Accueil à l'Assemblée Article de Contexte : Pourquoi la législation française sur les pesticides ne tient pas ses promesses

Article de Contexte : Pourquoi la législation française sur les pesticides ne tient pas ses promesses

Lancé en 2008, le plan Ecophyto a pour but de réduire progressivement l’utilisation des pesticides en France. Les très grandes difficultés d’application vont amener le gouvernement à revoir sa stratégie. De nouvelles mesures sont attendues fin janvier.

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C’est le « rapport de la deuxième chance, qui peut aussi être la dernière ». L’agronome Jean Boiffin, qui a participé à l’élaboration du document remis au gouvernement par le député socialiste Dominique Potier, le 23 décembre 2014, décrit ce travail en ces termes. Les conclusions du rapport visent à mettre en place en France une nouvelle version du plan Ecophyto, dont le bilan est plus que contrasté.

Présentée en 2008, la première version du plan posait notamment l’objectif d’une réduction de 50 % de l’utilisation des produits phytosanitaires à l’horizon 2018.

Mais, « l’ambition politique en a pris un coup » selon Claudine Joly, en charge des pesticides chez France Nature Environnement, quand la députée Brigitte Allain (EELV) évoque un « bilan pas très intéressant ».

Même s’il juge nécessaire de relativiser, Dominique Potier va jusqu’à admettre « 0 % d’évolution » depuis 2008.

Un constat globalement négatif que les chiffres de l’utilisation des pesticides de l’année 2013, publiés juste avant Noël 2014, qui montrent une hausse de 9,2 %, ne viennent pas adoucir.

Pour renverser la tendance, un deuxième plan Ecophyto devrait voir le jour. Le gouvernement dévoilera à la fin du mois de janvier les grandes orientations retenues du rapport de Dominique Potier.

Sommaire

Un premier plan en 9 axes

Une demande européenne

Donner du temps au temps

Faibles progrès

Traitement différencié

Une deuxième version plus réaliste ?

Un premier plan en 9 axes

La première version du plan fait suite au Grenelle de l’Environnement de 2007. Son objectif est de réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques en zones agricoles et non agricoles.

Cette ambition s’organise autour de 9 axes :

  • Suivre l’usage des pesticides
  • Diffuser les pratiques et systèmes agricoles économes en produits phytosanitaires
  • Coordonner la recherche pour accélérer l’innovation
  • Former et encadrer les agriculteurs pour une utilisation moindre et sécurisée
  • Surveiller pour traiter au plus juste
  • Prendre en compte les spécificités des DOM
  • Agir en zone non agricole
  • Organiser la gouvernance du plan et communiquer
  • Renforcer la sécurité pour les utilisateurs

Ces axes sont déclinés en 114 actions, le tout pour un budget de 41 millions d’euros par an.

Une demande européenne

Au plan européen, la réglementation relève du « paquet pesticides ».

Avec deux règlements et deux directives, cette série de textes, adoptés en 2009, consolide la législation européenne afin de mieux protéger les consommateurs et l’environnement. Entrés en application en 2011, ils mettent l’accent sur la réduction de la dépendance des cultures aux produits pesticides, grâce à l’emploi de techniques issues de l’agronomie et de l’agriculture biologique (protection « intégrée » des cultures).

La directive « pour une utilisation des pesticides compatibles avec le développement durable » a instauré l’obligation pour chaque État de mettre en place un plan d’action afin de réduire l’usage des produits phytosanitaires.

C’est ce que la France a anticipé, en 2008, avec son plan Ecophyto. Mais en posant l’objectif d’une réduction de 50 % d’ici 2018, elle s’est montrée ambitieuse, peut-être trop.

Donner du temps au temps

Dominique Potier avait fait un premier point d’étape en 2013 en s’entretenant avec les acteurs du secteur. Pour cette nouvelle version, pas moins d’une centaine d’auditions ont été menées et sept déplacements sur le terrain réalisés.

Plusieurs raisons ont pu jouer contre l’objectif de réduction, conclut-il :

  • La mauvaise météo de ces dernières années

L’été 2014 a par exemple connu deux fois plus de précipitations que la moyenne saisonnière et des températures particulièrement fraîches, que ce soit en juillet ou en août. Or, l’humidité favorise la prolifération de limaces ou mauvaises herbes, explique le ministère de l’Agriculture.

Il faut « intégrer la variabilité du vivant », résume Nicolas Marquet, en charge de la communication de l’UIPP (Union des industries pour la protection des plantes).

  • Les évolutions du secteur agricole

Le décalage des prix entre produits végétaux et animaux incite les agriculteurs à s’orienter vers la culture (plus consommatrice de pesticides) plutôt que vers l’élevage. L’agrandissement des exploitations pousse également à l’utilisation des phytosanitaires.

  • Le comportement des consommateurs qui veulent des fruits et légumes à l’apparence irréprochable et réclament des tomates en toute saison.
  • Des carences dans la formation des agriculteurs, qui ne prend pas suffisamment en compte les évolutions du secteur ainsi que le faible développement de l’agroécologie.
  • Le retard de la recherche pour proposer des alternatives aux pesticides

Mais, pour Dominique Potier, l’explication majeure est peut-être à trouver ailleurs :

« On a peut-être mal évalué le temps de la mise en œuvre des outils et des prises de conscience », concède-t-il.

D’autant que l’âge moyen des agriculteurs est plutôt élevé (47,8 ans pour les chefs d’exploitations en 2011).

« Ce sont donc des gens qui ont appris avec l’agrochimie présentée comme un modèle, comme le progrès. C’est long de changer de vision », souligne Brigitte Allain.

Dominique Potier se veut cependant optimiste. Selon lui, la première version du plan a au moins le mérite d’installer un nouvel état d’esprit et d’avoir enclenché une mobilisation des acteurs qui reconnaissent désormais l’enjeu du sujet.

Faibles progrès

Parmi les 9 axes du plan, Nicolas Marquet de l’UIPP estime que les premiers jalons ont été posés. Il cite notamment le Certiphyto, ce certificat professionnel obligatoire pour utiliser des produits phytosanitaires.

Dominique Potier souligne d’ailleurs que les outils, eux, sont là et « vont continuer à produire des effets, mais on ne peut pas s’en contenter. Il faut changer de logiciel et surtout de vitesse. »

L’UIPP regrette cependant une focalisation sur l’objectif de 50 % de réduction des pesticides, d’autant que la fédération juge ce chiffrage « totalement arbitraire ».

Pour Brigitte Allain, l’échec du plan est surtout un problème de manque de moyens et d’accompagnement. Il faut des gens allant à la rencontre des agriculteurs. Or, aujourd’hui, dans les chambres d’agriculture, « on n’a plus d’agents de développement qui créent des synergies, mais des techniciens qui répondent à des demandes individuelles », regrette-t-elle.

Ces chambres pourraient aussi contribuer davantage à faire appliquer la loi, selon l’élue écologiste. Certains acteurs ne tiennent pas compte de cet objectif de réduction, souvent car ils n’y voient pas leur intérêt, notamment économique, argue Claudine Joly de France Nature Environnement.

Traitement différencié

D’autres dispositifs français concernent l’usage des pesticides en dehors du plan Ecophyto.

Les mesures visant à limiter les impacts de l’usage des phytosanitaires incluses dans la loi d’avenir agricole votée en septembre à l’Assemblée nationale en font partie. Celles-ci prévoient que l’usage des pesticides à proximité des écoles, hôpitaux ou encore des maisons de retraite devra être « subordonné à la mise en place de mesures de protection adaptées » ou à défaut respecter une distance minimale pour une utilisation (article 53).

Mais les contrôles sont difficiles à mener et ne peuvent le plus souvent se faire que sur dénonciation.

Face à ces réticences côté agriculture, le ministère de la rue de Varenne veut progresser pas à pas, en recevant les acteurs agricoles pour échanger et en utilisant le levier de la formation des exploitants par exemple.

Mais les agriculteurs ne sont pas les seuls concernés. Si le plan Ecophyto pose un objectif de réduction, les parcs et jardins, eux, vont devoir faire face à une interdiction totale.

Initialement, le dispositif prévu par la loi Labbé devait entrer en vigueur fin décembre 2020. Mais un amendement du gouvernement dans le cadre de la loi sur la transition énergétique portée par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal a ramené cette date à décembre 2016, provoquant l’ire de l’Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ), qui rassemble les professionnels.

Le secteur s’estime « victime d’acharnement au nom d’une politique d’affichage ». Il argue avoir déjà entrepris la mise en œuvre de cette interdiction, mais en se fondant sur la date butoir de 2020. Le délai de 2016 lui semble impossible à tenir.

Le directeur général de l’UPJ, Jacques My, déplore surtout « ne pas avoir accès au cabinet de la ministre » malgré sa demande d’être reçu. « Le dialogue n’existe pas », regrette-t-il.

La méthode semble donc bien différente de celle choisie par le ministère de Stéphane Le Foll.

Cette écoute attentive des agriculteurs s’explique, selon Claudine Joly :

« On considère que l’agriculture est quelque chose qui fonctionne bien. Le ministère protège l’un des rares secteurs positifs en terme de commerce extérieur. »

Une deuxième version plus réaliste ?

Les recommandations de Dominique Potier ont été présentées à Manuel Valls, Ségolène Royal et Stéphane Le Foll le 23 décembre. L’objectif de 50 % de réduction d’ici 2018 est repoussé à 2025. Dominique Potier a donc fixé un objectif plus réaliste d’une réduction de 25 % d’ici 2020.

Un but « atteignable seulement en cas d’optimisation des pratiques ». Seule la mise en place de nouveaux outils, accompagnés de « réformes écosystémiques » permettra une réduction de moitié, estime le député socialiste. Ce qui constitue un chantier de long terme.

C’est en fait tout un modèle qui est à revoir estime le député de Meurthe-et-Moselle. Et la seule volonté du gouvernement n’y suffira pas. L’une des conditions indispensables à ce changement de paradigme est de faire évoluer la PAC (proposition 48), notamment lors de la révision en 2020. Si Paris peut participer à sa redéfinition pour aller vers une agriculture plus écologique, elle n’a pas toutes les cartes en main pour autant, et les négociations à 28 sur ce sujet sont souvent ardues.

Mettre en place une stratégie de recherche et d’innovation est aussi primordial, mais ne peut se faire du jour au lendemain.

Avec ses 68 propositions, Dominique Potier présente un plan ambitieux. Selon lui, la France a « raison d’être exigeante » sur ce sujet, de vouloir être plus volontariste que l’Union européenne. « Il faut une harmonisation par le haut plutôt qu’une course au low cost ».