DÉBAT SUR LE CRÉDIT IMPÔT RECHERCHE

2016 01 12 debat cir

Intervention de Corinne Bouchoux lors du débat sur le Crédit Impôt Recherche (CIR)  mardi 12 janvier 2016. Ce débat intervenait à la demande du groupe républicain communiste, républicain et citoyen.

Mme Corinne Bouchoux: Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur de feu notre rapport, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier vivement les membres du groupe communiste républicain et citoyen d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour ce débat portant sur un thème important : les incidences du crédit d’impôt recherche sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays.

Ce dispositif a, sur nos finances publiques, un impact dont les précédents orateurs ont rappelé l’ampleur : plus de 5 milliards d’euros. Quoi de plus pertinent que de voir où va l’argent ?

Je ne peux donc que regretter vivement que la commission d’enquête sénatoriale portant sur le sujet que nous avons évoqué se soit fait hara-kiri, faisant du même coup disparaître son rapport, ses conclusions et ses comptes rendus d’audition. C’est une forme de masochisme sur lequel il faudra peut-être un jour s’interroger. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Laurence Cohen: Bravo !

Mme Corinne Bouchoux: Puisque l’on m’a assuré que tout ce travail n’existait plus, que les archives avaient disparu, je vais fonder mon propos sur ce qui existe encore ! (Mme Françoise Laborde sourit.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin: Attention, madame Bouchoux, vous allez agacer M. Delattre…

Mme Corinne Bouchoux. L’association Sciences en marche a mené un réel travail d’investigation. Pour ceux qui le souhaitent, ses sources sont accessibles sur internet. Elle propose une photographie tout à fait précieuse, impartiale et claire de ce qu’est le crédit d’impôt recherche. Elle indique où il va, quelle est sa progression, et mentionne des marges d’améliorations possibles.

Le CIR a été analysé par les précédents intervenants comme un « dopant », un facteur d’innovation, par d’autres comme une source d’attractivité, un moyen, comme j’ai pu l’entendre dans nos couloirs, de rester « sexy » dans l’économie mondiale.

Mes chers collègues, il faut être honnête : personne ici ne souhaitait voir ce rapport adopté. Deux petites familles politiques mises à part, il existait un accord pour employer tous les moyens de forme ou de fond, notamment des rebondissements télévisuels, permettant de torpiller ce rapport ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !

Daniel Raoul. C’est faux !

Mme Corinne Bouchoux. À cet égard, nous avons bel et bien disposé d’une présidence brillante et réussie. Le but n’a pas été atteint pour ce qui concerne le CIR. En revanche, il l’a été concernant la suppression du rapport…

En examinant ce sujet d’un peu plus près, que peut-on dire de ce crédit d’impôt de 5,5 milliards d’euros ?

Bien entendu, le CIR n’est pas réservé aux sociétés du CAC 40. Toutefois, certains l’ont signalé : en proportion, il profite largement aux grands groupes.

En outre, il a été montré que, dans certains domaines, ce dispositif était un moyen d’attirer en France des entreprises internationales, qui y voit, elles le disent elles-mêmes, un facteur d’attractivité de notre territoire. Mais est-ce le sens d’un crédit d’impôt consacré à la recherche ? C’est la question que l’on peut se poser.

C’est un fait, il faut rendre notre territoire attractif. Cela étant, faut-il procéder par ce biais ?

Ensuite, si l’on examine dans le détail la question de l’emploi, on peut se montrer un peu plus critique. Par exemple, en 2011, seuls 12 % des chercheurs en entreprise étaient titulaires d’un doctorat, contre 55 % qui étaient diplômés d’une école d’ingénieur ou d’une grande école.

La situation des docteurs en entreprise s’est-elle améliorée grâce au CIR ? Pas du tout, malheureusement. Le doctorat, titre universitaire le plus élevé reconnu à l’échelle internationale, reste peu attractif en France. Or, dans ce domaine, le crédit d’impôt recherche s’est révélé relativement inopérant.

De plus, le CIR devrait – c’est l’un de ses buts – favoriser la promotion de la recherche et développement dans le secteur privé. Sur ce front, le bilan est-il si positif que ce qui a été dit ? À l’instar du comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur,…

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et de la Cour des comptes !

Mme Corinne Bouchoux. … qui, sur ce sujet, a remis un rapport extrêmement intéressant, nous estimons qu’il faut absolument renverser la tendance actuelle : il faut garantir davantage l’embauche de véritables docteurs, la création de véritables emplois scientifiques, en lieu et place de simples requalifications.

Dans un certain nombre de domaines, comme dans le secteur bancaire, on habille ainsi en dispositions éligibles au crédit d’impôt recherche des mesures qui n’en relèvent pas, et nous le savons tous !

Éric Bocquet. Très bien !

Mme Corinne Bouchoux. Par ailleurs, il faut reprendre le rapport de 2013 établi par la Cour des comptes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Voilà !

Mme Corinne Bouchoux. Cette instance le signalait déjà : « L’efficacité du CIR, au regard de son objectif principal d’augmentation de la dépense de R&D des entreprises est difficile à établir, et l’évolution de cette dépense n’est pas à ce jour en proportion de l’avantage fiscal accordé. » (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Là est bien le problème !

Nous ne prétendons pas que le CIR ne sert à rien. Nous relevons simplement que, au regard des moyens mis en œuvre, le résultat est extrêmement modeste. Il doit donc être interrogé par le législateur que nous sommes.

Mes chers collègues, je vous invite également à consulter le rapport de l’association Sciences en marche, présenté le 6 avril 2015 à notre commission d’enquête, mais qui, je le répète, n’existe plus… Ce rapport a été publié sur le site de cette association. Il met clairement au jour non seulement l’effet de levier que permet le CIR dans les entreprises de moins de 500 salariés, mais également les causes mitigées dans les grandes sociétés et dans certains secteurs qui profitent plus que d’autres de ce dispositif.

Pour le dire autrement, le CIR favorise massivement la recherche duale, le nucléaire : autant de sujets dont on doit pouvoir débattre sereinement. Ce sont aussi ces constats qui ont gêné, dans les travaux de la commission d’enquête diligentée.

À mon sens, il faut accepter d’avoir une vision prospective du CIR. Nous ne vous proposons pas sa suppression. Nous disons simplement qu’avec ce dispositif, tel qu’il existe actuellement, on marche sur la tête ! Dans un certain nombre de cas, cette niche permet des optimisations fiscales. Aussi, nous vous soumettons cette proposition : tournons-nous vers la transition écologique. Cela tombe bien, la COP 21 vient d’avoir lieu.

Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons vivement que le CIR, puisqu’il existe, soit consacré massivement à la transition écologique, notamment pour faire évoluer notre tissu industriel : c’est là un enjeu capital. Nous souhaitons que la France dispose d’un crédit d’impôt recherche vertueux, permettant de modifier la société et non de stabiliser des rentes de situation.

Au surplus, il ne faudrait pas que l’on nous reproche un jour, au niveau européen, les problèmes posés par notre crédit d’impôt recherche, dont nous abusons allègrement. À plusieurs reprises, nous avons lancé l’alerte sur ce point.

Enfin, faut-il que nous ayons rompu des tabous pour que soient annihilés, en quelques minutes, quatre à six mois de recherches, des dizaines et peut-être des centaines d’heures d’auditions, de production de savoir intellectuel et intelligent ? Je m’en remets aux citoyens, aux journalistes et aux enseignants-chercheurs. Ils pourront poursuivre le travail que nous avons amorcé ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

 

Crédits: Sénat 

Remonter