Révision constitutionnelle : explication de vote finale d’Esther Benbassa (22 mars 2016)

La laïcité dans tous ses états (Public Sénat, 12 mars 2016)

Texte n° 395

Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation

– Explication de vote finale –

Mardi 22 mars 2016, 7 minutes

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Monsieur le Garde des Sceaux,

Monsieur le Ministre de l’Intérieur

Monsieur le Président de la commission des lois,

Mes ChèrEs collègues,

« Je voudrais d’abord exprimer toute la solidarité et les sentiments fraternels du groupe écologiste aux victimes de Bruxelles, à leurs familles, à leurs proches et à tout le peuple belge.

Nous savons la sidération et la douleur qui sont les leurs aujourd’hui.

Mais je voudrais aussi dire ma stupéfaction face à la récupération politique de ces tragiques événements à laquelle nous assistons depuis ce matin par quelques-uns de nos amis députés socialistes, accusant par voie de tweets la droite sénatoriale d’irresponsabilité au motif qu’elle ne votera pas conforme la révision constitutionnelle.

Parce que nous sommes encore traumatisés par la tragédie de novembre et savons ce que vivent les Belges aujourd’hui, un peu d’humilité et de décence n’aurait pas été de trop.

Comme annoncé lors de la discussion générale, le groupe écologiste votera contre cette révision constitutionnelle.

La capture, à Molenbeek, de Salah Abdeslam, dernier membre présumé en vie du commando des attentats du 13 novembre, par la police belge, en collaboration avec les services français, démontre une fois de plus que ce n’est pas l’inflation législative qui résoudra le problème complexe de la menace terroriste. La coordination et sa coopération européennes en matière de renseignements et de police se révèlent en revanche vitales pour une lutte antiterroriste plus efficace.

Ni les événements récents, ni le fond, ni la forme des débats de la semaine dernière n’ont infléchi notre position sur cette constitutionnalisation.

Sur la forme, d’abord, puisque vous avez annoncé d’emblée, M. le Premier Ministre, que la proposition du Sénat ne serait jamais adoptée par une majorité de députés. Il aurait donc fallu, pour ne pas vous déplaire, que les sénateurs, dans leur pluralité d’opinions, taisent leurs convictions et votent conforme ce projet de loi.

Quand certains ont osé émettre des réserves, pointer les abus auxquels pouvait donner lieu la mise en place de l’état d’urgence, vous renvoyer parfois à vos contradictions, Messieurs les Ministres, votre  réponse a consisté à occulter les faits.

Monsieur le Garde des Sceaux, vous n’avez pas répondu, lors d’une de mes explications de vote, à ma remarque sur les abus. Votre silence est-il un aveu ? Avant la deuxième prorogation de l’état d’urgence, on dénombrait 3189 perquisitions administratives menées de jour et de nuit, certaines avec grand fracas et parfois humiliation de familles. 541 armes saisies, 382 interpellations, 406 assignations à résidence. 200 poursuites judiciaires avaient été engagées, seulement 4 procédures ouvertes effectivement en lien avec le terrorisme. Sans compter des assignations abusives comme celles ayant visé de simples militants écologistes pendant la COP 21.

Peut-être est-il plus urgent de pister de futurs terroristes, de réformer nos services de renseignements, de raccourcir les délais d’intervention de la police, de mieux gérer le numéro vert saturé le 13 novembre ou la communication à l’intérieur de la police, de faire lire à vos collaborateurs les travaux des chercheurs sur le terrorisme, d’investir plus et mieux pour désendoctriner et réinsérer les candidats au djihadisme, d’assainir le terreau dans lequel il se développe.

Monsieur le Garde des Sceaux, c’est vous même qui disiez : « l’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français. L’essentiel de l’intérêt que l’on pouvait attendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous »… avant d’en soutenir une nouvelle prorogation !

À vous écouter, la déchéance de nationalité ne concernera pas que les binationaux, et elle ne vise que les terroristes, et ceux qui contestent une telle mesure n’ont rien compris ou sont des émotifs. Qu’importent les 5 millions de Français binationaux qui se sont sentis stigmatisés ! Et tous ceux, binationaux ou pas, scandalisés qu’un gouvernement de gauche soit à l’initiative d’une telle disposition !

Le jeu des postures a atteint un sommet quand  le Président Bas, avec la bénédiction du gouvernement, recourant à un article du règlement, l’espace d’expression des opposants à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité a été réduit à néant. Plus de 70 sénateurs issus de tous les bancs de cet hémicycle étaient signataires d’amendements de suppression de l’article 2 – qui n’auront été ni défendus ni mis aux voix.

Le 16 novembre, à Versailles, le Président de la République, le gouvernement et les parlementaires étaient unis autour d’un sens aigu de leur responsabilité commune. Cela valait-il blanc-seing pour engager des réformes à visée électoraliste et aggraver une inflation législative n’ayant pas prouvé jusqu’ici sa grande efficacité ?

L’« unité nationale » brandie comme un étendard contre toute forme de contestation de vos mesures n’est plus qu’une utopie mort-née. Décréter la déchéance de nationalité n’unit pas et ne rassure pas. Le débat sur ce sujet s’arrêtera sans doute aujourd’hui. Que l’article 2 soit retiré, ou que le texte entier s’enlise. Il est temps d’admettre cet échec et de passer à l’action. »

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