Langues et cultures de Bretagne. Pourquoi ce qui existe ailleurs, ne l’est pas ici ?

Parler breton ou gallo c’est évidemment bien plus qu’un moyen de communication ou qu’un patrimoine immatériel. C’est indéniablement une façon unique de comprendre et voir le monde. Or, lors de cette session, était demandé un vote sur une convention majeure qui norme les engagements entre l’Etat et la région sur les langues de Bretagne et notamment, sur le développement de leur usage dans la vie quotidienne. Selon Yannik Bigouin, cette convention est particulièrement décevante. Elle montre par les faits que la France est un pays particulier qui à un problème avec ses langues régionales, avec les peuples qui la compose et ça ne date pas d’aujourd’hui.

 

Yannik Bigouin

Yannik Bigouin

 

Cher-e-s collègues,
Kenvroiz kêr,

Avant d’intervenir sur la convention que vous nous proposez je souhaite ici rendre hommage à deux chantres des langues de Bretagne récemment disparus : Albert Poulain, infatigable collecteur et transmetteur de la culture de haute-Bretagne dans toute sa diversité rurale et Herri Ar Borgn, animateur à radio Bro Gwened et auteur en langue bretonne. Tandis que nous fêtons les 40 ans de la Bogue d’or à Redon, à l’autre bout de la Bretagne, à Plouguerneau, les 50 ans de théâtre en langue bretonne avec Strollad ar Vro Bagan, et bientôt les 10 ans de Diskouarn qui s’occupe du développement du breton dans les crèches – des structures qui soit dit en passant non aucune aide de l’État – on appréhende bien les vies données, le travail parcouru depuis les années 60, d’une société entière, pour redonner toute dignité à la langue bretonne et au gallo. Parler breton ou gallo c’est évidemment bien plus qu’un moyen de communication ou qu’un patrimoine immatériel. C’est indéniablement une façon unique de comprendre et voir le monde. Comment vous exprimer l’admiration que j’ai pour ces générations d’hommes et de femmes qui ne recherchent pas à ce que leurs actions cotées en bourse leur rapportent le plus, ni même ne recherchent pas à être tête de liste pour les élections régionales mais donnent sans compter de manière désintéressée pour notre bien commun : les langues de Bretagne. Ce sont, eux, nos meilleurs ministres, pacifistes et non violents.

Et voilà qu’arrive cette convention majeure qui norme les engagements entre l’Etat et la région sur les langues de Bretagne. Il y a 2 ans, j’avais écris à notre cher recteur d’académie car il refusait de mettre la devise républicaine en bilingue sur les lycées de Bretagne prétextant, sans rire, la mise à mal de l’unité française. Aux échos que j’ai eu des dernières négociations avec lui pour ce texte, il n’a pas beaucoup évolué sur ce sujet.

Que dire de cette convention ? Qu’elle est particulièrement décevante. Elle montre par les faits que la France est un pays particulier qui à un problème avec ses langues régionales, avec les peuples qui la compose et ça ne date pas d’aujourd’hui.  Le pilonnage cette semaine par la majorité sénatoriale d’un débat parlementaire possible autour de la ratification de la charte régionale des langues régionales et minoritaires en est la malheureuse illustration. Facile n’est ce pas,  ensuite, de dire que c’est la faute des autres de pas honorer la promesse de M Hollande de ratifier la charte ?
 

De notre côté, personne ne peut décrier l’honnêteté et la ténacité de notre vice-Présidente aux langues de Bretagne sur ces sujets. Elle fait partie de ces militantes tenaces que je mets au même rang que les défenseurs des langues de Bretagne félicités dans mon début d’intervention.

Mais à un moment, cher-e-s collègues, même avec la meilleure volonté du monde du côté du conseil régional du Bretagne, ça suffit ! Trawalc’h !  

Nous avons normalement de l’appui à Paris avec au moins 3 ministres bretons dont deux élus régionaux qui ont répété à l’envi, dans cet hémicycle, leur attachement au développement de nos langues. Résultat : nous ne bénéficierons aujourd’hui que de cette maigre convention qui ne nous attribue encore que des « brujunigoù », des miettes améliorées à la va-vite par amendements du président.

Ecoutez bien les termes du « champ lexical » de ce texte – comme ont dit au bac de français- : sera encouragée, attention soutenue, l’Etat veillera. Mieux encore : il est possible d’envisager… et puis quoi encore ? C’est celui du flou, de l’approximation, du conditionnel… bref, on comprend facilement que cette convention ne sera jamais respectée, du moins du côté de l’Etat, faute de volonté.
A partir de cette production bien légère en intentions fermes, nos interrogations portent d’abord sur les « comment ? »  Comment concrétiser ces voeux qui n’ont ni échéanciers, ni objectifs et plans d’actions précis ?

Dans le contenu, quelques exemples de données inacceptables :
• 1.1.2 L’enseignement bilingue français-breton
– « L’Etat s’engage sur la durée de la convention de tout mettre en œuvre pour ouvrir des nouveaux sites bilingues (…) en fonction des réalités territoriales, selon le pouvoir d’appréciation porté par le recteur ». En somme la région propose et l’Etat, par la voix du recteur, dispose. Trawalc’h !

– L’objectif chiffré d’enfants scolarisés en classes bilingues pour 2020 reste le même que nous avions pour 2010 ! Nous stagnons pour le moment à 16 000 enfants et même à 20 000 cela ne représentera que 3% des élèves de l’académie du 1er et 2nd degré. Trawalc’h !

– On y évoque l’enseignement à l’UBO et à Rennes 2 mais rien pour l’Université de Bretagne Sud ou l’Université de Nantes, comment se fait t-il que deux universités bretonnes ne proposent pas de cursus en langue bretonne comme les autres ? Trawalc’h

Voilà ce qu’il eut fallu dans ce texte pour relever le défi qui est le nôtre : un document volontariste, ambitieux, qui fait rêver avec une meilleure négociation avec l’Etat et … :
• Comme en Corse, nous souhaitons la généralisation de l’initiation à la langue bretonne tout au long du primaire en proposant à toutes les écoles d’atteindre, d’ici 2020, 3 heures par semaine.
• Comme en Alsace il nous faut un plan programmé et structuré avec une carte scolaire prévisionnelle d’ouvertures de classes pour l’enseignement bilingue. A titre de comparaison, la convention-cadre signée en mars 2015 par l’Etat et la région Alsace et les deux départements alsaciens pose, par exemple, comme objectif de passer de 13 à 25 % d’élèves dans ce cursus à l’entrée en classe de 6ème à l’horizon 2030. La procédure d’ouverture des sites bilingues a été mise en place et publiée par l’académie de Strasbourg, avec un calendrier connu de tous les acteurs. A la rentrée 2015, 63 classes bilingues de plus dans le 1er degré ont été comptabilisées ainsi que 8 nouveaux collèges assurant la continuité de la filière bilingue.

Enfin, comme cela à été le cas en Finistère avec le conseil général, nous souhaitons que la région organise, en pleine responsabilité, une campagne «Quêteurs de mémoire – Klaskerien ha treizherien soñjoù » à l’échelle de la Bretagne. Cette opération originale menée en Finistère durant quelques années a rencontré un franc succès. L’enjeu est de taille ! Nous arrivons aux dernières générations de brittophones de naissance. Nous pourrions financer des rencontres régulières entre jeunes scolarisés en bilingue ou à Diwan et brittophones de naissance. Pour l’avoir organisé il y a 10 ans, je peux vous dire que les effets étaient très bénéfiques : socialement, pour l’enrichissement de la langue mais aussi tout simplement pour faire tomber les murs des idées préconçus entre « sachants » et apprenants.

Pourquoi ce qui est possible ailleurs, ne l’est pas chez nous ?

Attention enfin à la parité de niveau dans les 2 langues dans les classes bilingues.  Il faut que les élèves de la filière bilingue publique soient aussi capables en breton qu’en français et renforcer l’exigence d’un enseignement de qualité, tout autant en breton qu’en français. Il faut donc que les enseignants puissent dépasser cette parité horaire en faveur de la langue bretonne., l’exposition à la langue n’étant pas suffisante en dehors de l’école.

Il y-aurait tant à dire et à faire encore : sur le bilinguisme des panneaux routiers, une campagne de communication prénatale comme cela a eu lieu en Finistère, l’accompagnement des familles qui font le choix du bilinguisme, la formation des fonctionnaires, le recrutement des enseignants, la place de la langue dans les annonces du TER que je réclame depuis près de 6 ans…. Mais vous serez nombreux j’imagine à la manifestation pour les langues Samedi 24 Octobre à Carhaix pour montrer que vous êtes tous des fervents défenseurs du breton ou du gallo. Comme souvent avant chaque élection…

Pour terminer, écoutons ce que le grand poète groisillion, Yann-Ber Calloc’h nous dit dans une lettre à Achille Collin du 12 Octobre 1915, il y-a un siècle, oui un siècle ! :  « aussitôt la paix signée, que l’on fasse circuler en Bretagne une sorte de pétition au gouvernement, demandant l’enseignement de la langue et de l’histoire de la Bretagne dans toutes les écoles secondaires et supérieures de toute la Bretagne. Les signataires de cette pétition ? Tout le monde, mais avant tout les soldats, ceux qui auront versés leur sang pour la France, officiers, sous-officiers, simples soldats, marins ». Une voix surgit des tranchées de la Meuse  ou l’auteur de War en deulin  a laissé sa vie. L’entendons nous cet appel ?

Il n’y a toujours pas d’histoire de Bretagne enseignée, langue bretonne et gallèse sont sous perfusion, des sénateurs traitent en ce moment nos langues avec mépris en ce moment et nous avons cette timide convention mal négociée, mal fagotée,  avec un recteur d’Académie qui se moque franchement de nous. Faudra t’il une guerre des tranchées avec l’Etat pour modifier le rapport de force ?

Voilà cher-e-s collègues !

Là où ils sont, Yann-Ber Calloc’h, Albert Poulain, Herri Ar Borgn et tant d’autres peuvent se dire qu’ils n’ont certes pas travaillé pour rien car de nouvelles générations prennent le relais du plaisir à transmettre les langues et cultures populaires mais nous croyons sincèrement que ce document n’est pas à la hauteur de leurs combats ni des enjeux pour faire vivre les langues de Bretagne.

Pour la première fois sur cette politique, nous voterons donc contre. Contre son manque d’ambition général freiné par un Etat complètement à l’Ouest sur ces sujets et non pas contre le startijenn et l’enthousiasme et la bonne foi que met notre vice-présidente dans son mandat depuis le début.

Trawalc’h ! 

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