L’écologie , c’est la paix! par Michèle Rivasi
Notre monde continue de vaciller et de tituber entre signaux d’espoir, promesse de transition vers un monde meilleur, post-croissance, moins polluant, moins exterminateur de biodiversité et moins prédateur de ressources et des signes et des actes de régression identitaire, démagogue et nationaliste.
Le tsunami national-populiste continue de balayer l’Europe et l’Amérique. L’extrême droite allemande (AFD) est entrée au Bundestag pour la première fois depuis la chute du régime nazi, elle est au gouvernement à des postes clés en Autriche depuis cet automne et au pouvoir en République tchèque avec Andrej Babis, démagogue milliardaire et xénophobe, qui rejoint ses homologues polonais et hongrois notamment dans le cercle des dirigeants nationaux-populistes.
Signe d’une perte de sens de l’idéal européen et des démocraties libérales, l’extrême droite en Allemagne et en Autriche par exemple ne perce pas dans des régions où il y a le plus d’étrangers mais dans le périurbain et les campagnes où règne le sentiment d’abandon et de déclassement. Cette peur fantasmée de l’« autre », de l’étranger doit aussi nous interroger sur l’incapacité de nos démocraties et des institutions européennes à produire un « nous » tourné vers un horizon commun. Nos sociétés hyperindividualistes laissent le citoyen seul face à ses peurs.
Le délitement du lien social, l’atomisation sociale, la précarisation du travail, la déliquescence des structures collectives et des corps intermédiaires, l’absence de grand récit transcendant le citoyen participe à nourrir la bête nationale-populiste.
L’écologie peut aujourd’hui être cet horizon qui manque aux citoyens déboussolés pour réenchanter la politique
Jadis, en France notamment, le pacte républicain servait de transcendance et de rempart face aux ressentiments de la haine de l’autre, de l’exacerbation du sentiment nationaliste, des régressions identitaires, quelles qu’elles soient.
L’écologie peut aujourd’hui être cet horizon qui manque aux citoyens déboussolés pour réenchanter la politique. L’écologie, c’est la paix ! Entre les peuples, avec soi, avec l’autre, avec la nature…
Les récentes victoires obtenues de l’abandon de l’aberrant projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes à l’interdiction de la pêche électrique en Europe, en passant par l’obtention au Parlement européen d’une commission spéciale devant enquêter sur les pesticides face au scandale de la réhomologation pour cinq ans du glyphosate, à l’enterrement (ou presque) des grands projets inutiles d’infrastructures Lyon/Turin et autoroute A45 montrent que nos combats et nos alertes ne sont pas vains.
Ces victoires sont celles de la persévérance, du courage, de la mobilisation citoyenne relayée à chaque échelon par des élus (écologistes le plus souvent)… Ces victoires ne sont pas des concessions faites dans le petit jeu politicien classique mais s’imposent comme s’impose l’urgence écologique face au défi climatique, à l’extinction de la biodiversité (une récente et terrifiante étude internationale menée en Allemagne depuis 1989, montre qu’en l’espace de trente ans, les populations d’insectes auraient chuté de 80 %) et à celle des ressources (en 2017, dès le 2 août, la Terre vivait à crédit ayant consommé, en seulement sept mois, toutes les ressources que la Terre peut produire en une année).
Ces victoires récompensant des combats datant parfois de plusieurs décennies nous montrent que, dans un climat de résignation et de fatalisme faisant le lit des fanatismes, il faut continuer à oser lutter et oser résister. Oser libérer l’espace pour ceux qui bâtissent le monde de demain.
Toutes les crises que nous traversons sont d’abord des crises de l’excès
L’urgence aujourd’hui est de « prendre soin » du monde collectivement et individuellement. Soin des gens, soin de la nature, soin du vivant dans son ensemble, soin de la démocratie, trop souvent malmenée. Prendre soin, cela signifie retrouver l’harmonie, pacifier nos rapports sociaux, rompre avec le culte du présent et de la vitesse, la sacralisation de l’avoir et de l’accumulation. C’est privilégier l’être sur l’avoir, l’authenticité sur l’artificialisation, c’est unifier nature et culture et ne pas les mettre en conflit…
Prendre soin, c’est trouver l’humilité de la modération en étant bien conscient que toutes les crises que nous traversons sont d’abord des crises de l’excès. Prendre soin, c’est donc fixer des limites, car sans limite l’homme s’enivre, divague et se perd dans de chimériques rêves prométhéens de domestication de la nature et d’exploitation des hommes. Prendre soin, c’est s’affranchir de l’argent roi, de l’anthropocentrisme ravageur, de la mythologie scientiste et technologique, de l’addiction à la consommation…
Prendre soin c’est retrouver le vrai sens de l’écologie : celle de Félix Guattari et de ses trois écologies : environnementale, sociale et mentale.
Prendre soin doit être le nouveau paradigme pour définir un nouveau contrat social fondé sur l’interdépendance planétaire, la sobriété, la solidarité, l’égalité réelle et la justice sociale et environnementale.
Il faut aussi continuer d’alerter, de défendre ceux qui un jour ont pris le risque de parler pour la défense de l’intérêt général en protégeant les lanceurs d’alerte. Il faut aussi face à la manipulation scientifique et à la capture du législateur par les lobbys, contrôler l’expertise et développer l’initiative et les instances de contrôle citoyen.
Alerter, contrôler et prendre soin, voilà notre feuille de route pour accompagner le changement que l’on souhaite voir naître en tant qu’écologistes ne souhaitant pas accompagner le système et le repeindre en vert mais engager la grande transition face à la grande régression qui menace notre avenir commun.