« Les petites phrases et dérapages d’un genre nouveau ne donnent pas de notre vie politique une image très encourageante »

intervention corinne bouchoux (c) Sénat

Question d’actualité au gouvernement – 28 mars 2013

Dérapages verbaux dans la vie publique francaise

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre, la Garde des Sceaux

Mes chers collègues,

 

Nous aurions pu vous interroger sur les chiffres du chômage et une des solutions possibles à nos yeux, la transition énergétique…à l’instar de ce qu’ont choisi nos amis allemands…

 

Un autre sujet à retenu notre attention. L’histoire ne se répète pas, heureusement, mais il faut être capable d’en tirer des enseignements. L’analyse des propos tenus ces dix derniers jours dans la vie publique française témoigne d’un ton et d’une sémantique qui interrogent…

 

Ou devrait nous interroger collectivement, nous tous.

 

À la « pipolisation » qui s’est mise en place depuis des années, exacerbée par la communication en temps réel, s’ajoutent des « petites phrases » et « dérapages » d’un genre nouveau qui ne donnent pas de notre vie politique une image très encourageante.

 

Par ailleurs, et de surcroît, contrairement à l’usage républicain et au principe de séparation des pouvoirs, des jugements, parfois sévères, sont publiquement énoncés sur des procédures judiciaires en cours ou des décisions de justice rendues récemment ou des procédures ouvertes.

 

Une personne mise en examen reste une personne présumée innocente quel que soit son nom et ses qualités actuelles ou passées.

 

On nous parle, par ailleurs, aussi d’un juge qui aurait reçu des menaces…

 

Ma question sera simple dans sa formulation sans l’être dans sa mise en œuvre car elle dépend de nous tous et nous toutes, chers collègues, collectivement, comment faire en sorte que notre débat politique reste d’une certaine tenue?

 

Que nos contradictions et nos affrontements même vifs restent républicains ?

 

Faute de quoi, mes chers collègues, si nous nous comportons comme de mauvais amuseurs publics nous aurons un jour, à l’instar de ce qui se passe en Italie, des taux d’abstention records aux élections et l’entrée en politique de nouveaux « amuseurs publics » qui ne feront que copier les dérives constatées ces dernières semaines.

 

Formulons le souhait que le débat sur le projet de loi qui ouvre le mariage aux personnes de même sexe, ici le 4 avril quel que soient ici nos divergences, soit digne et républicain.

 

Je vous remercie de votre réponse.

 

Réponse de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice,

À publier le : 29/03/2013, page 2533

Texte de la réponse : Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, dans votre question, il y a deux aspects de la parole publique.

 

D’un côté, vous évoquez les petites phrases et ce que vous appelez les « dérapages », qui, il est vrai, rétrécissent considérablement le débat politique et affaiblissent incontestablement la démocratie, ou, du moins, en ternissent le lustre.

 

De l’autre, vous faites référence à certains propos qui ont été tenus ces derniers jours s’agissant d’une décision judiciaire.

 

L’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui, vous le savez, fait partie de notre bloc de constitutionnalité, érige clairement la séparation des pouvoirs au rang de principe fondateur d’un État de droit.

 

Nous sommes dans un État de droit, et cela suppose de respecter quelques règles. La séparation des pouvoirs implique que la parole parlementaire ne puisse pas se porter inconsidérément sur l’institution judiciaire.

 

Nous réitérons le respect du Gouvernement à l’égard de l’institution judiciaire, qui est l’épine dorsale de notre démocratie. Les femmes et les hommes qui l’animent sont extrêmement dévoués et totalement conscients de la hauteur de la mission qui leur est confiée. Je pense aux magistrats instructeurs mais aussi à tous les juges du siège, aux procureurs, généraux ou non, aux greffiers et à l’ensemble des fonctionnaires qui font vivre l’œuvre de justice.

 

Nous avons exprimé la confiance du Gouvernement à l’ensemble des personnels judiciaires. Lundi, j’ai saisi le Conseil supérieur de la magistrature pour connaître les conséquences possibles de tels propos et de l’ambiance qu’ils créent sur le fonctionnement de l’institution judiciaire.

 

Vous le savez, l’un de ces magistrats a reçu hier un courrier avec des munitions à blanc et des menaces. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

 

M. François Grosdidier. Les élus aussi en reçoivent !

 

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà qui place l’œuvre de justice dans un climat délétère.

 

Nous avons rappelé que, si les magistrats décidaient d’agir en justice, ils pourraient évidemment bénéficier de la protection judiciaire prévue par l’ordonnance de 1958.

 

M. Alain Fouché. Il ne faut pas exagérer !

 

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Emmanuel Lévinas écrivait : « L’élection est un surplus d’obligation pour lequel se profère le « je » de la conscience morale. » Pour ma part, je préférerais parler d’« éthique ». Mais c’est la même idée, celle du niveau d’exigence.

 

J’espère que, lors des prochains débats, et, d’une manière générale, lors de chaque débat, la parole publique sera une parole responsable, à la hauteur de cette conscience éthique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

 

 

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