Intervention en séance lors de la discussion générale sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs (18 mai 2015)

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PPL n° 257:

visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs

– Discussion générale –

Mercredi 18 mai 2016

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

L’objet de la proposition de loi du groupe CRC que nous examinons aujourd’hui me tient particulièrement à cœur.

En effet, quelques semaines après mon élection, le 16 novembre 2011, je déposais, au nom du groupe écologiste, une PPL similaire.

Pour mieux comprendre la portée de ce genre de contrôles, je vous invite à lire le rapport de Fabien Jobard et René Levy, deux chercheurs CNRS, dont l’enquête de terrain s’est déployée sur deux sites, l’un à la Gare du Nord et l’autre à la station Châtelet-Les Halles. Ce travail confirme que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence. Les personnes perçues comme « Noires » courent entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlées que les personnes perçues comme « Blanches ». Quant aux personnes perçues comme « Arabes », elles sont sept fois plus susceptibles de l’être. Le style de vêtement porté est un autre facteur déterminant dans le contrôle. En l’occurrence il s’agit de vêtements associés à différentes cultures dites « jeunes ». Si les jeunes forment 10% de la population, ils constituent 47% des personnes contrôlées. Ajoutons que 2/3 des individus habillés « jeune » appartiennent aux minorités dites visibles.

Il est urgent d’agir pour endiguer cette réalité injustifiée et humiliante pour nombre de nos concitoyens.

Pour parvenir à cette fin, il est indispensable d’élaborer un outil qui permette de répertorier les contrôles de police et de déterminer l’identité des parties prenantes ainsi que le motif du contrôle.

Seul un récépissé serait, me semble-t-il, de nature à pacifier les relations entre la police et nos concitoyens, particulièrement dans certains quartiers, et à lutter contre l’inflation de contrôles dont on ne peut plus ignorer le caractère souvent discriminatoire.

Le Président Hollande nouvellement élu avait érigé la lutte contre les violences policières en axe fort de son programme électoral et avait pris l’engagement (n°30) de lutter « contre le délit de faciès dans le contrôle d’identité par une procédure respectueuse des citoyens… »

L’idée était également soutenue par le Défenseur des droits et l’ensemble des associations de défense des droits humains.

L’état d’urgence est passé par là, la déchéance de nationalité aussi, et la lutte contre le contrôle faciès rejoint la liste, toujours un peu plus longue, des reniements et des renoncements du pouvoir.

Le gouvernement s’est exprimé dernièrement sur le sujet lors des débats sur le projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme, préférant finalement les caméras-piétons au récépissé, caméras qui seront actionnées à la seule initiative du policier.

La droite sénatoriale, par la voix de son rapporteur, a évacué toute réflexion sur la question. Pour lui, les dispositions de la PPL « créeraient une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l’ordre » et constitueraient une « défiance injustifiée » à leur égard.

Cessons quelque peu de sacraliser la police, tout en reconnaissant son mérite en ces temps troubles. Rappelons qu’en même temps le dernier rapport du Comité contre la torture de l’ONU, présenté à Genève le 14 mai, fustige l’usage excessif de la force par les représentants de l’ordre ces derniers mois en France. De surcroît, force est de constater que la lutte contre les discriminations a, elle aussi, été sacrifiée sur l’autel du tout sécuritaire.

Finalement, c’est sans illusion mais sans réserve que le groupe écologiste soutiendra cette proposition de loi.

Et puisque nos concitoyens d’origine noire ou arabe ne seront, une fois de plus, pas entendus aujourd’hui, je terminerai en vous lisant le témoignage d’Issa, jeune Parisien de 14 ans : « c’était après l’école avec Alex, il est capverdien, on est parti aux Halles et on s’est fait contrôler déjà sur les marches d’escalier dans le Forum; il y avait 3 agents, on avait nos papiers alors c’était rapide; ensuite on s’est refait contrôler près du métro et encore après dans le métro et là on a dit qu’on en avait marre et ils nous ont ramené au poste et ils voulaient appeler nos parents on a dit non alors on a eu une amende pour « refus d’obtempérer aux injonctions d’un agent de chemin de fer » mais c’était la police, pas des agents de chemin de fer… Alex il s’est fait étrangler un peu au commissariat. Je suis grand pour mon âge, je me fais trop souvent contrôler, je voulais juste savoir, pourquoi on est contrôlés ? Et… ça va s’arrêter quand ? »

La question est clairement posée : ça va s’arrêter quand ?

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