Budget : dire ce qu’on fait mais surtout faire ce qu’on dit

Photo Jean-Charles Kohlhaas

Jean-Charles Kohlhaas est intervenu sur les orientations budgétaires de la Région et la nécessaire transition à mettre en oeuvre en acte.

Le temps du Débat d’Orientations Budgétaires est le temps de l’affirmation d’orientations politiques pour l’année à venir, voire un peu plus, quand tant de nos dispositifs revêtent un caractère pluriannuel.

L’exercice est particulièrement périlleux en fin de mandat. Nous devons tout à la fois acter la continuité de certaines de nos politiques utiles, efficaces et dans le même temps, tenter d’ultimes aménagements, réorientations voire de fortes transformations.

L’objectif est bien d’essayer, encore une fois, de répondre aux besoins de nos concitoyens dans un contexte particulièrement difficile.

La collectivité régionale est un gros paquebot, dont les évolutions de cap nécessitent du temps de travail et de « l’huile dans les rouages ».

Notre groupe a, avec les autres groupes de la majorité, largement participé à l’élaboration de ce document d’orientation. Nous souhaitons en premier lieu saluer ce travail collectif, qui a permis de clarifier certaines de nos analyses plus ou moins convergentes et d’affirmer un certain nombre d’orientations claires et parfois inédites dans ce genre de document. C’est l’occasion de souligner que ce travail collectif aurait du être la manière de travailler de cette majorité depuis le début du mandat

Parlons d’abord du « contexte » que nous ne cessons d’évoquer dans chaque DOB.

Nous répètons que le contexte a beaucoup évolué depuis le début du mandat et que le climat budgétaire se tend pour nos collectivités. Certes, mais nous devons nous rendre à l’évidence : le mot « crise » n’a plus de sens :

Sans faire de l’étymologie archéologique, la crise se définit comme un moment brusque, limité dans le temps, caractérisé par une rupture d’équilibres.

Une crise nécessite donc un retournement de situation, certains diraient « un changement de cap »…

Ce que nous vivons n’est donc pas une crise, ni économique ni sociale, ni environnementale ni agricole encore moins financière…

Rendez-vous compte, une part non négligeable de la population, plus de la moitié, ceux qui ont moins de quarante ans, même s’ils ne sont pas majoritaires dans cette assemblée, n’a jamais connu autre chose que la crise. Depuis leur naissance ils vivent dans la « crise ». Le moins que l’on puisse dire c’est qu’on se trompe de mot et comme souvent, dans ces cas là, on se trompe de concept et donc d’analyse.

Je vais vous faire des confidences, peut-être des révélations, qui sait ? La population mondiale va continuer d’augmenter. Les ressources naturelles en eau, la fertilité des terrains agricoles… vont plutôt diminuer. Les ressources d’énergies fossiles vont continuer à diminuer fortement et disparaître à court terme, y compris l’uranium… et je vais m’arrêter là, tant ce discours n’est pas récent, cf. le rapport du club de Rome de 1972, ou plus récemment l’intervention ici même de mon prédécesseur Eric Piolle, montrant courbes à l’appui, la disparition progressive de la « sacro sainte croissance » depuis 40 ans…

La prétendue crise qui est à la « une » de tous nos discours, de tous les médias, de tous les débats n’en est donc pas une. C’est en fait la « conjoncture », la « situation », la « réalité », locale, nationale et mondiale depuis des décennies d’un système à bout de souffle, obsolète, profondément inégalitaire et prédateur

Si l’on peut employer le mot de « crise », c’est, avec l’adjectif « démocratique », voire « politique ».

Cette dégradation de la défiance des citoyens envers le politique, les politiques, découle, à notre avis de l’incapacité de ceux-ci à proposer des solutions efficaces, à changer de cap, à inventer de nouveaux systèmes pour s’adapter à la réalité, à la situation… à la conjoncture qui est la nôtre depuis plus de 40 ans

Nous pouvons comprendre que les citoyens désabusés par des décennies d’alternance de politiques qui ne proposent que quelques ajustements, quelques petites différences et qui n’aboutissent toutes qu’à un résultat négatif, c’est-à-dire une dégradation de leur qualité de vie au quotidien, ces citoyens donc expriment de plus en plus fortement leur « ras le bol ». C’est à notre avis la cause de la crise démocratique actuelle, l’incapacité des politiques de droite et de gauche à mettre en œuvre, le retournement de situation nécessaire, le changement de cap qu’aurait nécessité la crise initiale devenue la conjoncture actuelle et durable…

Après cette introduction sur le contexte, venons-en aux O.B. à proprement parler.

Pour ce qui est de la première partie :

Vous comprendrez aisément que le groupe EELV se satisfait clairement de l’affirmation, dans ce document, d’un cap clair autour de la solidarité, d’une part et de la transition écologique, d’autre part.

La solidarité en premier lieu est une nécessité dans la réalité, la conjoncture largement décrite dans l’introduction. Solidarité entre les citoyens d’abord et avec ceux qui en ont le plus besoin. Solidarité entre les territoires ensuite, territoires de Rhône-Alpes, bien sûr, mais aussi régions de France, d’Europe et du monde, tant l’humanité est une et indivisible face à la finitude de la planète et au contexte dont nous venons de parler et face au dérèglement climatique qui contrairement au nuage de Tchernobyl ne s’arrêtera pas aux frontières…

Face à ceux qui, profitant de l’incapacité politique actuelle, proposent le repli sur soi, le retour au 19è siècle, tant sur le plan moral qu’intellectuel et la haine de l’autre comme seule boussole, nous voulons réaffirmer fortement que le projet des écologistes est à l’antipode des ces thèses, parce que construit sur la vérité de « commune humanité ».

Permettez-moi une petite citation :

« La seule politique légitime est celle qui s’inspire d’un principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée.

… par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres.

… les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux…. » (Manifeste Convivialiste)

En deuxième lieu, la transition écologique.

Nous avons d’une part les échecs répétés des politiques plus ou moins libérales, plus ou moins sociales, mais toujours productivistes des « aventuriers de la croissance perdue » qui nient la finitude de la planète.

Nous avons d’autre part une résurgence du populisme et du fascisme qui a beaucoup de mal à rester masqué, en particulier quand il s’agit de justifier la torture.

Face à cela, le seul projet politique qui propose une alternative crédible pour améliorer le quotidien des citoyens de notre commune humanité est celui de la transition écologique. Les écologistes que nous sommes n’en sont pas les propriétaires exclusifs et nous sommes satisfaits de voir que ce projet est porté par un nombre croissant de citoyens, de collectifs, d’organisations syndicales et même, de plus en plus de membres de partis politiques…

Vous imaginez donc notre satisfaction de voire cette transition écologique figurer au côté de la solidarité dans ce D.O.B.. Ce cap de la solidarité et de la transition écologique, orientations pour nous indissociables, doit tracer une route pour 2015 et les années à venir, capable de redonner de l’espoir aux citoyens et de la crédibilité aux politiques.

Bien sûr, cette étape n’est qu’une marche supplémentaire d’un chemin qui reste à explorer et à préciser. En particulier sur la transition écologique de l’économie, véritable solution pour sauvegarder et développer de l’emploi local, durable et non délocalisable. Mais aussi sur la question de la santé-environnement, préoccupation prioritaire de nos concitoyens avec l’emploi. L’emploi justement, car nous devons progresser sur les clauses sociales et environnementales dans les marchés publics, enjeu essentiel pour l’emploi local. L’internalisation de nos compétences, éléments de sécurité et d’économies à long terme…

Bref, la transition écologique est donc une « révolution …douce », nécessaire. Elle est en marche, mais il reste du chemin à parcourir…

Pour ce qui est de la deuxième partie de ces orientations budgétaires.:

Elle se voulait être la traduction, par grands axes thématiques, de nos deux préceptes politiques de solidarité et de transition écologique. Le résultat est hétéroclite. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les traductions concrètes des ces orientations ne sont pas toujours claires. Si certains ont fait l’effort de les traduire, d’autres ont fait comme d’habitude  Il n’est manifestement pas aisé de changer d’usage et de paradigme. On y retrouve parfois des listes de projets, dans l’esprit d’un « inventaire à la Prévert », comme on faisait jusqu’à présent, dont certains ont bien du mal à convaincre de leur cohérence avec les orientations politiques fixées en première partie. Cela n’aura échappé à personne et surtout pas aux élus de notre groupe. Pourtant dans le contexte actuel de difficultés grandissantes subies par la population et de contraintes budgétaires, il est nécessaire d’affirmer que chaque euro engagé par la collectivité publique, doit l’être au regard de son efficacité pour les citoyens, maintenant et durablement. Il est donc nécessaire de les prioriser, plutôt que de les lister. Il est indispensable de différencier les efforts consentis et demandés en fonction de nos priorités. Il n’est plus crédible de répondre aux citoyens que nous ne pouvons rien faire tout de suite, mais que dans 20, 30 ou 40 ans, parce qu’il existe de très grands projets, ils verront enfin le …bout du tunnel

Nous sommes encore loin du compte et les écologistes ont donc encore de fortes attentes en matière de traduction de nos engagements de solidarité et de transition écologique. Nous continuons et continuerons donc à travailler pour que ces orientations se traduisent effectivement dans les actions concrètes de la Région.

Nous sommes responsables et donc conscients que ces objets ne pourront pas tous trouver leur réalisation dès le budget 2015 qui sera présenté au vote suite à ce débat, mais ils doivent être affichés clairement dans nos engagements pris devant les citoyens pour finir ce mandat.

Les sujets de mise en œuvre de la transition écologique, sur lesquels notre groupe souhaite des accords majoritaires sont les suivants. Si certains font consensus, voire font l’objet de décisions en cours de vote ou de préparation, d’autres nécessitent encore des débat et des décisions.

  • L’agriculture et l’alimentation, avec la réorientation des financements par critérisation, l’aide à l’installation et à la transmission, l’accompagnement et le développement de l’agriculture biologique et la question de la qualité de notre alimentation.
  • La Transition écologique de l’économie, déjà citée, parce que la réduction de l’empreinte écologique a un impact très positif sur la création de richesses économiques et d’emplois, comme au travers de l’économie circulaire et de la relocalisation des activités, mais aussi sur le sujet de l’urbanisme commercial. La question de notre résistance aux accords de libre échange en totale contradiction avec nos orientations se pose aussi.
  • L’épargne citoyenne, véritable outil de mobilisation sur des projets locaux ou régionaux, au travers des monnaies complémentaires ou de l’épargne locale.
  • L’éco socio conditionnalité de l’attribution des soutiens publics
  • Les transports publics et l’intermodalité, avec les projets à inscrire au CPER, la préparation de la future convention TER, et les audits que nous avons proposés en amont et que nous votons demain, ainsi que les solutions à trouver pour tenir nos promesses passées en matière de réouvertures, comme pour le Lyon-Trévoux ou la rive droite du Rhône…
  • La rénovation énergétique des bâtiments (qui est à l’ordre du jour de cet après-midi), avec les aides aux logements à vocation sociale, les aides individuelles, la nécessité de trouver de nouveaux mécanismes de financement, le développement des plateformes …
  • La refonte de nos politiques territoriales et de la territorialisation de nos politiques, avec le bilan des outils actifs, en y associant, bien sûr, les territoires, le nécessaire rapprochement avec l’Auvergne qui mène des politiques territoriales différentes des nôtres, la déconcentration, en particulier dans le cadre d’une très grande région, la solidarité et la péréquation entre les territoires
  • La formation des secteurs de la transition écologique en matière de démantèlement des centrales pour la mise en œuvre de la loi de transition énergétique ou les soutiens aux employeurs d’apprentis pour les secteurs ENR et de rénovation thermique.
  • Les lycées notamment en matière d’économie d’énergie, mais aussi pour l’amélioration de l’équipement des lycées agricoles.
  • Des sujets plus prospectifs ou expérimentaux comme le revenu d’existence, la constitution d’un GIEC régional pour évaluer les effets du dérèglement climatique en Auvergne-RA, la recherche en matière de méthanation, la mise en place d’un pôle régional pour la promotion et la prévention de la santé.
  • Enfin l’arrêt de projets inutiles et contraires à nos orientations comme celui qui fait l’actualité en ce moment : je veux parler de Center Parcs sur la zone humide des Chambarrans.

Ces sujets sont en cours de discussion. Certains vont faire l’objet de débat dès cette Assemblée Plénière… Notre groupe s’est engagé largement et évaluera au travers du budget 2015 lui-même et des engagements que nous pourrons acter ensemble, sur ces questions et sur celles portées par les autres groupes de la majorité, comment nous terminerons ce mandat régional. Cela sera sans doute très dépendant de notre capacité à créer une dynamique forte, différente de celle actuellement proposée par l’Etat, dans laquelle un nombre croissant d’élus de notre majorité ne se reconnaît plus.

Pour conclure, nous croyons fortement à une nécessaire et profonde mutation de notre système institutionnel et démocratique.

Il n’est pas possible de continuer de croire qu’une réforme territoriale profonde et qu’un redécoupage des territoires peuvent se faire sans consultation des élus concernés et des citoyens.

Il n’est plus imaginable que les agents de nos collectivités apprennent par la presse la signature de protocoles réformant leurs fonctionnements sans qu’ils n’aient été consultés.

Il n’est pas concevable que les élus régionaux d’Auvergne et de Rhône-Alpes découvrent par un communiqué des orientations en matière de rapprochement des deux Régions sans qu’ils n’aient été associés.

Sur ces sujets, nous voudrions apporter toute notre approbation à une tribune récente, publiée dans le Huffington Post et intitulée :  » En politique, il y a une crise de la décision » par un contributeur particulièrement visionnaire, ancien ministre et actuel président d’une grande région française, dont voici un court extrait :

« La France est l’héritière de deux siècles de jacobinisme précédés d’une œuvre séculaire de centralisation monarchique. Aujourd’hui, la centralisation de notre pays a cessé d’être, …, plus que dans toute autre période, notre pays a besoin de changer le focus d’un processus de décision aujourd’hui en crise. Le paradigme jacobin français est un roi nu.

 Une élection, et c’est heureux, ne vous confère plus le blanc-seing pour décider pour tout et pour tous durant toute la durée de votre mandat. Nos concitoyens ont un besoin, un appétit même, de sens et veulent être, pour reprendre l’expression de Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, des « co-producteurs du futur », … »

 Nous devons nous départir de ces vieux réflexes d’Ancien Régime à la faveur desquels la politique serait encore « le secret du Roi », « le fait du prince » et qui renvoient à un monde politique suranné où les décisions se prendraient portes closes, au mépris des règles démocratiques et sous la pression invisible de lobbys ou de visiteurs du soir. Il est grand temps de tourner une page de notre culture politique et faire œuvre de transparence. » (fin de citation)

Vous l’aurez compris, à l’instar des citoyens que sont de plus en plus sceptiques, les élus écologistes savent depuis longtemps que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Au-delà des paroles, parfois fortes, nous attendons des engagements et des actions qui soient en cohérence avec les paroles.

Dire ce qu’on fait bien sûr mais aussi et surtout faire ce qu’on dit, voilà la condition de la transition !

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