La campagne
Solidarité avec Haïti
Fraternité pour Haïti
Il y a plus d'une raison pour se mobiliser pour nos frères et soeurs d'Haïti.
Mais la principale est que, sur cette terre de grande souffrance, a lutté avec acharnement le Français qui permit de graver en lettres d'or, sur tous nos frontons républicains et dans notre constitution, à côté de LIBERTE et EGALITE, le splendide concept de FRATERNITE :
Toussaint Louverture, qui sauva l'honneur de la Révolution en lui arrachant, par le torrent de sang versé, la première abolition de l'esclavage du 16 pluviôse de l'an II, soit le 4 février 1794.
"Frères et amis. Je suis Toussaint Louverture ; mon nom s'est peut-être fait connaître jusqu'à vous. J'ai entrepris la vengeance de ma race. Je veux que la liberté et l'égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à les faire exister. Unissez-vous, frères, et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez avec moi l'arbre de l'esclavage. Votre très humble et très obéissant serviteur, Toussaint Louverture, Général des armées du Roi, pour le bien public." (proclamation du 29 août 1793)
En ces temps absurdes de cataclysme, on se doit de fêter gignement le 216 ème anniversaire de cet immense cadeau pour l'Humanité, par un généreux élan de FRATERNITE.
Entretien de René Depestre (poète et romancier haïtien en exil en France) sur Médiapart
«En apprenant la nouvelle du tremblement de terre, j’ai envisagé la catastrophe absolue, aussi bien du fait de la violence des secousses (7,3 sur l’échelle de Richter) que de cette tragédie sans fin que constitue l’expérience historique d’Haïti : la terreur cosmique rejoignait soudain la terreur sociale et politique.
Haïti est passé à côté de l’État-nation, alors même que son entrée dans l’Histoire s’est faite dans la mouvance de la Révolution française. Or dans notre bout d’île où l’État “n’a jamais pris”, j’ai la conviction que si cette catastrophe trouvait une riposte adéquate, alors que tout est aujourd’hui mis à plat d’un point de vue géographique et politique, il pourrait y avoir une prise de conscience, une refondation matérielle et spirituelle d’Haïti.
L’élan de solidarité planétaire, de la part des gouvernements aussi bien que des individus, m’apparaît comme la constitution d’une société civile internationale. Cette civilité démocratique mondiale va lever des fonds qui pourraient atteindre 10 milliards de dollars voire d’euros, mais un tel mouvement, qui dépasse celui ayant suivi le tsunami de décembre 2004, doit aboutir à une réflexion politique, une forme de coopération qui ne se contente pas de gérer des fonds mais qui mette sur pied des institutions nouvelles.
De quoi peut-il s’agir ? Les Haïtiens ne veulent pas entendre parler d’un conseil de tutelle. Ce dernier mot leur est insupportable, alors qu’ils sont, tout compte fait, sous tutelle depuis l’occupation américaine décidée par le président Wilson en juillet 1915 (même si elle prit officiellement fin en 1934). Haïti vit de et dans la force des mythes, dont celui de la souveraineté, que le peuple ne peut admettre de perdre en raison de l’expérience de l’esclavagisme et de la colonisation.
La sagesse commanderait de former une fédération avec la République dominicaine, qui occupe les deux autres tiers de l’île. Même si Saint-Domingue fait preuve actuellement d’un grand esprit de solidarité, un rapprochement total me paraît impossible tant le contentieux est lourd entre les deux parties.
Toute fédération est utopique avec la Jamaïque, Trinidad et la Barbade, tant les mentalités, la barrière de la langue, ont laissé comme étrangères à Haïti ces îles anglophones de la Caraïbe. De même qu’une fusion avec les Antilles françaises est inenvisageable, tant la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ne pourraient admettre la baisse du niveau de vie qu’impliquerait une coexistence avec Haïti.
Quelle autre possibilité ? Un énième État américain ? Une sorte de Porto Rico haïtien ? Les républicains comme les démocrates, dans leur crainte des flux migratoires, s’y opposeraient, tout comme le peuple haïtien, qui renoncerait alors formellement à une indépendance chèrement payée.
Les mandats de la SDN ayant échoué avant-guerre, il nous faut inventer une tutelle sans sujétion, une expérience pilote qui maintiendrait les attributs de l’indépendance nationale, tout en bénéficiant de l’assistance des Etats-Unis, du Canada, de la France. Et pourquoi pas de Cuba, ce qui permettrait, dans la foulée, d'inventer une solution imaginative pour réintroduire La Havane dans le système des nations unies ?...
Un tel régime d'«intergouvernance» permettrait au monde de réaliser une sorte de saut civique ponctuel, qui mènerait vers un civisme international hautement souhaitable, puisque la mondialisation manque de mondialité, de «supplément d’âme» comme diraient les catholiques, de valeurs collectives empruntées à la communauté planétaire.
Sur le plan intérieur, une telle «intergouvernance» permettrait non seulement la remise en route des infrastructures, la constitution d’institutions dignes de ce nom, mais aussi la remise en route symbolique haïtienne : dépasser la question raciale, revenir sur l’abaissement moral et physique d’une population ayant intériorisé un complexe d’infériorité dramatique, sortir de l’héritage et des ornières de la colonisation, qui poussent les nantis à se cantonner dans leur individualisme et les opprimés à se chercher d’éternels boucs émissaires au lieu de lutter pour la constitution d’un État de droit.
En ce sens, la crise pourrait être multilatérale et le tremblement de terre se révéler matriochkas de la terreur: comme les poupées russes qui s’emboîtent, il y aurait des petits fracas dans le grand fracas; chacun se sentirait concerné, obligé d’évoluer, et Haïti mettrait alors fin à deux siècles de surplace existentiel.»