Intervention d’Esther Benbassa en séance : Explication de vote sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France (13 octobre 2015)

sénat

PJL n° 655

relatif au droit des étrangers en France

(procédure accélérée, première lecture)

Explication de vote

Mardi 13 octobre 2015

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

CherEs Collègues,

Le groupe écologiste regrette que, victime de l’agitation fébrile suscitée par les prochaines élections régionales, la majorité sénatoriale ait détourné le projet de loi relatif au droit des étrangers en France de son véritable objectif : une révision raisonnable du CESEDA, à mille lieues des traditionnels excès de la droite dure et du FN – et qu’elle ait sacrifié de justes mesures relatives à l’accueil et au séjour des étrangers sur notre sol à une seule hantise, une seule obsession : l’éloignement des étrangers en situation irrégulière !

Le texte du gouvernement n’était assurément pas « laxiste ». Il méritait encore un certain nombre d’ajustements. Ce travail avait été engagé à l’Assemblée, nous aurions pu le poursuivre. Enfin, si le Sénat avait été autre et sa majorité animée d’autres intentions. Encore une occasion manquée de désengorger nos préfectures. Et d’ouvrir plus largement nos portes à une immigration professionnelle, scientifique, étudiante de haut niveau.

Avez-vous prêté attention, cherEs collègues, au dernier Prix Nobel de chimie ? L’un des lauréats est un Suédois travaillant en Grande Bretagne, le second un Turc menant ses recherches dans une université américaine, le troisième un Américain au nom de famille à consonance peu anglo-saxonne. C’est aussi cela, l’immigration, lorsqu’on la pense d’une manière intelligente.

Nous aussi nous avons eu nos Nobel de trouble origine : Marie Curie, Georges Charpak, Gao Xingjian, et j’en passe. Jusqu’à Patrick Modiano, petit-fils d’immigré. Lorsqu’on parle d’immigration, il faut savoir jouer et viser juste, et le cynisme des urnes n’est en la matière jamais de bon conseil.

Voyez comment des centaines de nos jeunes partent au loin, qui en Californie pour réaliser son rêve de start-up, qui au Brésil pour ouvrir une boulangerie française, qui en Australie en quête d’aventure économique. Ne contribueront-ils pas à dynamiser les pays où ils se cherchent un meilleur avenir professionnel, intellectuel, ou autre ? Si on les recevait là-bas comme nous nous accueillons les étrangers ici, ils ne seraient sûrement pas partis…

Qui peut ignorer que les meilleurs étudiants étrangers, que les émigrants hautement qualifiés ne viennent plus chez nous ? Ils se dirigent naturellement là où l’accueil qui leur sera réservé sera à la hauteur de leur contribution et de leur engagement futur. La carte pluriannuelle était une chance pour attirer les meilleurs, et un moyen de rendre leur dignité à tous ces immigrés qui ont tant à donner et qu’on stigmatise aujourd’hui par pur clientélisme politique.

Pourquoi le centre droit de cette Assemblée est-il monté dans le même wagon que la droite dure ? Suivisme ? Nous les connaissons pourtant bien ces démons nationalistes et xénophobes qui s’emparent de la France lorsque l’économie flanche. Rappelons-nous l’après-krach boursier de 1929. Rappelons-nous ces affiches qui stigmatisaient l’« étranger ». Ce qui manque à trop d’entre nous, cherEs collègues, c’est ce minimum de conscience historique qui pourrait les empêcher de reproduire les erreurs du passé, avec les mêmes effets délétères.

Le rejet de l’étranger, une névrose nationale française ? Ne faisons pas la part trop belle à la névrose… Elle ne resurgit que pour pallier l’absence criante de tout programme politique susceptible de remédier vraiment aux effets dévastateurs de la crise, chômage en tête. Il est si facile de tromper un pays en flattant l’un des pires penchants humains : celui de la xénophobie.

Le Sénat ressuscite les ambitions passées de Nicolas Sarkozy. Qui ne se souvient qu’un des thèmes phares de la campagne de 2007 avait été l’« immigration choisie », avec l’instauration de quotas ? Les Républicains cherchent à nous faire du neuf avec du vieux. Se souviennent-ils du verdict de la commission Mazeaud ? Les quotas ? « Sans utilité réelle en matière d’immigration de travail », inefficaces « contre l’immigration irrégulière », « irréalisables ou sans intérêt »…

CherEs collègues, vous avez ranimé les fantasmes sur le regroupement familial en manipulant les chiffres pour y inclure les Français faisant venir en France leur conjoint étranger. Vous avez joué sur les prestations familiales, médicales, l’accès au logement, le RSA, pour renforcer un autre fantasme, populiste s’il en est, celui de l’immigré fraudeur et profiteur. Je ne referai pas devant vous le long voyage auquel vous nous avez contraints sur le pénible chemin des contre-vérités. Je ne reviendrai pas sur la désolante litanie que vous avez entonnée. Maffias, rétention, coercition. Certains n’avaient que ça en tête.

Quoi que vous fassiez, Mesdames et Messieurs de la droite, vous ne ferez jamais aussi bien en la matière que le FN, et vous n’y gagnerez, sur lui, que peu de voix. Alors pourquoi vous donner tout ce mal ? Juste pour masquer l’indigence de vos propositions pour le pays ?

Le groupe écologiste du Sénat votera naturellement contre un texte s’évertuant désormais à transformer le parcours de l’étranger en une humiliante course d’obstacles. Il garde l’espoir que l’Assemblée aura la sagesse de revenir à une formule juste plus digne de la France.

Laissez un commentaire

Remonter