L’éducation à l’environnement et au développement durable: nouveau gadget ou priorité pour tout le gouvernement ?

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Après les assises de l’éducation à l’environnement et au développement durable qui se sont tenues à Lyon, il est important de placer la question de sa place dans les pratiques d’éducation et de formation à la citoyenneté.

Par Annick Delhaye, Alain Chabrolle et Philippe Meirieu

Tribune parue sur HuffingtonPost.fr

Plus de mille acteurs de la société civile, du monde associatif, avec les partenaires sociaux, les collectivités territoriales, le secteur privé et l’État, ont participé, à Lyon1, aux troisièmes Assises nationales de l’Éducation à l’Environnement et au Développement Durable (EEDD). Ce succès témoigne de l’importance qu’a pris l’EEDD, laquelle n’est nullement un nouvel appendice ajouté, ces dernières années, aux « savoirs sérieux » enseignés dans les établissements scolaires.

Les tâtonnements qui ont présidé à sa mise en place dans l’Education nationale, les discussions sur son rattachement à une discipline ou son caractère transdisciplinaire, les hésitations actuelles pour la mettre en œuvre de manière systématique dans l’ensemble des niveaux d’enseignement et de formation, les difficultés pour stabiliser des méthodes d’enseignement efficaces au-delà des initiatives militantes… tout cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel ! Toute éducation véritable doit être aujourd’hui une Éducation à l’Environnement et pour un développement soutenable. Et cette dernière s’inscrit tout naturellement dans le prolongement des missions fondamentales de l’École et de l’éducation républicaine, de l’éducation populaire et des perspectives de mise en place d’une « formation tout au long de la vie ».

Cette question est maintes fois revenue au cours des récentes assises, tout comme celle de la place qu’elle doit tenir dans les politiques publiques. Que représente, en effet, l’EEDD par rapport à la difficile question de l’emploi, à celle des transports locaux, régionaux, au manque de logements et tout simplement à la misère grandissante ? Pourtant, il est clair que les problèmes d’emploi, de crise économique et de crise écologique – dont nous ne faisons qu’entrevoir les conséquences humaines, sociales et économiques – sont intimement liés à notre perception du monde et à nos modes de production et de consommation.

Trop nombreux sont ceux qui, encore aujourd’hui, réduisent l’EEDD à l’apprentissage de pratiques éco citoyennes, du tri des déchets à l’économie de l’eau. Cette approche, quoique nécessaire, est gravement réductrice et aussi dangereuse que celle des climato sceptiques qui nient tout risque à long terme pour l’environnement et sont persuadés que la technologie pourra réparer les dégâts fait par l’homme et le système techno-industriel.

Car l’un des enjeux du développement de l’EEDD réside dans la mise en œuvre de véritables pratiques d’éducation et de formation à la citoyenneté, à condition de se poser, sérieusement la question : qu’est ce qu’éduquer et former aujourd’hui ? C’est accepter l’idée qu’il s’agit de rendre les humains capables d’élargir leur horizon, d’entrer en relation avec l’altérité, de s’inscrire dans un « monde commun », comme dit Hannah Arendt, mais un monde dont nous savons maintenant qu’il est fini et que nous ne pouvons continuer à le piller indéfiniment ; c’est s’engager pour développer ce monde, le rendre plus accueillant, plus solidaire, plus « humain » pour aujourd’hui et pour demain, pour nous-mêmes et pour tous les êtres humains qui vivent sur la planète.

C’est pourquoi l’Ecole et tout le dispositif de formation doit être, simultanément et dans un même mouvement, instruction et socialisation : découverte, dans chaque apprentissage, de la solidarité qui relie les Hommes entre eux et avec le monde, comme de la temporalité qui les inscrit dans une histoire, leur permet de comprendre le présent et de préparer l’avenir. Double inscription : dans le temps et dans l’espace. Inscription dans le temps qui sédimente les savoirs, permet d’entrer dans l’intelligence de l’irréversibilité et de comprendre que le monde n’est pas un jouet… Inscription dans le temps, qui nous oblige à sortir de l’immédiateté et du « tout-tout de suite », pour anticiper et assumer notre responsabilité à l’égard du futur… Inscription dans l’espace aussi : passer de l’égocentrisme initial ou de l’individualisme galopant à l’inscription dans un réseau structurellement solidaire, que nous le voulions ou non. L’EEDD, c’est sortir du « soi – centre du monde » pour élargir son horizon, de soi à ses proches, de la famille à la classe, de la classe à l’école, de l’école au quartier, du quartier à la ville, de la ville au territoire, du territoire au pays, du pays au continent, puis au monde et à l’univers tout entier. Arpenter ainsi le monde et revenir systématiquement sur nos possibilités d’action au quotidien n’est jamais fini, ni pour l’enfant, ni pour l’adulte en formation. C’est une tâche qui doit être absolument prioritaire aujourd’hui.

Alors, face à l’urgence éducative, à l’urgence climatique, à l’urgence de la protection de la biodiversité, à l’urgence du respect de l’Homme et de sa dignité sur la planète, il est impératif de mettre en œuvre des programmes d’actions concrètes, efficaces, pour réduire immédiatement les impacts sociétaux et environnementaux destructeurs. Malheureusement, bien trop souvent, les atermoiements des politiques conjugués aux actions des lobbies industriels retardent toujours davantage la mise en place d’un travail rigoureux dans le domaine de l’environnement comme, plus globalement, dans la concrétisation de l’injonction à la solidarité, aussi incantatoire que vaine !

Alors oui, il y a urgence à s’adapter et à opter pour des comportements plus responsables écologiquement et socialement. C’est pourquoi nous demandons qu’au moment de la « refondation de l’école » et de la préparation d’un projet de loi sur la formation professionnelle, l’EEDD soit clairement identifiée comme un objectif prioritaire.

Bien sûr, cette éducation ne saurait se réduire à du dressage comportementaliste. Les changements ne sont porteurs d’espoir que s’ils sont associés à une véritable connaissance de l’environnement, et une reconnaissance de sa valeur. C’est pourquoi, au-delà des acteurs de l’EEDD, c’est bien la société toute entière qui doit en assumer la responsabilité : les familles, les collectivités territoriales, les entreprises, tout le tissu associatif et culturel. Ensemble, nous pourrons découvrir et faire découvrir les principes du fonctionnement écologique et éco-systémique du monde : des théories fondamentales jusqu’au moindre geste de l’humain.

Car L’Éducation à l’Environnement et pour un développement soutenable a mission de nous aider à découvrir et respecter le monde dans lequel nous vivons, mais aussi à comprendre les impacts de notre mode de vie, de nos modes de consommation sur notre environnement naturel, mais aussi sur notre environnement social et humain. Elle apprend à chacune et à chacun à « être au monde ». À se dégager de la juxtaposition des individualismes et à s’inscrire dans un collectif solidaire où le moindre geste compte. Qui peut prétendre qu’il n’y a pas là une urgence ?

Madame la Ministre de l’Écologie, au Développement Durable et à l’Énergie, Delphine Batho, a inscrit l’EEDD parmi ses quatre propositions pour la prochaine conférence environnementale de septembre 2013 : acceptons-en l’augure ! Espérons aussi qu’elle convaincra ses collègues en charge de l’enfance et la jeunesse, de la famille, de la santé, de l’Education nationale et de la formation professionnelle de s’engager résolument à ses côtés. Voilà un vrai chantier prioritaire pour tout le gouvernement !

Annick Delhaye, Vice-présidente du Conseil Régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, déléguée au développement soutenable, à l’environnement, à l’énergie et au climat
Alain Chabrolle, Vice-président du Conseil Régional de Rhône-Alpes, délégué à la santé et à l’environnement 
Philippe Meirieu, professeur à l’université LUMIERE-Lyon 2, Vice-président délégué à la formation tout au long de la vie de la Région Rhône-Alpes, président du Conseil fédéral d’EELV

 

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