« En démocratie, les droits de l’homme ne s’arrêtent pas aux portes des prisons. »

corinne bouchoux (c) Sénat

Question orale avec Débat du 3 avril 2013 sur les Droits sanitaires et sociaux des détenus

 

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la question des droits sanitaires et sociaux est une question majeure pour les détenus et leurs familles, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui travaillent en détention, ainsi que pour notre démocratie. Je remercie notre collègue Aline Archimbaud de l’avoir posée.

 

L’excellent rapport de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat, qu’il convient de saluer à nouveau, intitulé Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale, posait un diagnostic implacable et lucide.

 

En démocratie, les droits de l’homme ne s’arrêtent pas aux portes des prisons, au contraire, et nous voudrions insister sur quelques points, dont certains furent déjà mentionnés.

 

Le premier point d’importance est le droit à l’intimité en prison, qui devrait être reconnu plus explicitement. Du fait de la promiscuité, ce droit est souvent dénié. C’est ici la question de la surpopulation carcérale qui se pose à nous, mais également celle de l’architecture de nos prisons et de la conception de la surveillance au sein de celles-ci.

 

Le deuxième point concerne le droit à l’hygiène la plus élémentaire, qui fait parfois défaut. À cet égard, j’invite chaque parlementaire à visiter une prison deux jours consécutifs, afin d’en mesurer toute la réalité. Le cas de Marseille, même s’il est particulièrement emblématique, n’est pas isolé ; je vous conseille également une visite à la prison d’Angers.

 

Le droit à l’accès aux soins adaptés et proportionnés reste un sujet majeur. Dans de très nombreuses prisons, 50 % des détenus sont littéralement assommés par de véritables camisoles chimiques qui, si elles permettent parfois – et encore, pas toujours – le sommeil, ne favorisent ni la vie sociale ni le sevrage d’autres dépendances ni la construction d’un projet après la prison.

 

L’accès à l’exercice physique et au sport reste extrêmement dérisoire par rapport aux attentes et aux besoins. Enfin, on fume beaucoup en prison, ce qui pose des problèmes de cohabitation dans les cellules entre fumeurs et non fumeurs. Il s’agit également d’une préoccupation sanitaire majeure.

 

L’accès aux soins, les bonnes conditions d’hospitalisation posent un problème récurrent, Aline Archimbaud l’a souligné, avec des détenus malades placés dans des conditions extrêmement difficiles, parfois inhumaines.A contrario, de nombreuses personnes souffrant de troubles psychiques très graves surpeuplent nos prisons faute de structures de soins adaptées pour les accueillir à temps. La prison n’est alors souvent qu’une ultime étape dans un parcours très difficile.

 

Je voudrais également aborder un autre point, plus délicat, plus complexe et qui ne fera pas l’unanimité ici : en théorie, il n’y a pas de sexualité ni de vie sexuelle en détention. Or cela pourrait se discuter, certains pays ayant fait d’autres choix.

 

Pour autant, même avec les règles telles qu’elles sont appliquées dans notre pays, il nous semble qu’un libre accès aux préservatifs, loin d’être une « invitation à… », serait un élément extrêmement important en matière de prévention du sida. Il s’agit d’un problème de santé publique pour les détenus, leurs familles, leurs conjoints, mais aussi pour tous, en démocratie.

 

Enfin, je voudrais soulever la question compliquée de la connaissance, ou plutôt de la méconnaissance, de leurs droits par les détenus, qui a un impact très important sur les droits sanitaires et sociaux. À l’arrivée en détention, les règles sont souvent très vite ou trop vite expliquées. La connaissance des droits qu’ont les détenus est extrêmement lacunaire, nous avons pu le constater à la prison d’Angers. Nous devons encore progresser concernant cette information des personnes sur leurs droits, et pas seulement sur leurs devoirs.

 

Aussi, nous demandons qu’il soit donné à chaque détenu un règlement intérieur complet et clair des règles appliquées à la prison. Cela nous semble constituer un impératif majeur.

 

Nous attendons toujours, sauf erreur de notre part, la publication du décret en Conseil d’État relatif à la loi pénitentiaire de 2009 sur les règlements intérieurs type par catégorie d’établissement pénitentiaire, qui sont essentiels à l’exercice par les détenus des droits et libertés que la loi leur reconnaît par ailleurs et qui permettraient, selon nous, un meilleur exercice des droits sanitaires et sociaux.

 

Même si les femmes représentent proportionnellement une infime minorité de la population carcérale en France, j’aimerais rappeler ici les difficultés particulières que rencontrent les détenues.

 

En détention se posent un certain nombre de problèmes spécifiques, par exemple pour les femmes enceintes ou les mères de jeunes enfants. Vous le savez comme moi, mes chers collègues, seuls vingt-cinq établissements sont équipés pour recevoir les mères et leurs jeunes enfants, qu’elles peuvent garder auprès d’elles jusqu’à l’âge de dix-huit mois.

 

Une soixantaine d’établissements pénitentiaires sur 191 accueille des femmes et cinq établissements seulement reçoivent les femmes condamnées à des peines moyennes ou longues. Cela signifie que le nombre de kilomètres à parcourir par les proches est beaucoup plus important pour les femmes incarcérées que pour les hommes détenus.

 

Par ailleurs, les centres de détention longue sont plutôt situés au nord de l’Hexagone, ce qui pose un véritable problème de visite, notamment pour les femmes du sud. Toutes les statistiques le montrent, les femmes reçoivent moins de visites en prison que les hommes ; les chaînes de solidarité sont rompues plus rapidement. Il conviendrait selon nous de prendre en compte ce problème spécifique.

 

La privation de liberté est la peine, rien que la peine, dans une démocratie qui se veut toujours en matière de droits humains une référence, prompte à donner des leçons à nos voisins proches ou éloignés. Les conditions difficiles de détention, telles qu’elles existent en France, n’ont, selon nous, aucune vertu éducative, n’aident pas à la construction d’un projet de sortie et sont une honte pour une démocratie qui se respecte.

 

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, de concert avec Mme la garde des sceaux, pour remédier à cette situation ? Nous vous remercions de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

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