CORINNE BOUCHOUX RAPPORTEUR DE LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE A LA SUPPRESSION DE LA PUBLICITE DANS LES PROGRAMMES JEUNESSE

2015 10 21 DG CBx

Intervention de Corinne Bouchoux, rapporteure de la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse du service public, lors de la discussion générale

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à un impératif de santé publique : protéger nos enfants contre les mauvaises habitudes alimentaires et la pression des marques.

Elle affirme par ailleurs la nécessité de renforcer l’identité du service public de la télévision, qui ne peut proposer les mêmes programmes, accompagnés des mêmes messages publicitaires, que les chaînes privées.

Pourquoi est-il si important de limiter la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse ?

Les très nombreuses auditions que j’ai menées ces derniers jours sont sans aucune ambiguïté quant aux effets néfastes de la publicité sur les jeunes enfants. Il y a une corrélation entre le temps passé devant les écrans et l’obésité, et les effets sont plus forts sur les enfants en retard scolaire et sur ceux qui n’ont pas, hélas ! des parents à même de les accompagner de près dans leur scolarité.

Les enfants sont fréquemment laissés seuls devant les programmes pour la jeunesse, d’autant que les familles fragiles vouent souvent une grande confiance au service public.

Avant l’âge de sept ou huit ans, les enfants ne sont pas sensibles au second degré et ne font pas la différence entre le personnage du dessin animé et ce même personnage utilisé juste après un programme destiné à la jeunesse pour vendre une barre chocolatée ou des céréales saturées en sucre et en gras.

La proposition de loi de notre collègue André Gattolin, contrairement à des initiatives précédentes, circonscrit son champ au service public de la télévision et préconise plutôt un encadrement pour les chaînes privées.

Votre rapporteur estime que, en distinguant les chaînes privées, qui vivent de la publicité et, pour certaines, des abonnements, des chaînes publiques, qui ont bénéficié en 2015 de la contribution à l’audiovisuel public, notre collègue André Gattolin a trouvé le bon équilibre.

Il me semble en effet justifié de tenir compte des efforts réels qui ont été accomplis depuis 2009 par les chaînes de télévision et par les annonceurs, en lien avec le CSA et les différents ministères, pour mettre en place une véritable autorégulation de la publicité à destination de la jeunesse.

Les principes de cette autorégulation sont aujourd’hui rassemblés dans une charte, renouvelée en 2014, qui fait l’objet d’une évaluation par le CSA et s’accompagne de la diffusion de messages de prévention.

Ce dispositif assez unique d’autorégulation mérite d’être salué, puisqu’il témoigne d’une prise de conscience des annonceurs et des chaînes de télévision, mais il doit encore être substantiellement amélioré.

C’est pourquoi la commission propose une nouvelle rédaction de l’article 1er du texte, visant à inscrire dans la loi le principe de l’autorégulation du secteur de la publicité et à confier le soin au CSA de remettre au Parlement un rapport annuel évaluant les actions menées par les chaînes pour que les émissions publicitaires respectent les objectifs de santé publique. Je me permets d’indiquer que le principe de l’inscription de cette autorégulation dans la loi a reçu un accueil favorable de la part tant des chaînes privées que du CSA.

Concernant le service public, il me semble légitime d’en exiger plus encore. Comme l’ont montré nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin dans leur excellent rapport sur le financement de l’audiovisuel public, la publicité n’est considérée aujourd’hui par France Télévisions que sous l’aspect financier, sans aucune vision globale en lien avec l’identité du service public.

David Assouline. Ce n’est pas vrai !

Corinne Bouchoux, rapporteure. Le résultat de cette politique peut être surprenant, comme on peut le constater sur le site internet destiné aux enfants de six à douze ans, www.ludo.fr, littéralement envahi de publicités pour un jeu vidéo et des figurines produits par un grand studio américain, également fournisseur de programmes destinés à la jeunesse de France Télévisions. On peut dès lors se demander si certains de ces programmes n’ont pas pour objectif principal de favoriser la vente de produits dérivés.

Comme nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin l’ont rappelé dans leur rapport, il est temps de réaffirmer la spécificité des valeurs du service public de la télévision. Cela signifie, en particulier, que les programmes diffusés ne doivent pas avoir d’abord pour objectif de vendre, par exemple, des produits alimentaires manufacturés saturés en sucre et en gras ou des jeux vidéo extrêmement coûteux à des familles n’ayant pas nécessairement les moyens de les acheter, avec les conséquences que l’on imagine sur les relations entre parents et enfants, qui peuvent, de ce fait, devenir conflictuelles.

Au travers de la rédaction initiale de sa proposition de loi, notre collègue André Gattolin suggérait d’interdire tous les messages publicitaires dans les programmes destinés à la jeunesse. Le terme « jeunesse » employé sans autre précision renvoie aux jeunes de zéro à dix-huit ans, ce qui correspondrait à une interdiction très large.

La rédaction que propose la commission, en restreignant l’interdiction des messages publicitaires et des parrainages aux seuls programmes destinés aux jeunes de moins de douze ans diffusés sur les chaînes et les sites internet de France Télévisions, limite la perte de recettes pour le groupe public et permet par ailleurs une bonne identification des programmes concernés.

France Télévisions estime entre 15 millions et 20 millions d’euros les recettes attachées à la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse. Nous pensons que, avec cette rédaction, la perte de recettes serait inférieure à 10 millions d’euros. Votre rapporteur considère en outre que France Télévisions pourrait limiter celle-ci en réorganisant son offre de façon que ses cibles publicitaires correspondent à ses cibles éditoriales. Cette perte de recettes doit, par ailleurs, être rapportée aux autres ressources de France Télévisons : rien qu’en 2015, le groupe a reçu 2,37 milliards d’euros de redevance, 160 millions d’euros de dotations et 330 millions d’euros de recettes publicitaires.

En définitive, on comprend bien que le nœud du problème ne tient ni à la pertinence de l’idée de réduire l’exposition des jeunes à la publicité ni à son acceptation par les industriels, mais uniquement à l’état des finances de France Télévisions. La proposition de loi de notre collègue André Gattolin prévoyait à cet égard un principe de compensation de la baisse de ressources au moyen d’une hausse de 50 % de la taxe sur la publicité créée en 2009, soit un produit supplémentaire de 7,5 millions d’euros.

La commission n’a pas retenu le principe de la hausse de cette taxe, car elle estime que le financement de cette disposition doit pouvoir trouver sa place dans le cadre de la redéfinition du modèle économique de France Télévisions que le Sénat appelle de ses vœux pour 2018, au travers d’une réforme de la contribution à l’audiovisuel public.

Par cohérence, la commission propose donc que la mise en œuvre de cette proposition de loi intervienne au 1er janvier 2018.

Je remercie le groupe écologiste d’avoir demandé l’inscription de cet excellent texte à l’ordre du jour, l’auteur initial de ce dernier, Jacques Muller, et Marie-Christine Blandin, qui, bien que coauteur, m’a permis d’en être rapporteur, ainsi que l’auteur de la présente proposition de loi, André Gattolin, qui a effectué un très important travail.

Je remercie également la présidente de la commission de la culture, qui veille à ce que nos travaux se déroulent toujours dans une atmosphère cordiale et constructive.

Loïc Hervé. C’est vrai !

Jean-Vincent Placé. Très juste !

Corinne Bouchoux, rapporteure. Enfin, je remercie de son importante contribution notre collègue Jean-Pierre Leleux, ainsi que tous ceux qui, très nombreux, nous ont écrit pour nous signifier qu’il s’agissait là d’un vrai texte de salubrité publique. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

 

Illustration: crédit Sénat

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