Esther Benbassa : Gays et lesbiennes, mariez-vous mais ne faites pas d’enfants ! Jour 3 (Huffington Post, 9 avril 2013)

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MARIAGE GAY – Lundi 14h30. En ouverture, un de nos collègues de gauche déplore publiquement les pressions, injures et atteintes aux biens infligées à certains parlementaires par quelques opposants radicaux au mariage pour tous.

Ajoutés à diverses agressions et saccages homophobes, ces incidents empoisonne un peu plus le climat déjà délétère régnant ces derniers temps.

Les effets sans fin de l’affaire Cahuzac aidant, l’atmosphère est en fait devenue irrespirable.

Dans l’hémicycle, il est vrai, les échanges restent courtois. Mais je m’interroge sur l’utilité de ces discours interminables, à droite, en faveur de l’instauration d’une nouvelle « union civile ». Une sorte de mariage sans filiation. Une rhétorique d’un autre âge ouvre un après-midi décidément peu glamour (mais au Sénat, on n’est pas là pour ça, certes). Certains sénateurs semblent reprendre les interventions de leurs collègues de l’Assemblée nationale, mais ils ne parviennent pas toujours à les relire d’une manière vraiment fluide.

« Le droit ne connaît que l’homme et la femme »

En fait, notre droite, opposée au mariage pour tous, tout en jurant ses grands dieux ne pas être homophobe, n’arrive pas à se faire cette évolution de la filiation. Ainsi propose-t-elle de créer à côté du mariage, du PACS et du concubinage, une quatrième forme de conjugalité, ouverte aux seuls couples homosexuels. En matière de discrimination, qu’est-ce qu’on peut faire de mieux, je vous le demande? Les gays et les lesbiennes ne sont-ils pas des citoyens comme les autres? Devons-nous leur réserver un traitement de citoyens de seconde zone et un mariage de seconde catégorie?

Aucun argument ne suffira certes à faire changer d’idée nos collègues de droite. Seul un vote négatif pourra les contraindre à passer à autre chose. Ce vote négatif, ils l’acceptent finalement sans grand chahut, alors même qu’ils sont venus nombreux dans les travées. Certains des sénateurs de droite présents aujourd’hui, je ne les ai quant à moi jusqu’ici presque jamais vus.

Ils sont là, ces sénateurs, pour manifester ostensiblement sinon forcément leurs convictions profondes, du moins les idées anti-mariage-pour-tous de leurs électeurs. Ils y mettent du cœur, c’est vrai, mais juste ce qu’il faut. Pas d’excitation particulière, pas d’éclats ni de brouhaha. Les ministres de la Justice et de la Famille tentent de leur côté de faire entendre un discours de raison. Mais au fond, tout le monde a l’air un peu morose, tant certains des propos énoncés semblent venir d’un autre âge ou d’un autre monde. Et peu nombreux sont les sénateurs et sénatrices de gauche à prendre la parole. Heureusement. Nous risquons bien de perdre définitivement patience.

Le reste de l’après-midi est occupé par une suite d’éloges modérément vibrants de la famille dite « traditionnelle ». Quelques perles égayent un peu l’atmosphère. »Le droit ne connaît que l’homme et la femme », « le droit ne classe pas les personnes selon leur désir mais par ce qu’elles sont ». Pourquoi bouleverser notre droit? La société n’évolue pas, ni l’identité sexuelle (je n’ose dire: l’identité de genre), ni la revendication des orientations sexuelles. « Il ne suffit pas de s’aimer pour se marier », et le mariage a bien pour objectif premier voire exclusif la procréation…

À entendre ces belles paroles, je songe à ces messieurs très « traditionnels » d’autrefois, augustes bourgeois qui, une fois que l' »engendrement » avait eu lieu, entretenaient leurs danseuses à l’Opéra, s’encanaillaient avec des courtisanes, ou fréquentaient les maisons closes pour connaître le plaisir…Leur dire que ces temps-là sont révolus, et qu’on ne les regrette pas? Même si on le leur disait, ils ne comprendraient pas.

« Croissez et multipliez »

Nos dames sénatrices de droite n’hésitent pas à soutenir des idées du même tonneau, dans une espèce de masochisme féminin assez incroyable. Une d’entre elles -mais est-ce une dame patronnesse ou une sénatrice?- nous rappelle qu’hélas, actuellement, « rien n’arrête le désir ». La famille mérite plus d’égards, c’est le pilier de la civilisation. Nous revoilà revenus aux vieilles lunes. Le mariage est une institution de laquelle dépend le renouvellement des générations. L’enfant prime sur tout, lui seul donne sa justification ultime au mariage. Oubliés les stériles hétéros. Oubliés aussi celles et ceux qui, hétéros, choisissent de ne pas « procréer ». Ils apprécieront.

Certains auraient pu accepter le mariage sans filiation, puisqu’ils ont proposé l’union civile. Mais la filiation, tout de même, c’est autre chose. L’impensé catholique resurgit. Ainsi que la sainte religion de l’enfant. « Les enfants ne sont pas des médicaments pour soulager la souffrance, ni des objets pour satisfaire le plaisir ». Croissez et multipliez, voilà la devise du jour. La civilisation? Fondée tout autant sur un ordre naturel que sur un ordre culturel. Impossible d’y échapper.

Voici que, de manière un peu prématurée, on en arrive à la procréation médicalement assistée (PMA), même si l’article 1 que nous traitons ce lundi n’y fait pas allusion. N’avons-nous pas entendu de la bouche d’un sénateur vétérinaire que « la transplantation d’embryons chez les animaux se faisait pour améliorer la race ». Belle mise en parallèle… et d’un goût très sûr. On touche aussi à la Gestation pour autrui (GPA) qui, pourtant, pas plus que la PMA, ne fait pas partie du champ couvert par le projet de loi gouvernemental.

La différence, une chance!

Mais la peur est là. Après le mariage pour tous, viendraient inéluctablement ces deux modes de procréation nouveaux, l’un pratiqué par les couples de femmes et l’autre au profit de couples d’hommes. On évoque ces enfants nés dans un monde orwellien. Un collègue n’arrive même pas à dire « gestation » pour autrui, et parle de « gestion », sans qu’on relève l’erreur. On parle aussi pas mal mécanique: de « mécanique » du marché de l’enfant, étrange évocation des mères porteuses.

À un moment, pour répondre à ceux qui mettent en avant la juste égalité qu’instaure le mariage pour tous, certains prétendent qu’il ne s’agit nullement d’égalité mais d’un « égalitarisme » typique des pays autoritaires. La droite va pour une fois jusqu’à faire l’éloge de la différence, qui serait une chance. Et pas l’égalité. Bien nouveau comme « élément de langage ». Je croyais que les conservateurs appréciaient peu la différence, lui préférant franchement l’uniformité…Certains ajoutent même que vouloir légaliser le mariage pour tous est le contraire de l’égalité. Le mariage pour tous refuserait en fait l’altérité (très beau vocabulaire, curieuse pirouette). L’égalité reviendrait à traiter tristement tout le monde de la même façon…Là, je crois décidément que je dois réviser mes classiques en la matière.

Une bouffée d’oxygène pour un Sénat endormi

Tout à coup, brisant ce prêchi prêcha hors du temps, s’élève la voix limpide d’une sénatrice UMP. Belle, élégante, assurée, Fabienne Keller déclare sans faiblir qu’elle votera pour la loi. Grand silence à droite. Applaudissements de la gauche. Une bouffée d’oxygène au beau milieu d’un après-midi mortel, où nous sommes plus d’un à nous faire violence pour ne pas piquer du nez.

À un autre moment, et dans un autre genre, c’est la tirade lyrique de M. Raffarin contre le mariage pour tous qui nous sort de notre torpeur. Il ne me convainc pas, mais il est agréable à entendre. La Garde des Sceaux, elle, s’ingénie à insuffler l’unité. Déplore la violence qui se manifeste dans la société, les actes homophobes, les agressions. Elle alerte sur le lien social qui se défait. Je dirais, pour ma part, que ce n’est pas nouveau, mais que la question en débat aujourd’hui a fait éclore les germes d’un populisme rampant depuis un bon moment.

La gauche a passé l’après-midi dans une sorte de silence pour ne pas prolonger inutilement des monologues déjà assez rébarbatifs. La nuit sera longue, mais bien piètres les enseignements qu’on en tirera. Le mariage divise la France, au lieu de l’unir. Voilà qui en dit long. Vivement qu’on passe au divorce des homos, ne serait-ce que pour changer de sujet…

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