Selon un document déniché par Mediapart, le marchand d’armes Ziad Takieddine, organisateur en 2005 et 2007 des visites de Nicolas Sarkozy et de ses proches en Libye, aurait mis en place les « modalités de financement » de sa campagne présidentielle de 2007 par le régime de Kadhafi.
Le lendemain, comme par hasard, Ziad Takieddine lançait une requête pour suspicion légitime dans le but de dessaisir les juges d’instruction en charge de l’enquête sur sa mise en examen pour « complicité et recel d’abus de biens sociaux » dans l’affaire Karachi. Par cette action, monsieur Takieddine cherche tout simplement à empêcher le travail des juges d’instruction pour museler la Justice.
L’exemple vient d’en haut : Nicolas Sarkozy lui même avait proposé de supprimer les juges d’instruction,dans une intention qui apparaît de plus en plus clairement, à mesure que les révélations se font jour dans différentes affaires. Pendant tout le quinquennat, on ne compte plus les bâtons mis dans les roues du bon fonctionnement de la Justice : dessaisissement de plusieurs juges d’instruction (dont la juge Prévost-Deprez dans l’affaire Woerth-Bettencourt), instrumentalisation des faits divers, réforme de la carte judiciaire qui a supprimé des tribunaux dans des régions déjà sous-dotées en moyen judiciaire, nomination de procureurs amis, etc.
Mais le plus incroyable est que le président de la République, dans cette affaire comme dans d’autres, ne pourra jamais être entendu par un juge, même comme simple témoin. En France, le président de la République est « injusticiable », quoi qu’il ait fait avant d’être élu, quoi qu’il fasse pendant son mandat. Sans exception aucune. Aujourd’hui, aucun juge en France ne peut diligenter une enquête ou faire le moindre acte d’instruction pour vérifier si, oui ou non, l’actuel président de la République a bénéficié d’un financement libyen pour sa campagne de 2007, s’il a reçu il y a quelques années des sommes d’argent en liquide de la part de Mme Bettencourt, ou encore s’il a été l’organisateur des retro-commissions pakistanaises (l’« affaire Karachi ») destinées à financer la campagne présidentielle de son ancien mentor, Edouard Balladur.
Depuis 2001, lorsque j’ai aidé le jeune député Montebourg à rédiger une résolution de mise en accusation du président Chirac devant la Haute Cour, je n’ai eu de cesse de combattre cette impunité judiciaire du président de la République au nom d’un principe républicain élémentaire : la Justice doit être la même pour tous, que l’on soit puissant ou misérable . En 2011, avec le député écologiste Noël Mamère, j’ai préparé une proposition de loi constitutionnelle visant à supprimer cette impunité. En vain jusqu’à présent.
En proposant de mettre fin à l’immunité judiciaire absolue du président de la République, mais aussi au privilège de juridiction dont bénéficient les membres du gouvernement, Eva Joly a commencé à poser un élément essentiel de fondation d’une 6ème République. Fort heureusement, elle a été rejointe sur ce point par le candidat socialiste, François Hollande, qui a rompu clairement avec les tergiversations passées de ses amis.
Plus que jamais, l’exigence d’une République qui lutte contre la corruption et l’impunité doit être portée.La justice ne doit plus souffrir des tentatives répétées d’entraver son action. Il est clair désormais, que seul un changement de majorité permettra à la justice de faire son travail en toute indépendance. Ce n’est pas le moindre des enjeux de la présidentielle et des législatives qui suivront.