Loi littoral. Des menaces bien réelles…
Cette semaine était adoptée au Sénat, en première lecture, la proposition de loi du groupe socialiste de l’Assemblée Nationale portant sur l’Adaptation des territoires littoraux au changement climatique. L’intérêt de cette proposition résidait dans une meilleure prise en compte du risque de recul du trait de côte entraîné par une montée générale des eaux sur notre planète, qui semble aujourd’hui inévitable. Intervention de Ronan Dantec, sénateur EELV….
« Je tenais ici à vous alerter sur des amendements adoptés contre l’avis du gouvernement et qui remettent en cause des principes fondamentaux de la loi Littoral. Ces amendements contiennent plusieurs menaces pour la loi Littoral. Ils prévoient la remise en cause du principe de non discontinuité dans les aménagements par la possibilité de construction de zones d’activités économiques et un principe de densification des dents creuses dont la définition des limites est très imprécise.
Nous espérons que ces amendements ne seront pas retenus par l’Assemblée Nationale mais il faudra rester vigilants face au risque d’un compromis, soutenu par les parlementaires socialistes, qui, sans aller aussi loin que les amendements proposés ici par la droite, pourraient eux aussi ouvrir des brèches dans la loi Littoral.
Vous trouverez le contenu de mon intervention dans la Discussion Générale sur cette proposition de loi ici et ci-dessous, ainsi qu’un article d’Actu-environnement concernant cette proposition de loi modifiant la loi Littoral, et la dépêche de l’AFP concernant l’adoption de la loi au Sénat.
J’en profite pour vous adresser mes meilleurs vœux pour l’année 2017. »
Bloavezh mad !
Ronan Dantec
- Intervention DG du 11 janvier 2017 – Ronan Dantec – 6 minutes
Madame la Présidente, Madame la Ministre, Monsieur le rapporteur, Monsieur le Président, Mes chers collègues,
En mars 2016, une équipe de chercheurs en climatologie de l’Université du Massachussets a publié dans la très sérieuse revue Nature, que tout le monde connaît, des chiffres extrêmement alarmants concernant la montée des eaux sur notre planète. Ils estiment l’augmentation moyenne du niveau des océans de plus d’un mètre d’ici la fin de ce siècle et jusqu’à une quinzaine de mètres dans les siècles qui suivront, du fait du début de la fonte de l’Antarctique, dans le cas évidemment où nos émissions de gaz à effet de serre ne seraient pas réduites drastiquement dans les toutes prochaines années. D’autres études, dont certaines évaluent d’ailleurs à une côte plus élevée la montée des eaux au 21ème siècle, insistent, elles, sur l’accélération de cette montée des eaux (actuellement 3-4 mm par an) à partir de 2030 environ, du fait de la désagrégation des langues glacières qui bloquent encore aujourd’hui le glissement des glaciers du Groenland vers la mer.
A ce sujet, le rapport d’information sénatorial d’octobre 2015 sur « les conséquences géostratégiques du changement climatique », de nos collègues Cédric Perrin, Leila Aïchi et Éliane Giraud pointait, lui aussi, le phénomène d’érosion côtière qui pourrait provoquer un recul d’ 1m/an, c’est évidemment une moyenne, du trait de côte dans le monde et donc aussi en France. C’est pourquoi, dans l’une des propositions établies dans ce rapport et adoptées à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, est proposé le « développement des études de l’évolution du niveau de la mer au niveau local, y compris pour les côtes françaises intégrant l’ensemble des processus, y compris ceux qui influencent la morphologie des côtes ». Par ailleurs, ils préconisent un travail de « relocalisation des activités situées dans les zones les plus risquées ».
A l’appui de ces propositions, dans son dernier rapport de 2015 sur « le littoral dans le contexte de changement climatique », l’ONERC affirme enfin que « l’anticipation doit guider toute stratégie » de développement des territoires côtiers.
L’intérêt de la proposition de loi initiale discutée ce soir n’est donc pas à démontrer. Il s’agit de prendre totalement en considération un facteur de risque majeur, dont on ne mesure probablement pas encore totalement les conséquences, y compris, et dans un délai probablement assez court maintenant, une dépréciation forte de la valeur des biens immobiliers menacés demain par la montée des eaux. Et cette dépréciation, j’insiste toujours sur ce point-là, n’attendra pas que l’eau arrive le perron des lotissements, mais elle l’anticipera de plusieurs décennies. Cela veut dire que c’est toute l‘économie immobilière qui peut-être dès les prochaines années totalement fragilisée par ce phénomène de montée des eaux et par les prévisions à venir des scientifiques.
En ce sens, par rapport à ce que nous discutons ce soir, la proposition de suppression de l’article 8 bis prévoyant l’information par les professionnels de l’immobilier des acquéreurs sur les risques de recul du trait de côte apporte un léger doute quant à une réelle prise de conscience de ce facteur risque extrêmement important. C’est pourtant un signal nécessaire pour que dès aujourd’hui nous développions une stratégie d’anticipation économique, et probablement bien au-delà du Fonds Barnier, d’un phénomène malheureusement inéluctable pour les prochaines décennies. Même si, pour le long terme, nous espérons toujours tous qu’une action internationale forte et résolue permettra de stabiliser le climat.
Il s’agit aussi certainement, il faudra le remettre sur la table, de se mettre d’accord sur la montée des eaux prévisible au 21ème siècle. C’est un exercice difficile que la France ne peut pas faire seule, mais on ne pourra pas faire l’économie de ce débat nécessaire.
Ce sujet doit totalement suffire à nous mobiliser. Je regrette donc profondément que ce soir une part importante de nos débats – j’anticipe un peu – tourne beaucoup autour de l’avenir de la loi littoral, qui n’était pas le sujet de départ. Toute remise en cause des dispositifs de cette loi fondamentale de préservation de nos espaces côtiers, de nos paysages et d’un de nos grands atouts touristiques, devrait faire l’objet de débats approfondis et nécessite énormément de précautions. Nous savons tous que tout assouplissement de la loi littoral – il suffit de se balader sur nos côtes dans le sud comme en Bretagne – a toujours entraîné une surinterprétation de la règle, avec des conséquences négatives que nous mesurons sur nos paysages.
De fait, l’accumulation, ce soir, d’amendements non précédés d’une réelle étude d’impact – cela a été dit avant moi – amène à fragiliser certains grands principes de la loi littoral, notamment sur le refus de toute discontinuité dans les aménagements. La discussion de ce matin en commission a d’ailleurs montré que tous les débats n’étaient pas mûrs. Par exemple, sur les localisations de zones d’activités qui ne peuvent plus être appréhendées à l’échelle communale après que, dans la loi NOTRe, nous ayons confié l’économie comme compétence aux intercommunalités. C’est un exemple du fait que je pense que sur un certain nombre des éléments qui vont être discutés ce soir, nous nous sommes précipités.
Le groupe écologiste n’est pas opposé à des adaptations très limitées de la loi littoral naissant de situations ubuesques, il y en a quelques-unes. Mais remettre en cause ses grands principes au nom de quelques exemples que nous connaissons, ne me semble pas être de bonne politique. Sans quoi, évidemment, la substance initiale de la loi littoral, dont tout le monde reconnait l’importance, au moins dans le discours, sera inévitablement altérée. Et nous savons tous, et je conclurai ainsi, que si les brèches dans les digues peuvent annoncer l’érosion d’un territoire entier, les brèches dans la loi littoral pourraient aussi la balayer à la première tempête. Surtout que nous connaissons aujourd’hui l’instabilité de la météo politique. Je vous remercie.
- Article d’actu-environnement du 9 janvier 2017
Urbanisation : une proposition de loi modifie la loi Littoral
La proposition de loi pour l’adaptation des territoires littoraux introduit des dérogations au principe de l’urbanisation en continuité de la loi Littoral. Elle précise également les motifs d’extension de la bande littorale des cent mètres.
Pour ses 31 ans, la loi Littoral pourrait se voir proposer un remodelage. Après sa lecture par les commissions des lois et de l’aménagement du territoire du Sénat, la proposition de loi pour l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique s’est dotée de dispositions qui modifient certains de ses grands principes. « Vieille de plus de trente ans, celle-ci a été rédigée à une époque où les risques liés au changement climatique n’étaient pas pris en compte, a estimé Michel Vaspart, sénateur Les Républicains des Côtes-d’Armor, membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Elle constitue aujourd’hui un frein à la relocalisation des activités menacées par le recul du trait de côte. On se retrouve dans la situation paradoxale où des collectivités ayant élaboré des stratégies locales pour faire face à l’érosion côtière sont actuellement bloquées pour les mettre en oeuvre, alors qu’elles ont répondu aux appels à projet du Gouvernement sur la relocalisation. C’est notamment le cas à Lacanau (Landes) ».
Une dérogation au principe de l’urbanisation en continuité
« [La loi littoral] constitue aujourd’hui un frein à la relocalisation des activités menacées par le recul du trait de côte »
Michel Vaspart, sénateur Les Républicains des Côtes-d’Armor
Un des amendements adoptés lors des discussions sur cette proposition de loi ouvre la possibilité de déroger au principe de l’urbanisation en continuité de la loi Littoral. Il permet une densification des hameaux, en dehors des espaces proches du rivage, lorsque les proportions en hauteur et en volume du bâti existant sont respectées. Son objectif serait d’amener des constructions sur des parcelles situées entre deux terrains construits dans un même hameau, appelées « dents creuses » et ainsi les combler. Cette disposition figurait notamment dans un rapport sénatorial en faveur d’une « décentralisation de la loi Littoral ».
Seront également autorisées les constructions ou installations liées aux activités agricoles, forestières ou aux cultures marines, l’édification d’annexes (abris de jardin, garage) de moins de 20 mètres carrés à proximité d’un bâtiment existant (en interdisant leur changement d’affectation). L’amendement encadre également la relocalisation des aménagements menacés par l’érosion des côtes. La proposition de loi veut créer des zones d’activité résilientes et temporaires dans lesquelles des plans fixent la durée maximale pendant laquelle des constructions peuvent être réalisées, utilisées, exploitées ou déplacées. Les ouvrages, aménagements ou exploitations situés dans ce périmètre pourront être relocalisés dans des zones désignées. « Lors des auditions, on nous a expliqué qu’une zone d’activité résiliente et temporaire (Zart) ne pourrait être créée qu’en continuité d’une urbanisation déjà existante, en raison de la loi Littoral. Cela signifie qu’au fur et à mesure du recul du trait de côte, il faudra faire reculer les activités régulièrement, a argumenté Michel Vaspart. Est-ce tenable économiquement ? Tout le monde a-t-il vraiment besoin d’être au bord du littoral ? Notre idée est de déconnecter ces zones de la continuité urbaine pour mieux les reculer ». Le texte prévoit néanmoins que ces dérogations soient soumises à l’accord de l’administration après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. De plus, les hameaux et les zones de relocalisation devront avoir préalablement été identifiés par un schéma de cohérence territorial (SCoT) et délimités par un plan local d’urbanisme (PLU), selon la procédure de modification simplifiée. Aujourd’hui, selon le rapport du Sénat, 546 Scots ont été adoptés sur les 1.212 communes littorales.
Un cadre pour les motifs d’extension de la bande littorale au-delà des cent mètres
Un autre amendement inspiré de ce rapport vient préciser les motifs d’extension de la bande littorale des cent mètres. Aujourd’hui, le plan local d’urbanisme peut porter la largeur de la bande littorale, pour laquelle il est interdit de construire, à plus de cent mètres, lorsque des motifs liés à la sensibilité des milieux ou à l’érosion des côtes le justifient. Avec le nouveau texte, une collectivité peut étendre cette inconstructibilité lorsque la protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l’érosion des côtes, la prévention des risques naturels liés à la submersion marine ou la préservation des sites et paysages et du patrimoine le justifient. Plusieurs sénateurs ont regretté que le texte prenne la forme d’une proposition de loi et non pas d’un projet : ce choix la dispense en effet d’une étude d’impact. Une étape pertinente au vue des modifications sur la loi Littoral. « La loi Littoral est économiquement positive car elle rend l’offre touristique française meilleure que celle de ses voisins, a pointé Ronan Dantec, sénateur écologiste de la Loire-Atlantique, viceprésident de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Remettre en cause l’urbanisation en continuité crée un risque de mitage du territoire. Avoir autorisé la construction sur les ruines mène à des cas où deux pans de murs ont été remplacés par une maison. Soyons stricts pour éviter les risques de contentieux ». Lors d’un séminaire organisé par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) pour les 30 ans de la loi Littoral, Lucien Chabason, co-rédacteur de la loi avait alors indiqué : « Il faut adopter une attitude plus active par rapport au changement climatique. A l’époque, nous nous concentrions sur la défense contre la mer… Cependant, prendre la loi Littoral comme prétexte, je suis méfiant : le problème est plus général, de gestion ».
Dorothée Laperche, journaliste Rédactrice spécialisée
- Dépêche AFP du 12/01/2017
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Parlement | Sénat | environnement | climat | énergie | ||
Paris, FRANCE | AFP | 12/01/2017 14:48 UTC+1 | ||
Le Sénat a assoupli dans la nuit de mercredi à jeudi la loi littoral à l’occasion de l’examen de la proposition de loi destinée à adapter les territoires littoraux au changement climatique. Le Sénat a adopté en première lecture cette proposition de loi initiée par les députés socialistes pour mieux prendre en compte le fait que la limite entre terre et mer, le « trait de côte », évolue chaque année du fait de l’érosion. Elle doit retourner à présent devant l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont voté un amendement proposant de nouvelles dispositions assouplissant la loi littoral, en particulier en autorisant le comblement des « dents creuses », c’est-à-dire les constructions sur des parcelles situées entre deux terrains construits dans un même hameau. « Il ne s’agit pas de remettre en cause la loi littoral, texte protecteur des paysages, mais de l’adapter aux nouveaux enjeux des espaces littoraux et de répondre aux difficultés rencontrées par les élus locaux pour aménager leur territoire », a souligné l’auteur de l’amendement, Philippe Bas (LR, Manche). « Une brèche dans une digue annonce l’érosion d’un territoire entier. Une brèche dans la loi Littoral et elle sera balayée à la première tempête », a mis en garde en s’y opposant l’écologiste Ronan Dantec (Loire-Atlantique). « Si une rationalisation réglementée et une sécurisation juridique sont nécessaires, il n’est bien évidemment pas question un seul instant d’envisager la privatisation et le bétonnage des côtes », a déclaré de son côté Odette Herviaux (PS, Morbihan). S’agissant de l’indemnisation des risques liés au recul du trait de côte, les sénateurs ont supprimé le nouveau mécanisme de financement jugé trop flou, au profit de l’intervention du fonds dit « Barnier » de prévention des risques naturels majeurs. Technique, la proposition de loi, qui vient compléter les mesures déjà prises pour faire face aux inondations et submersions marines, vise une meilleure prévention du recul du trait de côte. Elle l’intègre par exemple dans les risques devant faire l’objet d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles et prévoit une meilleure information des populations, notamment dans l’immobilier. La ministre du logement Emmanuelle Cosse a rappelé que l’érosion « grignote peu à peu » les 7.500 km de côtes françaises, et que 303 communes métropolitaines ont été identifiées comme prioritaires pour prévenir les risques analogues à ceux révélés par la tempête Xynthia. |