Des investisseurs agissent pour éviter de nouveaux drames au Bangladesh

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Entretien avec Éric Loiselet, administrateur de l’ERAFP et membre du Réseau des Administrateurs pour l’Investissement Responsable

Une déclaration d’investisseurs a été publiée en mai 2013 suite au drame du Rana Plaza, pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est en tant qu’administrateur de l’Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique, où je représente l’Association des Régions de France, que je peux vous parler de cette initiative. L’ERAFP est un investisseur de long terme, dont les placements sont régis par une Charte d’investissement responsable adoptée fin 2005 par son Conseil d’administration. Cette Charte introduit des considérations sociales et environnementales dans les placements que l’ERAFP effectue, cela veut dire que les titres (obligations souveraines, obligations de collectivités, obligations d’entreprises, actions de grandes entreprises cotées en bourses, actions de moyennes entreprises cotées ou non, immobilier) que l’Établissement achète sont sélectionnés en prenant en compte des critères de bonnes pratiques sociales et environnementales. Cela veut dire aussi, pour les actions d’entreprises, que l’ERAFP exerce les droits de vote associés à la détention des actions en fonction de préoccupations sociales et environnementales. Enfin, cela veut dire, toujours pour les actions d’entreprises, que l’ERAFP participe à des actions d’ « engagement actionnarial » qui visent à tenter d’influencer les pratiques des entreprises dont l’Établissement est actionnaire dans le sens des priorités que nous nous fixons.

Suite au drame du Rana Plaza, nous avons été sollicités par un premier groupe d’investisseurs outre atlantique qui souhaitait lancer une démarche de soutien actif à l’accord multi-parties prenantes sur la sécurité des bâtiments et la prévention des incendies au Bangladesh initiée par deux fédérations syndicales mondiales.

 L’Accord prévoit un programme d’audits indépendants et transparents sur les bâtiments des ateliers textiles, l’information des travailleurs et de leurs syndicats, la formation sur la santé et la sécurité pour les travailleurs et le personnel d’encadrement, la mise en place de comités de sécurité et le droit pour les travailleurs de déposer des plaintes et de refuser de travailler dans des conditions dangereuses. L’Organisation internationale du travail soutient l’accord et joue un rôle-clé dans sa mise en œuvre. Il a été approuvé par le Haut commissaire de l’ONU pour des Droits de l’homme.

La déclaration des investisseurs demande à toutes les marques d’habillement, des distributeurs et des fabricants qui s’approvisionnent au Bangladesh de signer  l’accord obligatoire sur la sécurité des bâtiments et la prévention des incendies et de participer à sa mise en œuvre.

Les investisseurs signataires reconnaissent leur responsabilité dans la promotion de changements dans les entreprises qu’ils ont dans leurs portefeuilles d’actions et les encouragent à mettre le respect des droits de l’homme et des salariés au cœur de leurs modèles économiques. Leur objectif est de pousser les entreprises présentes dans leurs portefeuilles à agir pour empêcher de nouvelles tragédies.

 La déclaration en question, dont le secrétariat est assuré par l’Interfaith Center on Corporate Responsibility, regroupe plus de 200 investisseurs qui gèrent un total cumulé de plus de 3 000 milliards de dollars d’actifs financiers. Ce n’est pas tout à fait négligeable comme force de frappe.

Les déclarations de principe sont toujours bienvenues, mais souvent elles sont peu suivies d’effets et n’engagent à rien. Il y a un risque de « fair washing ». Qu’en est il cette fois ci ?

 Le risque n’est jamais totalement absent. Dans ce cas, la déclaration a été initiée par des acteurs expérimentés des démarches d’engagement actionnarial qui consistent à dialoguer avec les entreprises dans le but de faire changer leurs pratiques, tout en exerçant une certaine pression.

Les investisseurs signataires de la déclaration ont été sollicités pour approcher des entreprises dans leur zone géographique non signataires de l’accord sur la sécurité des bâtiments et la prévention des incendies. L’ERAFP a ainsi participé, avec d’autres, à ce type de démarche consistant notamment à écrire à des entreprises, à les rencontrer le cas échéant, et à solliciter les sociétés de gestion qui gèrent nos mandats d’actions de grandes entreprises cotées à faire passer, elles aussi, nos messages. Ce sont des démarches de ce type qui ont amené ADIDAS à signer l’accord en novembre 2013.

Par ailleurs, les administrateurs de l’ERAFP et notamment les administrateurs syndicaux ont été sollicités pour décliner la démarche proposée par le Comité pour le Capital des Travailleurs (Committee on Worker’s Capital – CWC, une structure transversale rattachée à la Confédération Syndicale Internationale) consistant à maintenir l’effort dans la durée  à jouer sur les registres des risques opérationnels, réputationnels et même juridiques auxquels les entreprises du secteur textile et de la distribution qui ne signeraient pas l’accord sur la sécurité des bâtiments seront inévitablement exposées.

Il n’y a rien là de spectaculaire, rien donc qui puisse faire un gros titre des journaux télévisés, mais il y a un effort de longue haleine pour obtenir des changements de pratiques malgré les nombreuses résistances.

Et maintenant ?

Les premières inspections d’immeubles, sous supervision de l’Organisation internationale du Travail (OIT) qui agit à titre de président indépendant du comité d’organisation de l’Accord, ont eu lieu. Il faut donc maintenir la pression afin qu’elles se généralisent et conduisent à une amélioration des immeubles sur le plan sécurité et incendie. L’objectif de l’Accord est la mise en œuvre d’un programme de mesures de santé et de sécurité pour promouvoir une industrie du vêtement plus sûre et durable – la mise en œuvre s’échelonne sur une période de 5 ans et les coûts associés à l’Accord sont indexés au volume d’achat d’une entreprise au Bangladesh pour favoriser une diversité dans la profil des entreprises qui signent l’Accord.

Il faut élargir le nombre d’entreprises et de marques signataires de l’accord. En France très peu d’entreprises sont signataires contrairement à l’Allemagne (5 contre 48 !). Le CWC que je citais tout à l’heure, et UNI global union ont recensé les 7 entreprises françaises suivantes, cotées en bourse à un titre ou un autre, et qui ont des fournisseurs aux Bangladesh :

Etam Developpement

Groupe Galeries Lafayette

Lafuma

LVMH (l’approvisionnement de LVMH au Bangladesh est très faible, moins de 1%, mais 1% c’est toujours 1% et le groupe est “emblématique“)

Orchestra Premaman

Oxylane Groupe

Groupe Go Sport (groupe Casino)

Il s’agit de les amener à signer elles aussi l’Accord.

Les investisseurs que j’évoquais, dont l’ERAFP, ont, ce 24 avril, publié une nouvelle déclaration d’investisseurs coordonnée par l’ICCR. À la veille de l’anniversaire de l’accident du Rana Plaza (24 avril), ICCR a en effet invité les investisseurs signataires de l’appel de mai 2013 et d’autres investisseurs à signer cette nouvelle déclaration à la fois pour se féliciter des mesures mises en œuvre depuis l’an dernier (signature de l’accord contraignant par plus de 160 marques, début des inspections des usines, etc.) et pour rappeler le chemin qui reste à parcourir pour que de nouveaux drames soient évités. De nouvelles démarches en direction des entreprises seront engagées à la suite de cette nouvelle déclaration.

Enfin, il faut aussi faire pression sur les entreprises que les investisseurs ont en portefeuille qui s’approvisionnent au Bangladesh et n’ont pas contribué aux fonds « Rana Plaza Donors Trust Fund », fonds gérés par l’OIT et destinés à compenser les victimes pour les pertes subies (7 millions USD seulement ont été collectés à ce jour sur les 40 millions USD souhaités). A titre d’illustration l’ERAFP a demandé à ses sociétés de gestion d’envoyer une lettre en son nom à ces entreprises afin de les encourager à abonder le fonds.

Tout cela n’est pas la portée de l’épargnant individuel, il faut s’appuyer sur des structures professionnelles ?Afficher l’article

 C’est vrai et faux. Toutes celles et ceux qui détiennent une assurance vie, ou de l’épargne salariale, ou sont clientEs de mutuelles, peuvent au moins questionner leur fournisseur sur ce que celui-ci fait ou ne fait pas avec l’argent qu’elles ou ils lui confient. Les professionnels de la finance font toujours quelque chose avec l’argent que nous leur confions. Et ils aiment beaucoup qu’une fois que nous leur avons confié, nous ne nous occupions que de lire les informations qu’ils nous envoient sur les résultats financiers de notre épargne. Mais cet argent a un pouvoir que nous pouvons commencer, comme dans bien d’autres champs  (l’alimentation, l’énergie, etc), à reprendre en main. Et ça commence par poser des questions à sa ou son chargéE de clientèle, sa ou son agentE d’assurance, sa mutuelle, etc. Une question toute simple (qui surprendra au début) et qui peut être très concrète : que faites vous suite au drame du Rana Plaza pour que de nouveaux drames soient évités ? Avez-vous signé la déclaration des investisseurs en faveur de l’accord sur la sécurité des bâtiments et la prévention des incendies dans les ateliers de la filière textile au Bangladesh ?

La réponse à cette question ne pourra être apportée que par la structure professionnelle, au sein de la banque, de la compagnie d’assurance, de la mutuelle, qui gèrent les actifs financiers… mais c’est en posant et reposant la question, que, comme les colibris de la fable, chacune et chacun pourront faire de leur épargne, quelle que soit les organismes qui la gèrent, la goutte d’eau qui finira par produire du changement.

Et bien sûr, parce qu’il faut de nouvelles règles juridiques, il faut soutenir la proposition de loi de Danielle Auroi et de ses collègues députés socialistes, qui définit la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leus filiales. Si cette loi voyait le jour, je suis certain que les actions évoquées ci-dessus en seraient grandement facilitées.

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