chômeurs, quel salarié peut exiger une augmentation de salaire ? Dans beaucoup d’entreprises, la négociation sur les salaires se résume à un « si tu n’es pas content, tu peux aller voir ailleurs ». Dans tous les pays, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a nettement baissé depuis trente ans.

Pour les 15 pays les plus riches de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la part des salaires représentait 67 % du PIB à la fin des années 1970. Elle ne représente plus que 57 %. En trente ans, ce sont quelque 35 000 milliards d’euros qui auraient dû aller aux salariés et qui sont allés vers les actionnaires.

On comprend pourquoi l’aile néolibérale du Medef et de la droite voulaient tellement en finir avec les 35 heures : la forme actuelle du partage du travail et des revenus leur convient très bien.

Nous autres, écologistes, pensons que le débat sur le temps de travail mérite mieux que les caricatures que nous entendons depuis quelques années. Nous n’avons jamais pensé que la RTT était la baguette magique, la solution miracle. Il faut en même temps investir dans une vraie politique du logement, investir dans une vraie politique d’économie d’énergie, développer les énergies renouvelables, construire un service public de la petite enfance, rénover notre fiscalité, investir dans la recherche, développer les PME…

La RTT n’est qu’un levier parmi d’autres mais c’est sans doute le plus puissant ; en 1997, une étude du ministère du travail montrait qu’un mouvement général vers la semaine de quatre jours à la carte, financé essentiellement par une activation des fonds Unedic (l’idée vient de la CFDT), permettrait de créer 1,6 million d’emplois. Quelle autre réforme peut créer plus de 1 million d’emplois ?

Dans le texte sur l’égalité réelle qu’il a adopté en décembre, le Parti socialiste ne dit pas un mot sur la question du temps de travail. L’une des rares mesures annoncées en matière de lutte contre le chômage, ce sont les « dispositifs nouvelle chance pour les 150 000 jeunes sortant du système scolaire sans qualification ». Cent cinquante mille, c’est bien, mais il y a plus de 4 millions de chômeurs et tous ne sont pas jeunes. Tous ne sont pas sans qualification.

La réduction du temps de travail est aujourd’hui le levier le plus puissant dont nous disposons pour sortir du chômage. C’est aussi un révélateur de notre vision de la société : le peuple est-il une masse d’individus un peu stupides auxquels on s’adresse avec des slogans ou le peuple est-il un ensemble d’hommes et de femmes libres, de citoyens capables d’intelligence, capables, ensemble, de comprendre le monde et de choisir en conscience l’avenir qu’ils veulent construire ?

Le seul intérêt des déclarations de Manuel Valls est d’avoir rouvert le débat sur le temps de travail. Alors débattons.

Pierre Larrouturou, économiste et pilote des Etats généraux de l’emploi organisés par Europe Ecologie – Les Verts Article paru dans l’édition du 07.01.11