FOOT FICTION
Mains dans la main la veille de Noël
Le plus beau des réveillons
La solution était finalement très simple, elle était là sous nos yeux. Une idée tellement évidente et explosive que personne ne parvenait à la conceptualiser. Et la FIFA n'a pas vu le coup venir. On dit que ses dirigeants en sont encore malades de colère, au point d'avoir mis Platini en minorité et imposé l'arbitrage vidéo pour qu'une telle chose ne se reproduise plus jamais, jamais. On ne sait même pas qui, côté français, a eu cet éclair de génie aussi savoureux qu'iconoclaste.
La plupart des commentateurs affirment que c'est Thierry Henry, l'acteur central de ce drame planétaire. Mais les opinions divergent alors sur son mobile exact. Certains disent que le capitaine des Bleus était lâché par ses sponsors, ulcérés de voir leurs produits éclaboussés par la boue du déshonneur (ne dit-on pas d'ailleurs que seul un marchand de moufles voulait désormais s'attacher son image ?). Certains croient savoir que notre Thierry national a surtout été meurtri au plus profond de lui par la déclaration d'Éric Cantona qui a souligné que le comble de l'indignité avait été atteint par Henry, non en effectuant la passe manuelle décisive, mais allant, en fin de match, prendre des poses - supposées télégéniques - assis sur la pelouse à côté des malheureux irlandais qu'il venait de spolier. Mais le plus probable est que Thierry Henry a réalisé qu'il avait raté une occasion qui n'arrive qu'une fois dans une vie d'homme : devenir éternel. Que n'avait-il été, à ce moment clef du match, voir aussitôt l'arbitre pour reconnaître spontanément son geste malheureux que toutes les caméras avaient, de toute façon, gravé pour toujours ? Faisant cela, il n'éliminait en rien son équipe vu qu'il restait encore 17 minutes à jouer puis, au besoin, la séance de tirs au but avec dans la cage tricolore un Hugo Lloris absolument prodigieux ce soir-là. Mais, surtout, il entrait vivant dans la Légende. Un truc tellement grand qu'on le raconterait encore dans mille ans, après avoir oublié depuis longtemps qui avait gagné les plus prestigieux trophées du foot durant tout le XXIème siècle. Ce serait donc pour donner une nouvelle chance au Destin - tant sur le plan personnel que national - que Thierry Henry aurait trouvé les mots pour convaincre la Fédération Française de Football de mettre en œuvre l'impensable…
On raconte que Domenech a hurlé à la simple perspective de devoir rendre les 862 000 euros que lui avait valu la qualification usurpée pour l'Afrique du Sud. Pour le calmer - et au point où on était dans le médiocre - la FFF a précisé que ce que l'on allait remettre en jeu s'était l'honneur du maillot et pas sa prime "si vaillamment acquise" (sic). Raymond s'est depuis éclipsé avec sa misérable cagnotte et cette disparition a tellement ajouté à l'euphorie nationale que personne ne semble se soucier de ce qu'il est devenu. Les détenteurs français des lucratifs droits télévisés et autres produits dérivés ont également agité le spectre du "désastre industriel", mais rien n'y fit. L'idée, une fois lâchée, dévasta tout sur son passage.
Ah oui, décidément, quelle belle idée, aussi simple que l'œuf de Colomb. Il suffisait d'y penser.
La FIFA avait refusé que le match soit rejoué. Ok. Sa décision unilatérale était irrévocable et sans appel. Ok. Mais la France pouvait, elle aussi, prendre une décision tout aussi unilatérale, irrévocable et sans appel : déclarer forfait pour la Coupe du Monde 2010. Et en cas de forfait, c'était bien évidemment la première équipe non qualifiée dans le même groupe qui partirait à sa place pour l'Afrique du Sud...
La proposition fut limpide : le match officiel ne pouvait être rejoué, certes, mais rien n'interdisait qu'une brève partie de foot "amicale" se déroule entre l'Eire et la France, pour "terminer" le match du 18 novembre en le reprenant au moment où tout avait basculé. Même stade, même public dans les gradins (tout le monde ayant bien sûr pieusement conservé le fameux ticket d'entrée), mêmes joueurs sur le terrain et la pendule du match réglée sur la 103ème minute fatidique. C'était en effet mieux que de refaire le match en entier. Car rejouer le match aurait remis les compteurs de celui-ci à zéro et injustement privé les Irlandais du but d'égalisation - si largement mérité - qu'ils avaient inscrit en première mi-temps.
La présentation des joueurs, les hymnes, les sifflets à l'entrée de Sarkozy dans le stade, tout semblerait indiquer une rencontre normale. Tout, à part que l'on allait s'engager pour un match de seulement 17 minutes, ou un peu plus si on devait aller jusqu'à "tirer les penalties". Et c'est là que l'astuce fut grandiose et le coup imparable : l'enjeu de ce micro match était clair, la FFF s'étant engagée solennellement à déclarer forfait - donc de fait à qualifier l'Irlande - si la France ne sortait pas victorieuse de ce "jugement des braves".
Dix-sept minutes. Une densité dramatique, absolue et universelle, jamais atteinte depuis le premier pas de l'Homme sur la Lune. La planète entière figée, souffle suspendu, et quels que soient les fuseaux horaires, le regard de l'Humanité braqué sur un improbable carré de pelouse. Une poignée de minutes sur le cadran solaire d'Olympie pour réinventer tout le sport. La date choisie pour cette rencontre - la veille de Noël - avait même fini par ajouter à l'événement un parfum de rêve de gosse.
Magique.
La FIFA ne pouvait envoyer les forces de police pour empêcher 22 sportifs de taper dans un ballon, mais elle envisagea un bref instant de brutales rétorsions à la mesure de l'outrage, comme interdire la France de toute compétition internationale durant une décennie. Mais elle dû y renoncer sous peine de périr de ridicule tant elle fut submergée par la réaction enthousiaste de la Terre entière. Car à l'annonce de cette idée, non seulement l'Irlande fut en liesse, mais les Français descendirent spontanément dans les rues pour dire leur soulagement. Sans parler de tous les peuples du monde qui, émus, décernaient unanimement et définitivement à la France la Coupe du Fair Play devant le tribunal de l'Histoire. On frissonnait délicieusement de joie simple dans les plus humbles chaumières et le moral des nations remontait dans tous les indices. Sous les sarcasmes, l'Élysée tenta - en vain - de prétendre que cette idée splendide venait du sommet de l'État, et qu'on avait même des photos datées pour le prouver.
De pays médiocre et honteux, notre Hexagone devint le symbole universel de courage, de justice, d'abnégation. On n'avait pas connu ça depuis le Siècle des Lumières.
…/…
Bon, je suis au regret de vous laisser, car le match le plus médiatisé de toute l'Histoire du ballon rond va commencer d'un instant à l'autre. Et même moi qui ne vois d'habitude dans le sport business qu'une vaste entreprise de crétinisation des masses, je suis totalement emporté par la vague d'émotion planétaire.
Quel que soit le résultat, une seule certitude, ce sera le plus beau des réveillons.
Gérard ONESTA
Ancien Vice Président du Parlement européen
(et cousin de Claude ONESTA, entraîneur de l'équipe de France de Hand Ball)