INTERVENTION SUR LE PROJET DE LOI RELATIF A LA DÉONTOLOGIE DES FONCTIONNAIRES

2015-0433-002-CL

Intervention de Corinne Bouchoux, mardi 26 janvier 2016, lors de la discussion générale du projet de loi relatif à la
déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires traite d’un sujet de la plus grande importance, à de multiples égards.
On observe une attente de plus en plus forte des usagers concernant les services publics, s’agissant en particulier du principe de continuité du service public. Le service public est soumis à une exigence de qualité croissante. Les fonctionnaires, quant à eux, sont des acteurs majeurs de la vie publique, dans la mesure où ils servent l’intérêt général. Enfin, le consentement des contribuables à l’impôt se révèle de plus en plus difficile à obtenir. En plus d’être performants et ambitieux, les services publics d’aujourd’hui et de demain doivent représenter un coût raisonnable pour nos finances publiques.
L’examen et l’adoption de ce projet de loi sont particulièrement attendus, car, au-delà de l’intérêt qu’il présente, il répond à une attente forte. En effet, le rôle de l’État se renouvelle. L’État gendarme a laissé place à l’État providence, qui est lui-même en train de laisser place à l’État stratège, ce que l’on regrette parfois.
Corrélativement, naissent donc des craintes nouvelles pour les usagers, les contribuables, ainsi que les fonctionnaires, craintes auxquelles il est de notre devoir de législateur d’apporter des réponses. Nous ne siégeons pas ici en tant qu’employeurs, même si nombre d’entre nous l’ont été, ou usagers, mais en tant que défenseurs de l’intérêt général sur l’ensemble du territoire.
Ce renouvellement de la conception de l’État questionne, par ricochet, la définition de l’intérêt général. Cette dernière influence la déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires.
En effet, si on considère que l’intérêt général transcende les intérêts particuliers, alors la question du conflit d’intérêts n’a pas lieu d’être ou ne se posera jamais. En revanche, si on considère que l’intérêt général est constitué de la somme des intérêts individuels ou bien de l’intérêt majoritaire ou encore de l’intérêt du plus influent, la question du conflit d’intérêts trouve toute sa place et doit requérir la plus grande vigilance.
Interroger la définition de l’intérêt général se révèle pertinent à l’heure où le pouvoir des lobbies, quels qu’ils soient, est de plus en plus grand.
Cette question doit également être resituée dans son contexte.
D’une part, on assiste aujourd’hui à une judiciarisation croissante de notre société. La fonction publique n’est pas épargnée par ce phénomène. Cela entraîne une réflexion sur l’idée de déontologie. Certains faits ont donné naissance à des scandales pouvant expliquer parfois une certaine défiance à l’égard de certains fonctionnaires. Mais ne faisons pas de généralités : la quasi-totalité des fonctionnaires sont des personnes très scrupuleuses, soucieuses de l’intérêt général. Dans le contexte actuel, il devient important de redonner confiance en la fonction publique et de rassurer tous ceux qui la servent.
D’autre part, on constate une place nouvelle de l’argent et du matérialisme. Celle-ci influe sur la définition de l’intérêt général et surtout sur les craintes nouvelles dont peuvent faire l’objet les fonctionnaires.
Quel que soit le fruit de ces réflexions, les écologistes posent l’objectif clair, net et précis d’une fonction publique transparente, où les pratiques professionnelles ne sont pas discutables ! En ce sens, l’objectif du projet de loi dont nous discutons ce soir est très louable.
Nous partageons la volonté du Gouvernement de réaffirmer les valeurs qui guident l’action publique et de clarifier les règles déontologiques. De la même manière, eu égard à notre attachement au service public, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux un service public de grande qualité. Seulement, pour être atteints et devenir effectifs, ces objectifs ne doivent pas seulement être inscrits dans la loi. Tout comme les valeurs, ils doivent être intériorisés par les fonctionnaires. Cette intériorisation, cette appropriation ne peut intervenir par la seule magie de la loi.
La formation joue ici un rôle majeur. Sur ce sujet, Antony Taillefait, professeur de droit public à l’université d’Angers, spécialiste de la déontologie, écrit qu’« un régime des conflits d’intérêts, une action de donneur d’alerte ne peuvent avoir d’effectivité complète que s’ils s’inscrivent dans une transformation de la culture administrative. […] La formation initiale et continue des agents publics est donc déterminante pour assurer l’effectivité des régimes de conflits d’intérêts. Or, dans les administrations, des coupes claires ont été effectuées dans les budgets destinés à la formation. […] Au surplus, le contenu de cette formation, lorsqu’elle subsiste, est trop souvent techniciste alors qu’elle devrait être une formation culturelle. »
Je partage totalement cette position. À titre d’illustration, le présent projet de loi met en place des référents-déontologues. Si je salue l’idée, je déplore que ne soient envisagées ni la question de leur formation ni celle de leurs compétences.
Au-delà de la question de la culture administrative, sur le fond, certains points attirent particulièrement notre attention.
Le devoir de réserve doit selon nous rester uniquement jurisprudentiel et ne doit pas être inscrit dans la loi. Tant que nous vivrons dans une démocratie, tout ira bien, mais si nous devions demain changer de régime, cela serait très dangereux. Voyez ce qui se passe en Turquie !
L’intérim doit à nos yeux être uniquement réservé à la fonction publique hospitalière. Cela nous semble important.
Ensuite, il faut un droit disciplinaire soucieux du principe de sécurité juridique et des droits de la défense, un meilleur suivi des lauréats aux concours de la fonction publique territoriale, ainsi qu’une protection rigoureuse des lanceurs d’alerte.
Pour conclure, madame la ministre, je salue la volonté que traduit ce texte et la ténacité qui a été la vôtre pour l’élaborer dans un contexte difficile, mais j’attire votre attention sur le fait qu’un texte vertueux demeurera une déclaration d’intention si les textes réglementaires qui l’accompagnent ne sont pas rapidement pris, comme en témoigne l’exemple de la loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, dite « loi Blandin », dont les décrets d’application n’ont été publiés qu’après plus d’un an. Quant à la fameuse commission ad hoc prévue, elle n’existe toujours pas. À cet égard, je compte sur vous, madame la ministre ! (M. René Vandierendonck applaudit.)

 

Crédit: Sénat – CL

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