Si le déficit de la Sécurité Sociale est profond et continue de se creuser d’année en année, accumulant une dette qui se monte maintenant à près de 160 milliards d’Euros, ce n’est pas parce qu’on ne saurait pas faire autrement. C’est le résultat de choix de société et d’une orientation de la politique de santé. Qu’il s’agisse des dépenses ou des recettes, que nous aborderons successivement, d’autres choix sont possibles, permettant à la fois de maîtriser les budgets et d’améliorer la situation sanitaire.
La crise sanitaire
Certes, la crise sanitaire est profonde et ne se résoudra pas sans changements sérieux, car la crise est structurelle.
Tout d’abord, parce qu’on a choisi depuis des années de gérer le budget de la Sécu par l’endettement. Le déficit creuse la dette chaque année : la gauche a décidé de réduire ce déficit par rapport à la gestion précédente, mais le prévoit encore de 13 milliard d’Euros en 2013. Depuis des années, pour ne pas augmenter l’impôt spécifique de cette dette, le Remboursement de la Dette Sociale (RDS), on augmente la durée de remboursement. Ainsi, pour la seule année 2010, on a augmenté de 4 ans le remboursement de la dette sociale, de 2021 à 2025. Il ne sera pas possible de continuer longtemps et, de toute manière, il est contradictoire avec le développement durable de faire payer nos dépenses de fonctionnement d’aujourd’hui par les générations futures.
La crise est aussi structurelle parce que les inégalités se creusent : tandis que le chômage fait baisser les recettes, on augmente régulièrement le reste à payer des usagers par une série de dispositifs toujours plus inventifs tels que forfaits, franchises, dépassements d’honoraires, … Ainsi, de plus en plus nombreux sont nos concitoyens qui renoncent à des soins parce qu’ils ne peuvent pas les payer. Si l’on ajoute qu’on a laissé s’installer des déserts médicaux sur certains territoires, les inégalités d’accès aux soins sont de plus en plus criantes. Le déséquilibre dans la formation des médecins au détriment de la médecine générale rend la situation vraiment préoccupante pour l’avenir proche.
Mais la crise est encore plus fondamentalement structurelle par la nature des problèmes de santé. En effet, l’épidémie de maladies chroniques, qui grève le budget de la Sécu se développe plus vite que les progrès de la médecine qui essaie de les enrayer.
Le résultat est le développement des cancers, qui sont devenus la première cause de mortalité, l’importance toujours majeure des maladies cardiovasculaires, mais aussi l’explosion moderne de l’obésité et du diabète, et le développement de maladies telles que l’asthme et les allergies, les maladies dégénératives du système nerveux, à commencer par l’Alzheimer, la souffrance psychique et les troubles psychologiques, les troubles du développement sexuel et de la reproduction, …
La prévention
Devant cette situation, la politique de l’autruche n’est pas acceptable, parce que toutes ces maladies ont en commun d’être liées à des facteurs de mode de vie et d’environnement, ce qui signifie qu’elles sont, au moins en partie, accessibles à la prévention. Malgré les études et les discours, les gouvernements successifs n’ont jamais mis en place une politique de prévention sérieuse, c’est-à-dire une politique de prévention primaire, qui vise à enrayer les causes des maladies. Elle est à distinguer du dépistage médical, qui s’apparente davantage aux soins et qui est utile quand la maladie est déjà installée.
Quand les causes sont liées aux modes de vie, il s’agit de mettre en place une politique d’éducation pour la santé et de promotion de la santé, avec des méthodes respectueuses des libertés, favorisant le développement social, l’émancipation personnelle et la citoyenneté, accompagnant la population pour lui permettre de maitriser davantage les facteurs de son bien-être, sur les plans physique, psychique et social. Le premier objectif pourrait être de développer pour tous une alimentation saine et équilibrée.
Quand les causes sont liées à l’environnement et aux pollutions, il s’agit de mettre en place une politique de santé environnementale. Dans ce domaine, tout reste à faire, depuis la recherche, en passant par la surveillance de l’environnement et incluant la protection des lanceurs d’alerte. Le premier objectif qui pourrait nous mobiliser est qu’aucun parent de jeune enfant ne soit imprégné par des perturbateurs endocriniens, que sont en particulier les pesticides.
Nous avons chiffré le nouvel investissement nécessaire dans ces domaines à 10% du budget des soins, c’est-à-dire 1,7 milliards d’Euros, puisque le budget de l’Assurance Maladie est d’environ 170 milliards. Faut-il rappeler que cette somme a été inscrite à l’accord entre le PS et les EELV pour les élections de 2012, ce qui signifie qu’elle fait aujourd’hui partie des engagements communs ?
Certains pensent que c’est peu ! Mais ce serait déjà un virage très important dans la politique de santé, et qui laisserait encore 99% du budget pour les soins.
D’autres pensent que c’est beaucoup, surtout en période de déficit. Mais justement, c’est la seule manière de se donner les moyens d’enrayer l’augmentation des maladies chroniques qui entraine l’inflation des dépenses. Quand on sait que le seul diabète entraine une dépense de soins médicaux de 12,5 milliards par an, et que la grande majorité des diabètes peut être accessible à la prévention, il est facile de calculer qu’en faisant baisser de seulement 10% le taux de diabète, on dégagerait une économie de soins de 1,2 milliards par an.
Organiser l’accès aux soins
Enfin, les dépenses de soins médicaux sont grevées par l’inorganisation de l’accès aux soins. Les urgences hospitalières sont embouteillées par des patients qui devraient relever de la médecine générale. De même des personnes âgées sont hospitalisées parce que les soins à domicile ne sont pas assurés dans la continuité et la coordination entre la médecine et les services sociaux. Or les solutions hospitalières sont beaucoup plus onéreuses que la médecine générale et elles peuvent de plus désinsérer les personnes âgées à l’équilibre fragile, et accélérer leur perte d’autonomie. La Haute Autorité de Santé (HAS) estime à 30% les hospitalisations injustifiées et, quand elle n’est pas indispensable, l’hospitalisation est une dépense importante et irrationnelle pour un service de santé moins bien adapté au besoin. Rappelons que le budget de l’hospitalisation est d’environ 75 milliards d’euros par an ! Ce n’est pas 30% de cette somme qui pourrait être économisés car une autre solution coûte également, et qu’il faut assurer les missions de service public de l’hôpital dans tous les cas, mais la rationnalisation possible porte sur plusieurs milliards d’Euros par an. La solution est de former une proportion plus importante de médecins généralistes, de leur permettre des conditions de travail normales par la création d’équipes dans des Maisons de Santé et de l’Autonomie et d’assurer la couverture du territoire par les soins de premier recours.
Plus généralement, de nombreuses études montrent que la société française est en situation de surconsommation de soins médicaux. Si l’on considère uniquement les médicaments, la dépense annuelle est d’environ 40 milliards, dont la moitié remboursée par l’Assurance Maladie, soit une vingtaine de milliards par an. Or, des pays développés tels que les Pays Bas, qui ont des indicateurs de santé souvent meilleurs que les nôtres, consomment environ moitié moins de médicaments par habitant. Les français ont en particulier le record de consommation de médicaments psychotropes, et cette situation ne s’accompagne pas d’un bien-être psychique très supérieur à nos voisins européens. Une baisse de seulement 10% de la consommation de médicaments en France dégagerait pour la Sécu un budget d’environ 2 milliards par an. Il est donc établi qu’il y a des marges de manœuvres importantes permettant de rationnaliser la consommation de soins, y compris des examens médicaux radiologiques, biologiques et autres, et qu’il est parfaitement envisageable de rationnaliser la consommation de soins, sans rationner les soins, c’est-à-dire sans porter préjudice à la santé de la population.
Diminuer l’influence des lobbys
Pour ce faire il faut organiser la politique de santé en fonction d’objectifs de santé publique, élaborés démocratiquement. Cette évolution implique de « reconquérir » la politique de santé, qui a été trop longtemps déterminée par les intérêts des lobbys et des corporatismes. Si l’on veut sauver la Sécurité Sociale à la française pour l’avenir, il est indispensable de dégager la politique de soins médicaux de l’influence de l’industrie pharmaceutique. L’information médicale sur les médicaments doit enfin être différenciée de la publicité des industries qui les produisent et qui cherchent à augmenter leurs ventes. Le système des « visiteurs médicaux » est à reconvertir vers une information médicale indépendante. La formation médicale continue comme la recherche ne doivent plus être financées par les industries pharmaceutiques comme c’est le cas actuellement. Il faut aujourd’hui trouver le courage politique d’un grand ménage dans les conflits d’intérêts qui jalonnent le circuit des médicaments, et commencer par imposer des déclarations d’intérêts publiques à tous les membres des Agences de l’Etat, en particulier des Commissions de Mise sur le Marché des médicaments, ainsi que dans les cabinets ministériels en particulier.
La réaffirmation d’objectifs de santé publique passe également par la résistance beaucoup plus sérieuse aux promoteurs de produits qui représentent une menace pour la santé. Il s’agit de l’agro-alimentaire et en particulier du lobby du sucre, qui représente une cause importante de diabète et d’obésité. Il s’agit également du lobby du tabac, particulièrement puissant puisqu’il peut s’attaquer directement à un Commissaire Européen, ou à celui de l’alcool. Une évolution délétère qui devrait nous mobiliser est par exemple de ne pas utiliser l’huile de palme, qui est chez nous particulièrement source de maladies des artères et dont le développement implique actuellement dans des pays pauvres ou intermédiaires une accélération de la déforestation et une monoculture d’exportation au détriment de l’autosuffisance pour populations locales.
Et les recettes
Du point de vue des recettes, il y a aussi besoin de réforme afin d’assurer davantage de solidarité. Le fait que les cotisations portent uniquement sur les salaires est aujourd’hui très largement considéré comme une anomalie puisqu’il s’agit de financer la politique de santé pour toute la population. La logique serait de partir de l’impôt qui touche l’ensemble des revenus, c’est-à-dire la CSG.
Par ailleurs, l’impôt sur le revenu pose aujourd’hui également de gros problèmes d’inégalités, et la gauche a envisagé une réforme profonde du système fiscal. Il serait possible d’inclure le financement de la protection sociale dans la grande réforme fiscale et d’établir une imposition sur l’ensemble des revenus sur la base de la CSG. Il est possible d’inclure un correctif pour tenir compte des charges de familles et de procéder par un prélèvement mensuel à la source. L’ensemble serait beaucoup plus simple et beaucoup plus cohérent. Bien sûr, il faudrait veiller à sanctuariser le budget de la santé pour ne pas qu’il devienne une variable d’ajustement des déficits de l’Etat. Mais le dispositif spécifique du budget de la santé est en place et il faut le garder : le parlement délibère déjà du budget de la santé de façon autonome et vote annuellement le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). Il faudrait réorganiser ce texte en particulier pour y inclure un chapitre sérieux sur la prévention.
Une autre politique
Ainsi, une réelle politique de prévention permettrait d’atteindre des objectifs de santé publique, et d’avoir ainsi une influence positive à relativement court terme sur le budget de la Sécurité Sociale. Elle pourrait accompagner de façon maitrisée une nouvelle politique d’accès aux soins, enrayant l’augmentation du reste à charge comme solution à l’inflation des dépenses. Une politique courageuse dans ce domaine devrait par exemple revenir sur le secteur 2 pour les médecins, permettant des honoraires fixés librement, mais non remboursés par la Sécu. Elle devrait également revenir sur les Dépassements d’Honoraires, les forfaits et enrayer la concurrence déloyale qui s’établit entre le secteur public et le privé sous l’influence de la Loi HPST du précédent gouvernement. Cette évolution devrait faire l’objet d’une volonté politique forte et affirmée, pour éviter la démagogie et le laisser-faire entrainant une dérive des dépenses. Elle demande une totale transparence qui permettrait un suivi rigoureux et un contrôle démocratique.
Jean-Luc VERET
Président de la Commission Santé EELV
Médecin de Santé Publique, Conseiller Municipal de Caen