La Bretagne unie pour prendre en main son avenir

« Le débat de la décentralisation est en fait le débat de la modernisation de la société française. Nous voulons une réforme ambitieuse car elle est un atout économique et social contre les carcans nationaux, parce qu’elle est aussi l’outil indispensable de la protection de l’environnement. »

Retrouvez, ci-dessous, l’intégralité de l’intervention de Guy Hascoët pour EELV lors de la session du Conseil régional de mars 2013 consacrée à la décentralisation.

Depuis le premier acte de la décentralisation posée par le ministre Gaston Deffere, toujours, le processus de renforcement de l’action des territoires a été un progrès. Rappelons pour ne citer qu’un exemple, la belle réussite du transfert des trains aux Régions. Même si beaucoup reste à faire en la matière, personne aujourd’hui n’oserai revenir sur cette réforme qui a fait la preuve de son efficacité, et pourtant, il y a quinze ans elle était jugée risquée.

Cette réussite a une explication : la Région est le territoire pertinent pour mettre en œuvre efficacement un tel service. Ainsi, si nombre des réponses aux grands enjeux économiques, sociaux et bien sur environnementaux, se trouvent dans le renforcement des institutions internationales et européennes, une autre part essentielle se joue bien au plan local, sur nos territoires.

En effet, personne ne pense aujourd’hui que l’État, ou même l’Europe, sont les mieux à même de déployer les énergies renouvelables en Bretagne, personne n’imagine que c’est l’État, seul, qui pourra organiser la réhabilitation des logements, qui développera les transports écologiques pour les déplacements du quotidien, qui pourra, dans les territoires, multiplier les fermes en agriculture biologique, qui pourra accompagner au plus près les petites et moyennes entreprises dans leur développement…

Dans tous ces domaines les collectivités locales, et particulièrement les Régions, ont montré leur efficacité. Et il suffit de regarder nos voisins européens, tous fédéralistes, pour juger de la pertinence d’une organisation décentralisée. Tous bords politiques confondus, nous n’avons cesser de vanter le modèle économique allemand, plus résistant à la crise grâce à un tissu de PME accompagné directement par les Lander.

Ainsi, si en tant qu’écologistes, nous refusons le centralisme et défendons une France fédérale, c’est à dire organisée autour de Régions et territoires dotés de véritables pouvoirs de décisions et moyens d’action autonomes, cette vision, plus que par principe, nous la défendons par pragmatisme. La décentralisation n’est pas pour nous un but en soi, elle est le moyen pour rendre efficace l’action publique, pour rapprocher la démocratie du citoyen, assurer le développement de l’emploi et la protection de l’environnement.

Et c’est d’ailleurs ce qu’affirmait déjà, dès 1992, la déclaration de Rio dont le principe n°22 précise que « […]les collectivités locales ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l’environnement et le développement du fait de leurs connaissances du milieu […]. Les Etats devraient reconnaître leur identité, leur culture et leurs intérêts, leur accorder tout l’appui nécessaire et leur permettre de participer efficacement à la réalisation d’un développement durable. ». Tout est dit.

Vingt ans se sont écoulés depuis et nous avons aujourd’hui l’opportunité d’agir pour mettre la France au diapason de l’Europe, ne la gâchons pas.

Nous connaissons les obstacles pour y parvenir. La démocratie héritée de 1802, celle des « élites de la nation » issues des grands corps, qui pensent avoir vocation à diriger le pays, quand l’ensemble des représentations seraient là pour les aider à faire accepter leurs choix, doit céder la place à une variété de situations, laissant réellement la possibilité aux collectivités de prendre la tête des innovations sociales ou économiques, de libérer la créativité en s’appuyant sur la diversité des territoires et de leurs histoires. Ceci suppose un espace de droit et une dialectique juridique entre le niveau national et les régions.

Faire évoluer une telle situation suppose de créer un nouveau cadre d’organisation de la République. Accepter un tel débat, c’est prendre le risque de la démocratie, de la diversité des courants de pensée et de trouver des consensus forts, des compromis qui redonnent de l’horizon et mettent en mouvement le corps social.

L’espace régional peut permettre cela, à condition d’accepter l’idée que tout ne sera pas contrôlé depuis Paris. Le débat de la décentralisation est en fait le débat de la modernisation de la société française. L’acte 3 doit être envisagé comme le cadre nouveau qui créera les conditions du mouvement face à l’inertie, de l’autorisation face à l’empêchement, du droit positif vis-à-vis des abus de position, ou de pouvoir.

Nous voulons libérer l’énergie des territoires et c’est pourquoi nous souhaitons que les Régions qui déciderait de prendre l’initiative sur quelques grandes priorités puissent disposer des mécanismes fiscaux qui leur assurent ce droit à l’initiative. Il faut aussi que l’articulation des normes ne permettent plus à l’État de casser ou déstructurer les secteurs d’innovation, sauf à devoir contester en droit le libre exercice de la collectivité dans le cadre de ses prérogatives et ses compétences.

Dans le cas contraire, les budgets territoriaux seront consacrées à réparer des lycées mal entretenus, demain des universités mal entretenues, à remplacer des convois de trains au bord de la retraite, bref à rester le supplétif de l’État quand il n’a pas su gérer son patrimoine. Et toutes les initiatives des territoires pourront être décapitées du jour au lendemain si d’aventure un gouvernement central qui, ne pouvant pas supprimer les collectivités locales, décide simplement de leur ôter leurs moyens et leur autonomie.

Quand vous demandez aux acteurs, économiques et sociaux, ce dont ils ont le plus besoin, la réponse est limpide : de visibilité, de stabilité et de constance dans les choix et les orientations. Or dans ce pays, l’Etat passe son temps à défaire ce qui a été fait par les dirigeants précédents. Les énergies renouvelables en sont un parfait exemple : un jour on soutient les filières, et deux ans après on les décapite ! Ainsi, dans bien des domaines les élites françaises centrales sont passées depuis vingt à côté des évolutions nécessaires, des adaptations souhaitables. Elles ont campé sur leurs certitudes ou leurs dogmes, qu’elles ont su imposer à la nation. Ces doutes, ces inconstances, ces abus, empêchent notre tissu social et économique d’exprimer sa richesse et sa créativité. Cet état de fait est la cause de notre retard industriel dans toutes les filières nouvelles, racine de notre déclin industriel.

La décentralisation nous la voulons donc ambitieuse car elle est un atout économique et social contre les carcans nationaux, parce qu’elle est aussi l’outil de la protection de l’environnement. Nous voulons une réforme qui s’appuie sur un droit différencié pour faire place à la diversité des acteurs et des solutions ; qui ouvre de nouvelles compétences aux Régions ; qui dote les schémas régionaux d’un caractère prescriptif pour organiser les compétences entre territoires et limiter les doublons ; qui dote les Régions d’un pouvoir normatif d’adaptation des lois nationales à la spécificité de leurs territoires ; qui assouplisse le droit à l’expérimentation.

Ces revendications, pour l’essentiel, sont inscrites dans l’avis régional que nous avons à voter aujourd’hui, fruit d’un travail collectif auquel nous avons participé activement.

Sans doute, vu la spécificité bretonne en la matière, la question de l’avenir des pays aurait elle pu être affirmée plus fortement tout comme notre volonté d’un lien plus direct entre les régions et l’Europe. Certainement, devrons nous encore travailler à des demandes spécifiques pour une gestion régionale de la mer et de la zone côtière ou encore des fonds de la politique agricole commune. A n’en pas douter nous divergeons sur la manière d’organiser la démocratie.Le bipartisme, comme le centralisme nous étouffe et pour notre part nous ne pouvons accepter le maintien d’un modèle ou les assemblées sont immuables dans leurs grands équilibres, dans lesquelles 50% des suffrages débouchent sur 95 % des postes à responsabilité. Comment exigez une décentralisation ambitieuse et dans le même temps conserver une assemblée régionale dont le fonctionnement ressemble en grand, à celui d’un conseil municipal, dans laquelle l’exécutif dispose de l’essentiel du pouvoir. Que dire aussi des intercommunalités qui, lorsque 80% des décisions locales leur incomberont, ne seront toujours pas élues au suffrage universel.

De la même manière conférence territoriale de l’action publique imaginez par la réforme, exclut de fait toutes les sensibilités qui ne dirigent pas de grande collectivité, assurant le monopole de la représentation à deux formations politiques. Nous trouverions démocratique que chaque groupe présent dans cette assemblée ait de fait, droit à un siège à minima dans cette instance.

Vous plaidez pour une démocratie contenue, contrôlée, quand nous voudrions une démocratie ouverte et assumée comme telle.

Mais au delà de ces remarques, globalement, sur la vision de la décentralisation nous pouvons acter ici un consensus breton.

Quel dommage dès lors que nous ne retrouvions cette même volonté décentralisatrice au sein des institutions parisiennes, car il est immense le décalage entre l’avis de notre Région sur ce que devrait être l’acte 3 de la décentralisation et l’avant projet de loi qui sera présenté prochainement. En l’état actuel, en aucun cas il ne lèvera les blocages de la République française qui depuis plus de vingt ans sont, pour nous, la véritable cause de notre déclin ou de notre absence de modernisation. C’est pourquoi nous voterons d’autant plus les revendications bretonnes pour un véritable acte de la décentralisation afin de peser sur les débats parlementaires qui vont désormais s’ouvrir. Puisse ce document être adopté largement, de sorte que cela donne l’élan nécessaire pour obtenir des infléchissement significatifs.

 

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