Crise financière : un point de vue écologiste
Par nicole rouaire le vendredi 17 octobre 2008, 10:01 - Actu - Lien permanent
Discours prononcé par Yves Cochet à l'Assemblée nationale le 14 octobre 2008 suite à la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen.
Monsieur le président, je parle au nom des députés Verts.
La catastrophe actuelle n’est pas une crise financière, économique, écologique,
politique, sociale ou culturelle. Elle est tout cela à la fois et
simultanément, ce en quoi elle est totalement inédite.
Elle est, en un mot, une crise anthropologique. Pour le comprendre, il nous
faut remettre en question toutes nos croyances – et Dieu sait si elles sont
nombreuses ici. Il nous faut décoloniser l’imaginaire. Il nous faut penser
l’impensable.
La débâcle financière actuelle n’est pas d’abord, comme on l’entend ici ou là,
une crise de liquidité. C’est une crise de surgonflement des actifs
financiers par rapport à la richesse réelle, c’est-à-dire l’opposé d’une crise
de liquidité. Le marché financier, en d’autres termes le volume des
échanges de papier virtuel, est plus de vingt fois supérieur aux échanges de
l’économie réelle. La richesse réellement existante n’est plus suffisante,
comme jadis, pour servir de gage à la dette financière. Un seuil a été
dépassé : le seuil de liaison entre le capitalisme, fondé sur le crédit,
et les ressources naturelles, qui sont la base de toute richesse réelle.
L’effondrement financier actuel s’explique par le dépassement de ce seuil, par
la rupture de cette liaison. Autrement dit : la dette est totalement
dévaluée en termes de richesses réellement existantes. Avant l’intervention des
États et en l’espace de quelques jours, personne ne désirait plus échanger une
richesse réelle contre une dette, même rémunérée par un fort taux d’intérêt. La
dévaluation de la dette s’explique par cette déconnexion, et non pas par un
manque de crédit, d’argent en circulation ou de prêts entre banques – cliché
véhiculé ici et là.
La question principale est donc : la croissance de l’économie réelle
peut-elle être assez forte pour rattraper la croissance massive de la
dette ? Évidemment, la réponse est non. La croissance de l’économie réelle
est désormais fortement contrainte par la raréfaction des ressources naturelles
qui forment la base de tous les systèmes de sustentation de la vie économique
et sociale. Cette contrainte s’exerce à la fois en amont par la déplétion
minérale et fossile – par exemple le pic de Hubbert – et en aval par la
pollution de l’atmosphère, des terres et des océans.
En outre, les inégalités croissantes de revenus depuis trente ans n’incitent
pas les ménages à la consommer, sauf par le biais de crédits qui gonflent
encore plus la dette. Ainsi, les coûts marginaux de la croissance sont
désormais supérieurs à ses bénéfices marginaux. Autrement dit
encore : la croissance physique réelle nous rend de plus en plus
pauvres.
Pourtant, l’aveuglement des dévots de la croissance continue de plus
belle ! Ainsi, la déclaration émise par l’Eurogroupe avant-hier commence
de la façon suivante : ''« Le système financier apporte une
contribution essentielle au bon fonctionnement de nos économies et constitue
une condition de la croissance. »''
C’est une forme de religion, une théologie, une croyance. Mais l’économie
réelle n’est plus en croissance – même négative, madame la ministre : elle
est en récession ! Nous pourrions presque prendre des paris sur l’avenir,
hélas, car tout cela est bien malheureux. Ceux qui, malgré des signes
avant-coureurs objectifs, matériels et présents depuis des années, n’ont pas
anticipé, se trouvent fort démunis, y compris dans leur imaginaire.
Quel objectif devons-nous donc viser, en France et en Europe ? Il faudrait
que les banques tendent progressivement vers un taux de réserves idéal,
c’est-à-dire égal à 100 % de leurs prêts. Toutes les banques devraient devenir
graduellement de simples intermédiaires entre déposants et emprunteurs, et non
plus des « machins » qui créent de la monnaie à partir de rien et la
prête avec intérêt.
Comme je l’ai expliqué, la recherche de la croissance est désormais
anti-économique, antisociale et anti-écologique. La croissance est
appauvrissante. De toute façon, que vous le reconnaissiez ou non, que vous le
vouliez ou non, la récession est là ! Vous n’avez pas su l’anticiper car
vos modèles économiques sont périmés, et je crains, hélas, qu’à cause de votre
aveuglement, elle ne soit longue et pénible, notamment pour les plus
défavorisés, qu’ils vivent dans les pays de l’OCDE ou dans ceux du sud.
Toutes nos actions devraient être guidées par la volonté de faire décroître
l’empreinte écologique des pays de l’OCDE. Je sais – et les sourires que je
vois me le confirment – que les dirigeants du Conseil européen et vous-même,
monsieur le Premier ministre, avez un autre modèle en tête afin de retrouver la
croissance. Quelle illusion ! Vous essaierez de sauver la sacro-sainte
croissance à laquelle vous croyez parce que vous êtes incapables d’imaginer un
autre modèle économique, un autre type de société.
L’espoir d’une nouvelle phase A du cycle de Kondratiev succédant à la phase B
que nous traversons depuis trente ans, est vain. Nous ne sommes pas à l’aube
d’une nouvelle croissance matérielle ou industrielle, mais dans la phase
terminale du capitalisme, comme le disait Immanuel Wallerstein il y a trois
jours.
Les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites,
pour des raisons géologiques et économiques que vous ne voyez pas. Il
faudrait mettre en place quelque chose d’entièrement nouveau, une société de
sobriété dont je ne peux dessiner, de manière très sommaire, que quatre
orientations principales.
1° tendre à l’autosuffisance locale et régionale en matière énergétique et
alimentaire, au nord comme au sud.
2° aller vers une décentralisation géographique des pouvoirs – bref, vers une
France fédérale dans une Europe fédérale.
3° s’efforcer de relocaliser les activités économiques.
4° viser une planification concertée et l’instauration de quotas, notamment en
matière énergétique et alimentaire.
À défaut d’une telle vision et d’une telle action, je crains que notre
continent européen ne traverse bientôt des épisodes troublés dont nous
apercevons déjà les prémices. Je prends date aujourd’hui devant vous !
John Stuart Mill disait : « Aux grands maux, les petits remèdes
n’apportent pas de petits soulagements, ils n’apportent rien. »
Les grands maux actuels de l’Europe et du monde réclament donc une créativité
et une inventivité politiques inédites dans notre histoire. C’est à cette
hauteur de pensée et d’action que j’appelle les dirigeants européens, afin de
sauver la paix, la démocratie et la solidarité.
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