« Pourquoi nous ne pouvons pas voter oui au TSCG » par Eva Joly

MEME LES PLUS BELLES IDEES SONT MORTELLES.

Européens fédéralistes et écologistes, pourquoi nous ne pouvons pas voter oui au TSCG

 

« Nous souhaitons alerter les citoyens sur les dangers, immenses, auxquels l’adoption de ce Traité exposerait les peuples d’Europe s’il venait  être ratifié par les 25 pays dont les dirigeants l’ont signé le 2 mars 2012. Car c’est tout à la fois à une forme d’austérité perpétuelle et à un risque très accentué d’explosion de la zone euro que la mise en application du Traité conduirait. Mais aussi, et ce n’est pas moins grave, à un rétrécissement mortel de la démocratie en Europe. Au grand bénéfice des forces xénophobes et autoritaires dont on voit la puissance montante dans de nombreux pays, à commencer par la France »

Les économistes atterrés.

 

1) POUR UN DEBAT CLAIR ET SEREIN : UN DEVOIR DE SINCERITE.

L’Europe est depuis longtemps  pour la société française un sujet de discordes et de polémiques. En particulier, la gauche et les écologistes se divisent régulièrement sur la stratégie à mettre en œuvre pour construire l’Europe. Personne n’est dupe, Il y a eu souvent dans ces querelles des postures, des positionnements insincères qui visant à instrumentaliser cette question pour régler des affaires politiciennes. Voilà qui n’a pas servi le débat européen.

Dans les lignes qui suivent, je fais part brièvement de mon analyse de la crise que nous traversons, et del à je déduis une stratégie de refus du TSCG.

Notre mouvement est à l’avant garde du combat pour l’Europe : nous sommes des fédéralistes convaincus et considérons que l’Europe est l’espace politique dans lequel notre projet politique prend tout son sens. Ceci nous rassemble depuis la création de notre mouvement.

Ne nous trompons pas de débat : il ne s’agit pas de montrer ses muscles au sein de la majorité ou au contraire de se soumettre à l’autorité du premier ministre. Il ne s’agit pas davantage de distinguer entre une gauche du mouvement qui serait radicale et donc refuserait le traité et une aile molle d’EELV qui accepterait tout au nom d’une béatitude européiste.

A l’heure où nous devons faire un choix d’une exceptionnelle gravité, un choix qui aura des conséquences pour des dizaines d’années, il est urgent que chacun pose son barda idéologique et prenne le temps de comprendre la triste réalité de la situation actuelle et des dangers à venir.

2)  UNE CRISE PROFONDE ET DURABLE QUI MARQUE L’ECHEC D’UN MODELE

L’économie française stagne et la zone euro est en récession. La situation ne se redressera hélas pas au cours des prochains mois. La croissance va être, selon plusieurs économistes, beaucoup plus faible qu’espérée, autour de -0,5, loin des 0,8% espérés par le Président de la République.

L’objectif fixé par le gouvernement de 3% de déficit en 2013 et d’un retour à l’équilibre en 2017 est abrupte.  Un tel effort n’a de sens que s’il sert un cap politique ambitieux, à moyen terme, de prospérité pour tous. Ce cap ne peut pas être encore la rigueur et toujours la rigueur. Ce cap ne peut pas être le TSCG qui installe dans le temps, de manière dogmatique car en dehors de toute logique économique, une obligation de rigueur. Ce serait  freiner encore l’activité, ce serait planifier l’augmentation du chômage dans des proportions encore jamais vues.

A titre d’exemple, Selon le FMI lui même, et les calculs de l’économiste Guillaume Duval, une restriction budgétaire de 1% du PIB entraine immanquablement une baisse de 1% de la demande intérieure dans les 2 ans. C’est ainsi qu’une contraction du budget de 1,5 points de PIB entre 2012 et 2013 (pour passer de 4,5 à 3% de déficit) entrainerait une perte de PIB de 1,2 points et l’augmenterait le taux de chômage de 1 point, soit 300 000 personnes.

Encore ces projections ne prennent-elles pas en compte l’effet systémique lorsque plusieurs états d’une même zone économique s’infligent ces contraintes simultanément. Faut-il que nos frères Allemands subissent à leur tour les conséquences de la baisse de la consommation française pour qu’une autre voie soit collectivement envisagée?

Cette politique, appliquée sur tout le continent, risque de provoquer une réaction en chaine parfaitement incontrôlable  où la récession provoquera la chute des recettes fiscales qui bloquera à son tour les possibilités d’intervention étatiques…

Si personne ne peut prédire aujourd’hui ce qui se passera si l’on arrive à ce stade, une chose est sûre : notre modèle social n’y résistera pas.

3) UN TRAITE  « MERKOZY » INCHANGE, ET QUI NE S’ATTAQUE PAS AUX VERITABLES CAUSES.

Le traité n’a pas été renégocié. C’est à la virgule près le traité négocié entre Sarkozy et Merkel. Mais pire, qu’il s’agisse de Merkel et Sarkozy ou Merkel et Hollande, à aucun moment ce traité n’a été pensé pour véritablement remédier aux causes structurelles de la crise. Les mesures de croissance obtenues ne peuvent pas arrêter l’hémorragie, ne parlons même pas de la reconversion écologique…

Peut-être, me direz vous, pouvons nous accepter cet état de fait en échanges d’avancées ? Je ne le pense pas. Mais même dans cette hypothèse, il faudrait dire lesquelles.  En effet, peu de choses sont faites pour remédier aux causes structurelles de la crise. Financiarisation de l’économie, système bancaire dérégulé, évasion fiscale généralisée, paradis fiscaux demeurent quasi inattaqués.

Je ne reprends pas ici les excellents arguments d’Alain Lipietz sur la nature de ce traité et sur fait qu’il va à l’encontre de la stratégie de transformation écologique financée par des Euro bonds que nous avons défendue en 2009, ni l’analyse d’Yves Cochet sur l’impasse d’une pensée obsédée par la croissance. Ils doivent pourtant nous faire réfléchir.

4) POUR SAUVER L’EUROPE, REFUSONS LA REGLE D’OR, ET ECOUTONS LES CITOYENS.

Nous sommes dans une crise singulière. Nous sommes dans une situation de rupture historique qui nécessite d’autres remèdes que des mesures d’austérité. Nous ne pouvons pas, les yeux ouverts, accroitre la récession. S’engager dans cette voie, c’est se préparer à des pics de chômages insensés, des fermetures d’hôpitaux, le rationnement des soins. Comment croire que c’est ce que veulent les citoyennes et les citoyens de l’Europe ?

Comment accepter, sans débat national et sans vote populaire, ‘une règle d’or’ européenne qui dorénavant s’imposerait au parlement français, avec des sanctions automatiques ?

L’idée européenne n’y résistera pas. C’est la raison pour laquelle demander à ce que le traité soit ratifié par referendum est non seulement légitime, mais également nécessaire.

La crise doit servir à construire une Europe des peuples, fédérale et solidaire, avec des projets ambitieux. Le TSCG nous éloigne de cette direction. C’est ce que dit très clairement Jürgen Habermas, ce grand européen qui refuse ce traité, et dont je partage l’analyse.

Il s’alarme de l’avènement d’une domination post-démocratique dont le pacte budgétaire serait l’instrument. Selon lui un tel régime permettrait en effet d’imposer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimité démocratique.  En adoptant un tel traité, Les chefs de gouvernement transformeraient le projet européen en son contraire : la longue et patiente tentative d’établir une communauté supranationale démocratique deviendrait un exercice d’une domination post-démocratique.

Quiconque est un européen convaincu doit entendre cet avertissement.

5) PASSER DES COMPROMIS, OUI. COMPROMETTRE l’IDEE EUROPENNE, NON.

Pour moi, toute stratégie qui viserait à fermer les yeux en se disant, « votons le traité,  ce n’est qu’un mauvais moment à passer,  » est naïve.  Dire « votons ce traité, de toute façon il ne s’appliquera pas » est cynique. Dans les deux cas il est faux de croire que ce traité n’est rien : il est la matérialisation d’un état du rapport de force qu’il s’agit aujourd’hui d’inverser. Les écologistes ne peuvent donner l’impression d’être en accord avec l’Europe comme elle se construit. La mécanique européenne est faite de petits pas, de compromis imparfaits. Je le mesure plus que tout autre. Mais cette fois en cédant aux exigences du gouvernement Merkel, pour soit disant permettre que l’aventure européenne se poursuive, nous cédons à un chantage funeste.  Nous en venons à renier les raisons même pour lesquelles nous construisons l’Europe : accepter ce traité c’est lâcher le sud, et imposer l’austérité partout.

C’est la raison pour laquelle selon moi, les parlementaires écologistes ne peuvent pas voter ce traité. La solidarité gouvernementale nous commande de soutenir la politique conduite par François Hollande. Mais elle ne saurait nous obliger à accepter sans rien dire la politique proposée par Angela Merkel. Nous devons au contraire marquer clairement le fait que nous voulons voir l’Europe prendre une autre voie. En conscience nous devons voter non, ou au moins nous abstenir pour marquer notre désaccord.

L’Europe est la plus belle des idées, mais elle est mortelle. L’austérité et l’indifférence à la souffrance des peuples peuvent la tuer. A nous de la sauver en restant fermes sur nos convictions.

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