« Pourquoi nous devons dire oui au TSCG » par Jean-Paul Besset

Jean-Paul Besset

Pourquoi nous devons dire oui au TSCG

Présenter le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) comme une camisole de force obligeant les Etats européens à s’appliquer une austérité permanente et généralisée n’est pas conforme à la réalité de ce traité, ni dans sa lettre ni dans son esprit. Cette interprétation abusive épouse démagogiquement l’immense désarroi engendré par la crise en fabriquant de toute pièce un bouc émissaire. Si la Grèce, le Portugal ou l’Espagne se sont vus imposer des conditions d’austérité insoutenables et si certains rêvent d’étendre celles-ci à d’autres pays, c’est parce que ceux qui sont aujourd’hui à la manœuvre – les gouvernements formant le Conseil européen et la troïka, Commission européenne, BCE et FMI – agissent sous l’influence d’une orthodoxie libérale décomplexée qui n’a d’autre cible que la réduction des dépenses publiques. Le Traité n’est en rien responsable de cette politique de gribouille. Faudrait-il d’ailleurs qu’il soit entré en vigueur, ce qui n’est pas encore le cas…

Que dit le Traité ? Il fixe essentiellement deux objectifs : la réduction des déficits publics « structurels » à 0,5% du PIB et un retour à un ratio de dette de 60%. Objectifs difficiles à atteindre tant la dérive du financement du modèle de développement dominant (la valse des déficits et le recours immodéré à la dette remplaçant le défaut de croissance infinie) est devenue la colonne vertébrale et l’addiction centrale des politiques menées ces dernières années. Objectifs abrupts mais objectifs indispensables dans la mesure où toute politique, tout projet, tout progrès sont aujourd’hui pris au piège de l’endettement. Rien n’est plus possible si ce n’est une gestion au fil de l’eau accompagnant la dépression économique et sociale.

La rupture

La maîtrise des déficits, sacralisée par le TSCG, constitue donc un changement de cap majeur par rapport à la fuite en avant caractéristique du productivisme, en matière financière comme ailleurs – posant en même temps un pas fédéraliste de coordination budgétaire et de souveraineté économique partagée, soit un « plus » européen.

Si, ironie de l’histoire, ce sont les responsables du laxisme budgétaire extrême qui ont concocté ce traité – les gouvernements européens, Sarkozy en tête -, c’est parce que la crise des dettes souveraines ne leur laissait pas d’autre alternative que de se fracasser contre le mur ou de tenter de rompre avec la spirale du déficit, comme le principal bailleur de fonds, l’Allemagne, les y invitait vivement.

Le Traité n’impose en revanche aucun calendrier ni aucune méthode pour y parvenir (exceptée la réduction des dettes au-delà de 60% à hauteur d’un vingtième par an). Les Etats restent libres des délais et des formes. Nulle part n’est gravé dans le marbre que la « discipline budgétaire » doive s’accomplir à marche forcée ni qu’elle implique nécessairement la réduction des retraites, la baisse des salaires ou la compression des prestations sociales. Au nom de quoi la rigueur des comptes publics se traduirait-elle mécaniquement par l’austérité pour les couches populaires et moyennes, en vertu de quel principe la sobriété collective impliquerait-elle un avenir de sueurs et de larmes, pourquoi la discipline commune s’opposerait-elle à l’équité sociale et à l’équilibre écologique ? Faudrait-il que les déficits soient la condition d’une bonne politique écologique et sociale ? Nos élus régionaux en savent quelque chose. Ne parviennent-ils pas à inscrire leur action dans le cadre d’une « règle d’or » franco-française interdisant aux Régions d’adopter des budgets en déficit (disposition préventive qui a permis à nos collectivités territoriales d’éviter la situation catastrophique des régions espagnoles et italiennes) ?

Une fois le cap fixé, les choix de navigation restent libres, entre nouvelles recettes et économie de dépenses, selon les priorités dont chaque Etat européen se dotera démocratiquement. Aucun pays n’est ligoté, chacun doit seulement savoir s’autolimiter selon ses ressources et renoncer à l’insoutenable légèreté d’un développement à crédit. La notion de « déficit structurel » (c’est-à-dire, ce qui reste du déficit public une fois qu’on en a expurgé les aléas de la conjoncture économique d’un pays) introduit d’ailleurs une variable de souplesse, ouvrant à chaque pays, selon sa situation, un champ d’interprétation et de gestion au-delà des 0,5% exigés. Dans ce cadre, on peut imaginer l’hypothèse de comptabiliser hors déficit structurel les investissements écologiques et sociaux. Ou encore retenir l’option d’un grand emprunt européen pour financer la transition écologique (2000 milliards sur dix ans) qui serait contracté auprès de la BCE et non auprès des marchés afin d’éviter d’alourdir les déficits et de creuser la dette.

En réalité, le Traité se jouera politiquement, dans ses effets induits, c’est-à-dire dans les choix et les moyens mis en œuvre pour parvenir à la stabilité financière. Où et comment augmenter les recettes, où et comment réduire les dépenses ?

C’est là que notre vigilance sera requise – la tentation de faire aveuglément feu sur les dépenses publiques disposant évidemment de forts bastions -, c’est là que nos propositions – réduction des niches, fraudes et évasions fiscales, régulation bancaire d’airain, imposition du capital, disparition des subventions anti écologiques, chasse aux multiples gaspillages du bien commun que constitue l’argent public, pacte d’investissement écologique – trouveront matière à s’exprimer positivement. Le rendez-vous est décisif pour l’écologie politique : le Traité lui ouvre l’espace pour développer ses solutions et faire entendre sa différence.

De notre point de vue donc, les deux objectifs du Traité ne sont pas diaboliques, contrairement aux caricatures ou aux préjugés qui ont cours. Nous pensons qu’ils sont positifs :

  • ils sont de nature à permettre d’échapper aux diktats des marchés en réduisant progressivement les besoins d’emprunt et, subséquemment, en donnant aux peuples et aux politiques le moyen de recouvrer une souveraineté réelle pour réaliser leurs choix ;
  • ils engagent l’Europe vers plus d’intégration, budgétaire en l’occurrence, qui conforte l’union monétaire et ouvre sur une convergence bancaire, fiscale et économique qui permet d’envisager à la bonne échelle une sortie de crise par la transition écologique ;
  • ils sont en cohérence avec notre vision écologique de la société et du futur. Oui, la dette est la fille ainée du délire productiviste et les déficits qui l’alimentent sont les ennemis déclarés de l’écologie. Oui, leur décroissance est indispensable. Oui, le respect des équilibres financiers mérite autant d’attention que celui des écosystèmes dans la mesure où la rupture de l’un ou de l’autre laisse planer la menace d’un collapsus collectif. Oui, la fuite en avant financière participe à l’ordre de la démesure. Oui, le temps de l’insouciance et de l’excès doit là aussi s’interrompre.

La dynamique

Néanmoins, pris isolément, le TSCG vaudrait qu’on s’en méfie. La seule discipline budgétaire ne constitue pas en effet une garantie suffisante pour sortir de la crise et engager la transition vers une économie verte. Un « blitz » budgétaire n’aboutirait qu’à un exercice de cure récessionniste, susceptible de tuer le malade, quasi suicidaire, s’il ne s’accompagnait en même temps d’un effort d’investissement pour lui donner un sens, créer de l’emploi, retrouver un niveau d’activité compatible avec les besoins sociaux et le substrat écologique, finançant de surcroît le désendettement grâce à la hausse des recettes fiscales.

C’est là qu’interviennent les « compléments » au Traité sur lesquels le Conseil européen du 29 juin s’est engagé sous l’impact de l’élection de François Hollande : pacte dit de croissance, taxation des transactions financières, supervision bancaire, abondement de la Banque européenne d’investissement (BEI)… Le TSCG n’est donc plus réduit à la seule contrainte d’une stricte orthodoxie budgétaire. Il doit s’appréhender en fonction de la dynamique économique et politique qu’il peut ouvrir.

Les pistes ouvertes par le Conseil européen (que les autorités bruxelloises doivent concrétiser d’ici la fin de l’année sous la forme d’une feuille de route et qui pourront être amendées/complétées/enrichies) sont encore loin d’être des voies royales et recèlent bien des incertitudes. Quelle ampleur et quelle destination du produit de la taxation financière, quel fléchage des investissements sur la transition énergétique et l’économie verte, quelle force de levier de la BEI, quelle redistribution des fonds de cohésion, quelle intervention de la BCE, quels modes de gouvernance pour conduire la feuille de route ? Autant de questions complexes autour desquelles le consensus européen sera une fois de plus délicat à négocier. Mais le paysage a changé. Il s’inscrit désormais dans une volonté de compromis entre deux nécessités reconnues indissociables : rigueur et relance.

Une dynamique de sortie de crise est désormaispossible. Elle est fragile, non garantie, mais réelle.

C’est là encore que nous sommes requis pour inscrire l’empreinte écologique. Dans le cadre de l’assainissement des finances publiques, hors duquel rien n’est envisageable, l’enjeu porte maintenant sur le contenu du volet d’investissement et les moyens de le financer. Nous savons grosso modo ce qu’il faudrait faire, nous disposons de la panoplie des argumentaires et des expertises dans nos programmes français et européens. A nous, là où nous sommes en situation de peser, en France, en Allemagne, en Belgique, au Parlement européen, de contribuer à fixer des objectifs (des objectifs, pas des conditions car nous ne sommes pas en état d’imposer quoi que ce soit après nos déculottages électoraux récents) qui aillent dans le sens de l’intérêt général et qui, faut-il le préciser, n’appartiennent pas au credo d’une relance keynésienne de la croissance. C’est là encore un champ d’implication des écologistes pour construire le chemin, à condition qu’on partage cette conception du rôle d’Europe Ecologie-Les Verts.

En votant pour le Traité, nous voterons donc aussi pour les pistes ouvertes par le Conseil européen. Notre « oui » au TSCG est un « oui » accompagné d’un « si », c’est-à-dire si les conditions qui l’accompagnent n’ont pas peur de leur ombre, si elles sont de nature à engager une sortie de crise. Mais ces conditions, nous n’attendrons pas qu’elles tombent du ciel, nous nous impliquerons pour les réunir.

La cohérence

Si nous acceptons le Traité et ses compléments, ce sera sans se boucher le nez ni de manière honteuse, par opportunisme politique. Nous le ferons parce que nous jugeons sur le fond que ce « paquet » présente une issue raisonnable, accessible, et que ses dispositions, même si elles ne sont pas trempées dans la meilleure encre écolo, n’érigent pas d’obstacles rédhibitoires à nos yeux. Au contraire. Elles actent un principe d’équilibre financier correspondant à notre représentation du monde et elles présentent des opportunités d’investissements écolo compatibles.

Deux éléments supplémentaires doivent conforter notre résolution.

La responsabilité européenne. Le Traité et ses compléments sont le produit d’un compromis entre Etats qui, d’un côté, offre à l’Allemagne et aux pays de l’Europe du Nord la garantie que leur solidarité financière se sera pas versée à fonds perdus et, d’un autre côté, ouvre à chaque pays une capacité de rebond économique et social. Il pose une démarche fédéraliste. Son échec, auquel nous aurions concouru peu ou prou, constituerait un séisme politique dont les marchés et les mouvements nationalistes feraient à coup sûr leur miel. La mutualisation des dettes, la perspective des eurobonds, seraient enterrées. Les pare feux de solidarité du MES seraient emportés. Les tentations d’isolement, notamment en Allemagne, seraient renforcées. Au bout du compte, même si le pire n’est jamais sûr, le risque d’un éclatement de l’euro et de l’Europe deviendrait patent.

Nous sommes dans l’Europe, nous souhaitons y rester pour toutes les raisons qu’il est inutile de développer ici, nous voulons faire de ce continent la patrie de l’écologie. Comment les écologistes pourraient-ils alors prendre le risque de participer à un rejet qui ajouterait une crise à la crise, provoquant un déchirement qui mettrait l’Europe à bas et offrirait chaque pays aux marchés comme autant de proies ? C’est une question de cohérence.

La responsabilité française. François Hollande s’est fait élire sur ses propositions dont l’adossement au pacte budgétaire européen de réduction des déficits, « renégocié » dans le sens de l’ajout d’un volet de relance, constitue l’épine dorsale. Nous avons accepté de participer à la majorité et au gouvernement sur cette base (et non sur celle de l’accord PS-EELV). La volonté de réduction du déficit public à 3% en 2013 n’est un mystère pour personne et faisait partie des engagements du candidat socialiste. Elle déterminera le prochain budget, non sans douleurs. On pourrait préférer un rythme moins brutal. Mais notre participation au gouvernement et à la majorité vaut engagement à voter solidairement ce budget. Comment dès lors pourrions-nous refuser d’une main hautaine le cadre européen que le Traité institue et, de l’autre main, accepter piteusement sa traduction budgétaire en France ? Ou bien nous sommes solidaires de la démarche globale, pas par discipline majoritaire mais par conviction, ou bien nous devons tirer les conséquences de notre refus du Traité, rompre avec la majorité et quitter le gouvernement. C’est encore une question de cohérence.

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