« L’Agriculture Ecologiquement Performante » : un écran de fumée

« Nous devons prendre le chemin d’une agriculture ancrée à son territoire, centrée sur les productions de qualité, respectueuse de l’environnement, plus rémunératrice pour les paysans. Ce que vous appelez « Agriculture Ecologiquement Performante » est animée par une vision libérale, à l’origine des crises actuelles. »

Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’intervention de René Louail, pour EELV, sur « l’Agriculture Ecologiquement Performante ».

Le nouveau directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo, d’origine brésilienne, pays dont nous dépendons fortement pour l’alimentation de notre bétail, a annoncé clairement sa volonté de relancer le cycle de Doha et avec lui le processus de libéralisation des marchés agricoles. L’avancée des accords bilatéraux entre les Etats-Unis et l’Union Européenne ira dans le même sens. Dans les deux cas, les régions d’élevages comme la notre seront les premières impactées.

Ainsi, hier comme aujourd’hui nous sommes confrontés à deux choix : le premier, c’est celui d’entrer corps et âme dans la grande compétition internationale, de produire beaucoup et à pas cher pour pénétrer les marchés étrangers, de se soumettre aux aléas de la finance internationale, de niveler les droits sociaux et les actions de protection de l’environnement devenus autant d’entraves à la compétitivité. Ce choix, c’est celui de Doux, Sanders, GAD, Cooperl, Marine Harvest et j’en passe.

L’autre chemin que nous pouvons prendre, c’est celui d’une agriculture ancrée à son territoire, centrée sur les productions de qualité, plus respectueuses de l’environnement, et tournée vers le marché intérieur européen, plus rémunérateur pour les paysans. Une agriculture qui s’inscrit dans une démarche de souveraineté alimentaire des peuples, seul moyen de lutter contre la faim et la malnutrition

Aux vues des crises qui secouent depuis bien longtemps l’agro-alimentaire breton notre préférence se porte clairement sur le second choix.

Parce que l’agriculture est l’affaire de tous, cet autre modèle agricole sera défini et mis en œuvre avec l’ensemble de la société, des producteurs jusqu’au consommateurs. C’est ce qu’à permis la démarche de concertation large, entreprise en amont du vote de la Nouvelle Alliance par le Conseil Régional de Bretagne et qui s’inspirait de celle initiée fin 2010 par le commissaire européen Dacian Ciolos sur la réforme de la Politique Agricole Commune. L’objectif était clair et louable : renouveler le contrat entre agriculture et société, s’éloigner du modèle des années 60 pour répondre aux défis, alimentaires, climatiques, énergétiques et sociaux d’aujourd’hui.

La Nouvelle Alliance pour l’agriculture en Bretagne prévoyait ainsi, je cite : «  de rédiger un document de référence techniquement adapté à notre région de polyculture élevage » et « de conditionner à partir de 2012 les aides de la Région à l’engagement dans le cahier des charges régional des Agricultures Ecologiquement Performante (AEP) ou dans un système herbager ou biologique ».

Après son vote en juin 2011, nous avons réitéré à plusieurs reprises notre impatience à la rédaction de ce cahier des charges. Qu’elle n’a pas été notre surprise, lorsque vous avez, M. Le Vice-Président à l’Agriculture, décidé de passer d’un travail de concertation large, à un travail en catimini, où au mieux, trois membres de la majorité régionale ont suivi les travaux des deux cabinets d’études choisis pour définir l’AEP. Sans débats, ni concertations, nous avons été mis devant le fait accompli, tout comme certains partenaires agricoles et associatifs. Le résultat est là, vous avec réussi un challenge que peu étaient parvenus à accomplir jusqu’ici : celui d’être incompris de tous.

Au sein du Conseil Economique, Social et Environnemental Régional, reconnu par tous pour sa pertinence et la qualité de ses travaux et où le consensus est souvent la règle, rarement autant d’abstentions ont eu lieu lorsqu’il a s’agit de voter vos propositions pour une « Agriculture Ecologiquement Performante ». A noter que le vote à confirmé la ligne de fracture des dits majoritaires au sein de la profession

Au sein de notre Assemblée, lors de la Commission « économie » qui s’est tenue en amont de cette session, bon nombre d’entre nous attendaient, au regard des évènements, une ouverture sur ce bordereau et les amendements que notre groupe a déposé. Il n’en fut rien !

Le mécontentement est légitime, alors que le sujet n’a jamais été autant d’actualité . Le document qui nous est proposé aujourd’hui ne peut faire illusion. Comment voulez-vous faire croire que votre action s’inscrit dans une transformation de l’agriculture quand il est refusé que soit inscrit des objectifs, sous forme d’indicateurs précis par exemple, permettant de définir ce que serait la nouvelle agriculture bretonne. La vision libérale du document qui nous est présenté aujourd’hui répond uniquement aux exigences de certaines organisations professionnelles, ces mêmes organisations qui portent une grande part de responsabilité dans la situation économique actuelle.

Comment voulez-vous faire croire que l’Agriculture Ecologiquement Performante respecte les engagements pris lors du vote sur la Nouvelle Alliance de construire un nouveau contrat entre agriculture et société lorsqu’il est prévu que seuls les acteurs professionnels siègent au sein des comités AEP et que deux sièges au sein de ces comités sont réservés à la Chambre d’Agriculture. C’est cette co-gestion qui étouffe dans l’oeuf toutes possibilités de changement pour l’agriculture bretonne. Benoît Dedieu, chercheur à l’Inra qui intervenait la 14 devant le Creseb rappelait que, je cite : « si on remet les mêmes organisations professionnelles, on autorenforce les verrous socio-techniques ». A l’inverse il eût été préférable de nommer des personnes dont les qualités d’expertises sont incontestables.

De la même façon, et alors que l’on sait le lien fort entre agriculture et qualité des eaux en Bretagne et afin de faire le lien avec les territoires, pourquoi n’est il pas envisagé que les comités de bassins versants et les EPCI puissent, à certains moments, être les espaces appropriés à l’accompagnement de l’évolution des modes de productions?

Enfin, il est prévu de n’accompagner que les changements de pratiques agricoles sans que soit engagée la mutation des entreprises qui interviennent en amont et en aval des productions bretonnes. Cette situation résulte de la dichotomie entre BDI et les services de la Région et culpabilise une fois de plus les paysans. D’ailleurs, à aucun moment ce bordereau n’aborde la question sociale en agriculture quand les chiffres de la M.S.A estime que chaque semaine dix agriculteurs se suicident en France et que la Bretagne est l’une des régions les plus touchées par ces drames. A aucun moment, ce bordereau n’aborde la question de l’installation en agriculture, alors que 40% des fermes vont devoir changer de dirigeants dans les dix ans à venir et que 1 500 exploitants mettent la clé sous la porte chaque année en Bretagne.

Refuser dans ce contexte d’inscrire la politique régionale dans une perspective globale de société, continuer d’entretenir ceux qui délocalisent l’agriculture bretonne, c’est soit ne pas connaître la réalité du terrain, soit un manque de sincérité.

Avec l’AEP, la Région annonce qu’elle va accompagner dix groupes d’agriculteurs chaque année pendant trois ans et l’on prétend que cela suffira à changer la donne. Il aurait été plus efficace de faire avec l’existant et de renforcer le soutien aux associations qui travaillent depuis plus de 30 ans sur la cohérence de concepts innovants et porteurs d’avenir en agriculture.

M. Le Président, nous avons approuvé vos propos tenus lors des rencontres des territoires de Saint-Brieuc le 8 juin dernier. Oui, nous arrivons « à la fin d’un cycle de développement ». Tous les agriculteurs, toutes les entreprises agroalimentaires ne subissent pas de la même manière la sévérité de la crise que nous traversons. Les modèles très grands consommateurs d’intrants, les modèles qui n’ont pas intégré de politique de filière, en amont et en aval de la production, sont les plus vulnérables. Les politiques publiques doivent les accompagner à prendre, dans la durée, une nouvelle orientation.

Mais, il semblerait, M. Le Président, qu’il y ait au sein de votre exécutif des lectures différentes de la situation et des analyses divergentes. Sur un sujet aussi sensible, la proximité de certaines grandes entreprises agroalimentaire peut être un obstacle à tout changement.

Le document pour « une Agriculture Ecologiquement Performante » ne respecte pas les engagements de la Nouvelle Alliance. Élaborer sans concertation, il ne respecte pas les objectifs qui avaient été fixés. En l’absence d’indicateurs précis, il laisse la porte ouverte à une distribution des subventions régionales au petit bonheur la chance et l’on sait que le flou en politique ne profite qu’aux puissants. Dans ce contexte, nous demandons qu’un nouveau cadre de travail, véritablement collectif soit mis en place. Nous demandons que l’Agriculture dite « Ecologiquement Performante » soit rendu compatible avec la loi d’avenir agricole. M. Le Président, nous demandons le retrait de ce bordereau pour que cette mauvaise copie puisse être corrigée.

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