Remise en cause de la Loi Littoral par le Sénat
Bloavezh mad !
Ronan DantecIntervention DG du 11 janvier 2017 - Ronan Dantec - 6 minutes Madame la Présidente, Madame la Ministre, Monsieur le rapporteur, Monsieur le Président, Mes chers collègues,En mars 2016, une équipe de chercheurs en climatologie de l’Université du Massachussets a publié dans la très sérieuse revue Nature, que tout le monde connaît, des chiffres extrêmement alarmants concernant la montée des eaux sur notre planète. Ils estiment l’augmentation moyenne du niveau des océans de plus d’un mètre d’ici la fin de ce siècle et jusqu’à une quinzaine de mètres dans les siècles qui suivront, du fait du début de la fonte de l’Antarctique, dans le cas évidemment où nos émissions de gaz à effet de serre ne seraient pas réduites drastiquement dans les toutes prochaines années. D’autres études, dont certaines évaluent d’ailleurs à une côte plus élevée la montée des eaux au 21ème siècle, insistent, elles, sur l’accélération de cette montée des eaux (actuellement 3-4 mm par an) à partir de 2030 environ, du fait de la désagrégation des langues glacières qui bloquent encore aujourd’hui le glissement des glaciers du Groenland vers la mer.
A ce sujet, le rapport d’information sénatorial d’octobre 2015 sur « les conséquences géostratégiques du changement climatique », de nos collègues Cédric Perrin, Leila Aïchi et Éliane Giraud pointait, lui aussi, le phénomène d’érosion côtière qui pourrait provoquer un recul d’ 1m/an, c’est évidemment une moyenne, du trait de côte dans le monde et donc aussi en France. C’est pourquoi, dans l’une des propositions établies dans ce rapport et adoptées à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, est proposé le « développement des études de l’évolution du niveau de la mer au niveau local, y compris pour les côtes françaises intégrant l’ensemble des processus, y compris ceux qui influencent la morphologie des côtes ». Par ailleurs, ils préconisent un travail de « relocalisation des activités situées dans les zones les plus risquées ».
A l’appui de ces propositions, dans son dernier rapport de 2015 sur « le littoral dans le contexte de changement climatique », l’ONERC affirme enfin que « l’anticipation doit guider toute stratégie » de développement des territoires côtiers.
L’intérêt de la proposition de loi initiale discutée ce soir n’est donc pas à démontrer. Il s’agit de prendre totalement en considération un facteur de risque majeur, dont on ne mesure probablement pas encore totalement les conséquences, y compris, et dans un délai probablement assez court maintenant, une dépréciation forte de la valeur des biens immobiliers menacés demain par la montée des eaux. Et cette dépréciation, j’insiste toujours sur ce point-là , n’attendra pas que l’eau arrive le perron des lotissements, mais elle l’anticipera de plusieurs décennies. Cela veut dire que c’est toute l‘économie immobilière qui peut-être dès les prochaines années totalement fragilisée par ce phénomène de montée des eaux et par les prévisions à venir des scientifiques.
En ce sens, par rapport à ce que nous discutons ce soir, la proposition de suppression de l’article 8 bis prévoyant l’information par les professionnels de l’immobilier des acquéreurs sur les risques de recul du trait de côte apporte un léger doute quant à une réelle prise de conscience de ce facteur risque extrêmement important. C’est pourtant un signal nécessaire pour que dès aujourd’hui nous développions une stratégie d’anticipation économique, et probablement bien au-delà du Fonds Barnier, d’un phénomène malheureusement inéluctable pour les prochaines décennies. Même si, pour le long terme, nous espérons toujours tous qu’une action internationale forte et résolue permettra de stabiliser le climat.
Il s’agit aussi certainement, il faudra le remettre sur la table, de se mettre d’accord sur la montée des eaux prévisible au 21ème siècle. C’est un exercice difficile que la France ne peut pas faire seule, mais on ne pourra pas faire l’économie de ce débat nécessaire.
Ce sujet doit totalement suffire à nous mobiliser. Je regrette donc profondément que ce soir une part importante de nos débats - j’anticipe un peu - tourne beaucoup autour de l’avenir de la loi littoral, qui n’était pas le sujet de départ. Toute remise en cause des dispositifs de cette loi fondamentale de préservation de nos espaces côtiers, de nos paysages et d’un de nos grands atouts touristiques, devrait faire l’objet de débats approfondis et nécessite énormément de précautions. Nous savons tous que tout assouplissement de la loi littoral – il suffit de se balader sur nos côtes dans le sud comme en Bretagne – a toujours entraîné une surinterprétation de la règle, avec des conséquences négatives que nous mesurons sur nos paysages.
De fait, l’accumulation, ce soir, d’amendements non précédés d’une réelle étude d’impact – cela a été dit avant moi – amène à fragiliser certains grands principes de la loi littoral, notamment sur le refus de toute discontinuité dans les aménagements. La discussion de ce matin en commission a d’ailleurs montré que tous les débats n’étaient pas mûrs. Par exemple, sur les localisations de zones d’activités qui ne peuvent plus être appréhendées à l’échelle communale après que, dans la loi NOTRe, nous ayons confié l’économie comme compétence aux intercommunalités. C’est un exemple du fait que je pense que sur un certain nombre des éléments qui vont être discutés ce soir, nous nous sommes précipités.
Le groupe écologiste n’est pas opposé à des adaptations très limitées de la loi littoral naissant de situations ubuesques, il y en a quelques-unes. Mais remettre en cause ses grands principes au nom de quelques exemples que nous connaissons, ne me semble pas être de bonne politique. Sans quoi, évidemment, la substance initiale de la loi littoral, dont tout le monde reconnaît l’importance, au moins dans le discours, sera inévitablement altérée. Et nous savons tous, et je conclurai ainsi, que si les brèches dans les digues peuvent annoncer l’érosion d’un territoire entier, les brèches dans la loi littoral pourraient aussi la balayer à la première tempête. Surtout que nous connaissons aujourd’hui l’instabilité de la météo politique. Je vous remercie