Intervention en séance lors des explications de vote sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (5 avril 2016)

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Texte n° 492

Projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale

Explication de vote finale

Mardi 5 avril 2016, 7 minutes

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

Monsieur le Président,

Monsieur le Garde des Sceaux,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le Rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

L’élaboration d’une intervention sur un projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme est devenue un véritable exercice de style tant le Parlement a été mobilisé sur ces questions depuis quelques années.

Renforcer l’arsenal législatif quand la menace est forte est légitime et, c’est après les vagues d’attentats qu’a connus la France dans les années 1980 puis en 1995 que les lois anti-terroristes majeures ont été adoptées. Dans les années 2000, d’autres textes ont été votés en réaction au 11 septembre 2001 bien sûr mais aussi aux attentats de Madrid (2004) et de Londres (juillet 2005).

En mars 2012, Mohammed Merah assassinait des militaires et des enfants juifs, et la France découvrait avec horreur cette nouvelle forme de terrorisme djihadiste.

Les attaques se sont multipliées depuis faisant à chaque fois plus de victimes et, à chaque fois, nous avons voté de nouvelles lois.

Cinq lois majeures en quatre ans et des dizaines de dispositions disséminées dans les textes les plus divers que nous avons eu à examiner : renseignement, sécurité dans les transports, procédure pénale etc…

Tout cela dans la précipitation, bien souvent sans bilan précis de l’efficacité de la précédente loi adoptée et, désormais toujours en procédure accélérée qui ne peut permettre un travail législatif réellement satisfaisant.

J’ai porté, sur l’ensemble de ces textes, la voix du groupe écologiste et inlassablement rappelé nos convictions les plus profondes.

La lutte contre le terrorisme djihadiste qui fait tant de victimes, chaque jour, dans le monde est un devoir national.

Mais cette lutte, pour être efficace doit être concertée, coordonnée avec nos voisins européens et envisagée au-delà de l’unique réponse répressive.

Les terribles attaques que nous avons subies en 2015 ont déstabilisé notre société, n’était-ce le but de ces meurtriers fanatisés? Il me semble malheureusement que les débats que nous avons eus par la suite, au Parlement notamment, autour de ces textes qui nous sont soumis en cascade, ont dégradé un peu plus un climat social déjà fortement fragilisé.

Chacun a prôné l’unité, le rassemblement de la Nation et qu’offrons nous à nos concitoyens ? Le triste spectacle de la division et de la posture politicienne.

Quiconque fera un examen de conscience reconnaîtra qu’on ne luttera pas contre le terrorisme à coup de déchéance de nationalité ou de perpétuité « réelle ».

Le groupe écologiste ne votera pas ce texte, pas plus qu’il n’a voté les précédents, même s’il reconnaît que certaines dispositions sont pertinentes.

Ce n’est ni par laxisme, ni par naïveté, mais avec la conviction profonde que nombre des dispositions qu’il contient constituent une atteinte grave à nos libertés et à nos droits fondamentaux.

Nous avons le devoir et la responsabilité de lutter résolument et sans relâche contre le terrorisme mais nous devons le faire sans aucune concession à la protection des valeurs républicaines et démocratiques qui sont les nôtres et dans la défense de nos libertés.

Nous nous sommes opposés à la prorogation de l’état d’urgence il y a quelques semaines, nous ne pouvons donc soutenir un texte qui aboutit à faire entrer certains de ses dispositifs dans le droit commun.

Je voudrais alors utiliser le temps qu’il me reste pour aborder certains points qui me semblent essentiels et qui ont été totalement occultés par les débats stériles et néfastes de ces derniers mois.

Certains s’appliquent à faire de ces terroristes des monstres, des êtres qui n’auraient plus rien de commun avec l’humanité. Il faudrait donc, parce qu’on ne peut les détruire au sens propre du terme, les isoler, les enfermer pour toujours et jeter la clef. Parce qu’ils ne nous ressemblent plus et parce qu’ils ont commis des actes « monstrueux », il est devenu irresponsable de s’interroger sur les causes, de proposer des mesures de prévention et d’éducation. Envisager des programmes de réinsertion est parfois considéré comme une insulte à la mémoire des victimes.

Eh bien mes chèrEs collègues, je crois qu’il s’agit là d’immense erreur et d’une certaine défaite de la pensée qui ne nous protégera contre aucune menace.

Je terminerai en citant le philosophe Frédéric Worms : « il importe avant tout que la transgression radicale de l’ordre social, que constituent les crimes de terrorisme, par la violence aveugle qu’ils sèment, ne tombe pas dans l’oubli. Mais il convient tout autant de réfléchir à une réponse adaptée à cette violence extrême qui met en cause la paix civile et met en danger la société politique. Cette réponse ne saurait consister à prétendre exclure radicalement ceux qui ont radicalement trahi le contrat social. En effet, la maturité d’une société politique se mesure à sa capacité à connaître et surmonter ses divisions intérieures, aussi graves soient-elles ».

 

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