Spoliation des oeuvres d’Art sous l’occupation : participation à une journée d’étude

Intervention spoliations artistiques sous l'occupation (c) YH

Dans le cadre de ses travaux universitaires, Corinne Bouchoux s’intéresse à un aspect méconnu mais pour le moins passionnant de notre histoire : la spoliation des biens immobiliers et mobiliers de personnes juives sous l’Occupation.

Le terme spoliation désigne un « vol institutionnalisé ». Sous l’occupation, les législations antisémites autorisaient l’occupant ou les autorités de Vichy à réquisitionner et à confisquer des biens mobiliers et immobiliers des juifs ayant « quitté » le territoire français.

Aujourd’hui encore, il reste difficile d’estimer l’ampleur de ces spoliations et de nombreux problèmes liés à la restitution et-ou au dédommagement se posent.

L’entreprise de réparation a débuté avec la création de la Mission d’étude sur la spoliation des juifs de France (Mission Mattéoli) en 1997. Les travaux de cette commission sur l’étendue des spoliations et l’importance des restitutions intervenues après la guerre ont conduit à la création de la commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) en 1999, dont la mission est de rechercher et proposer des mesures de réparation, de restitution ou d’indemnisation appropriées aux victimes ou à leurs ayants droit.

Pour les seules spoliations artistiques ayant eu lieu en France sous l’Occupation on estime à 100 000 le nombre d’œuvres d’art parvenues aux mains des nazis. Environ 60 000 œuvres ont été retrouvées et 45 000 rendues jusqu’à aujourd’hui. Ces restitutions révèlent des enjeux politiques, économiques et diplomatiques. Quelque 2 000 œuvres non rendues sont conservées aujourd’hui dans les musées de France avec le statut juridique de « MNR » (« Musées nationaux récupérations »).

C’est dans ce cadre que Corinne BOUCHOUX  a participé à la Journée d’étude : « Les spoliations artistiques en France sous l’occupation et les problèmes de leur restitution après la seconde guerre mondiale », organisée à Angers, le 28 mars 2012

 

Son intervention est rapportée ci-dessous :

 

Spoliations récupérations restitutions  d’œuvres d’art : Le cas du Maine et Loire (Du global au local ou du local au global ?)

 

Après des débuts biographiques pour documenter une conférence de Lucie Aubrac en hommage à Rose Valland ( mai 1999) un détour fut fait pour percer à jour ou éclairer «  le traitement politique et médiatique (1945-2008) du retour des œuvres d’art spoliées ».

Pour cette journée d’étude, organisée à Angers par l’Université, qu’il me soit permis de remercier les organisateurs de cette initiative. Et les participants qui ont accepté de se déplacer jusqu’à Angers. Par ailleurs je m’exprime ici comme citoyenne et chercheuse. Néanmoins il ‘ a cependant été permis d’interroger « amicalement » trois Sénateurs et un député sur ce dossier pour confronter des hypothèses à leur perception des enjeux. Tous ont confirmé un point : ce dossier  est connu mais ne fut pas une de leurs priorités… Doux euphémisme…

Pour terminer cette décennie de recherches (1999-2011), et avant d’entamer une reconversion assez radicale vers d’autres thématiques, qu’il me soit permis d’essayer de traiter des spoliations/ récupérations/ restitutions à travers un cas concret et assez simple en apparence, notre département de Maine et Loire…

Quel est mon objectif ? Montrer que ce département illustre assez bien une problématique riche, complexe, avec une histoire pour partie déjà faite et pour partie en friche et qui pour partie ne se fera pas, parfois faute de volontaires et parfois en raison de la complexité et technicité du dossier.

Quelles furent mes sources ? Les archives départementales (un accès facile aux travaux de M. Bouvet sur les juifs arrêtés, et déportés), l’ouvrage pionnier d’Alain Jacobzone sur « l’éradication tranquille », les archives de l’OBIP consultées  à Nantes, et des archives de la Commissions Matteoli  consultées avec dérogation obtenue avec l’aide précieuse d’Annette Wieviorka. Les AJ 38 des archives nationales…

Qu’avons-nous constaté

1)      En Maine et Loire les déportés  plutôt peu riches,  n’ont pas avant leur déportation  été spoliés. Mais Angers était bien une » plaque tournante » dans l’ouest de vols, spoliations ET pillages artistiques

2)      Il y a eu des spoliations en Maine et Loire  mais les récupérations et enquêtes très minutieuses n’ont pas donné forcément lieu  à restitutions ou indemnisations  après guerre et il y eu des « renoncements » à récupérer, (un cas emblématique) comme partout en France… Ce sujet est encore un angle mort de la recherche…

3)       Ce dossier conserve une part de mystère autour  du  « Centre de tri artistique d’Angers » comme lieu de départ d’œuvres prises durant la guerre. Après-guerre il y a eu à Angers (comme ailleurs) un « pacte » dans les milieux des antiquaires et marchands d’art, un consensus pour « tourner une page » Et ne pas évoquer le sujet…

 

 

Les travaux réalisés au moment de la Commission Mattéoli attestent que les victimes  des lois antisémites de Vichy déportées depuis Angers n’étaient pas riches et ne possédaient pas d’œuvres d’art.

Elisabeth Verry Directrice des AD de Maine et Loire nous a laissé consulter les archives en toute transparence dès que cela a été possible…

Les tableaux spoliés à Angers appartenaient à des propriétaires et collectionneurs qui ne furent pas déportés.  Dans les archives de l’OBIP et de la CRA nous avons retrouvé des requêtes concernant des propriétaires  d’œuvres qui furent spoliés en Anjou. Un chiffrage n’est pas possible… Une dizaine de dossiers ont émergé  nous en avons choisi un d’assez emblématique…

Le Maine et Loire et la région Ouest ont servi à la veille de la guerre et durant la guerre de lieu de « stockage » et de dépôt pour de nombreuses œuvres des collections publiques et pour certaines collections privées.

Ce sujet est  bien  connu depuis une dizaine d’année, donna lieu à une exposition en 2001 sur les œuvres transférées puis  « perdues » et fut documenté localement  par une enquête remarquable d’Etienne VACQUET (« Quand les châteaux viennent au secours des Musées », Archives d’Anjou N° 8, 2004 (pp 101-111). Lieu de dépôt, de repli, de conservation, département riches en  demeures, domaines, le département l’Anjou n’ a donc pas échappé aux années tourmentées…

Par ailleurs, des spoliations, vols ET pillages se sont déroulés en Maine et Loire, ils transitaient par Angers puis partaient vers l’Allemagne et /ou l’’Autriche. L’ampleur, le volume des ces spoliations n’est pas vérifiable à notre échelle.

Les deux exemples que nous allons présenter ici n’ont comme seul objet que d’illustrer la qualité des enquêtes menées après guerre, et le fait que- parfois- des propriétaires ont renoncé à recouvrer leurs biens. Ces deux données ont pu être oubliées après la guerre  contribuant à un  silence et une amnésie collective étudiés par ailleurs. Le sujet n’a longtemps pas concerné les historiens français alors que la littérature s’est  emparée du sujet. Il conviendrait de s’interroger par ailleurs sur ces  prudence et évitements  des historiens…et historiens d’art. Ne s’agit-il pas là d’une sorte de « secret de famille » des amateurs d’art ?

 

 

Le dépôt du Château de la Granges de Trèves

Une très importante enquête menée entre l’Anjou et Vienne (Autriche) en 1948 permet de trouver trace d’au moins un gros centre  de pillage d’œuvres en Anjou. La gendarmerie française mène une longue enquête en vue de retrouver les auteurs de vols, la trace d’éventuelles spoliations. Une sorte de  filière entre Angers et Vienne…est trouvée.

Le principal suspect est un professeur et artiste peintre Viennois (Goerges PEVETZ âgé de 54 ans en 1948). Le jour de son départ du château évacué par des civils  en juillet 1944 il est informé qu’un « dépôt d’objets » se trouve dans les dépendances du château de la Granges  de Trèves. Le peintre déclare en 1948 aux gendarmes français qui remontent la filière : « Par curiosité je m’ y suis rendu et j’ai effectivement constaté que de grandes caisses et des cadres de très grande dimension se trouvaient entreposés dans un bâtiment des dépendances »(… ).

« Lors de mon passage à Angers où je devais d’ailleurs me présenter en quittant S t Clément, j’ai rendu compte de dépôt d’objets d’art ci-dessous à la Kommandantur.(..) J’ai bien remis ma carte de visite au civil qui venait de m’indiquer ce dépôt. Il me semble que j’ai même transcrit le nom de l’officier allemand gardien des affaires Culturelles à la Kommandantur d’Angers. (…).. ».

La personne vue par ce peintre  lui aurait déclaré que « ces objets étaient réquisitionnés et devaient être dirigés sur Berlin ».  et le témoin poursuit : « Lorsque je me suis présenté à Angers, au Service allemand chargé des affaires culturelles, je me suis adressé à un sous- officier. J’ai eu l’impression que le dépôt en question était connu de ce service. D’autre part, je certifie qu’au cours de ma visite aux dépendances du château de la Grange de Trèves, j’ai bien aperçu sur des caisses des étiquettes portant l’inscription ci après « NEUES MUSEUM. Kaiser Friedrich Museum. Deutsches Vermachts gut » (sic) ».

Le soldat veut se disculper de tout vol et accable son successeur : « Il me semble que l’officier qui m’aurait remplacé et serait originaire de Stettin pourrait être à même de fournir de plus amples renseignements s’il est exact qu’il a ramené lui même une caisse contenant quelques tableaux. ».

Et de nier toute responsabilité il achève : « J’ajoute que j’ignore tout de la disparition des objets d’art dont il est question ci-dessus. ».

Un antiquaire angevin décédé il y a peu confirma l’existence d’un centre de dépôt  d’œuvres d’art depuis Angers pour l’Allemagne sans en connaître l’importance.  Ni l’ampleur des pillages. Mais ces pillages étaient selon lui connu des amateurs d’art de la région…On ne peut que constater qu’après guerre la gendarmerie enquête très minutieusement suite à des déclarations à la CRA OU des plaintes pour vol.

L’objet du PV est sans ambiguité : «  Procès verbal de renseignements sur disparitions d’objets d’art ». La personne interrogée est « auteur soupçonné » demeurant à Vienne et en 1948 de nationalité Autrichienne.

Ce soldat se serait « servi » dans un centre de tri qui regroupait des œuvres en Anjou à destination de l’Allemagne.

Aussi si l’essentiel des spoliations avaient comme victimes des riches collectionneurs juifs vivant en  milieu urbain, il y eu également aussi des victimes   et des biens pris sur tout le territoire, dont l’Anjou. L’existence d’un centre de stockage est attestée   par plusieurs sources. Cependant nous n’avons pas trouvé de trace de ces évènements dans la presse locale dans les années cinquante. Ni aucune indication sur l’ampleur des spoliations ni le nombre des victimes en Anjou.

Second point attesté par nos recherches et assez peu documenté par les historiens, les victimes qui ont REFUSE après la guerre de recouvrer leurs biens.

Ainsi les biens culturels spoliés au château de LAUNAY  à leur propriétaire Mlle VACQUIER.

Le dossier complet est conservé aux archives de l’OBIP. Le 15 Avril 1948 Leonce Calvy écrit à Mlle Vacquier, une dame âgée vivant à Saumur,  pour lui demander ce qu’il doit faire des biens à son nom.

3 biens sont listés ( Tome 2 des commentaires sur la guerre civile » datant de 1763, une lettre rare (1869), un parchemin.)Ces trois objets  assimilés à des œuvres d’art sont regroupés je cite « La mention « Pris par un soldat allemand dans le château de Launay près de Saumur, au cours de la retraite de France en août 1944 ; à rendre à la fin de la guerre », écrite en allemand sur le papier emballant ces trois objets apporte la preuve évidente de la spoliation ». (SIC)

Ce dossier est enregistré à l’OBIP (N° 6812 REST) et l’arrivée des biens revenus d’Allemagne datée. Et visiblement la propriétaire n’en veut plus !

Le chef de la délégation en Autriche de l’OBIP écrit à un certain M. BENOIT (39 rue du Quinconce) sous couvert du Directeur de l’OBIP) et il veut les coordonnées de Mlle Vacquier la victime pour lui rendre ses biens. Elle est relancée trois fois !

En octobre 1949 le directeur de l’OBIP dit qu’aucune restitution ne pouvant être effectuée par l’OBIP tant qu’un dossier régulier n’existe, fait une nouvelle relance. Il adresse l’inventaire des biens « chiffré valeur 1939 des biens dont vous avez été spolié durant l’occupation », une attestation d’un témoin de la spoliation dont la signature devra être légalisée par le maire ou le commissaire de police.

Mademoiselle Marthe Vacquier vit désormais place de la Bilange à Saumur…et plus dans son château ou domaine…

Selon le témoignage écrit  de Mme Jean BENOIT (Angers) « il s’agit d’une vieille demoiselle, très diminuée en santé et de mémoire. Je suis retournée la voir ces jours ci : elle avait oublié ce dont il s’agissait. Veuillez donc lui écrire directement ».

Le dossier se termine le 27 octobre 1949 par une lettre manuscrite de Mme Vacquier :

«  Monsieur le Ministre,

 

J’ai reçu les différents papiers que vous m’avez adressés concernant l’inventaire des objets spoliés pris par un soldat allemand au château de Launay.

Je crois inutile de donner suite à la restitution de ces objets dont la possession ne m’intéresse plus à présent. Je vous remercie infiniment d’avoir fait des recherches à mon intention et vous prie de croire Monsieur le Ministre à l’expression de mes sentiments distingués ».

 Si la vieille dame est dite diminuée l’écriture est régulière et ferme….

 

Que  pouvons- nous conclure de ces deux exemples l’enquête sur le centre d’œuvres du Château de la Grange de Trèves et le renoncement de Mlle Vacquier propriétaire saumuroise ?

Que le Maine et Loire n’a pas été épargné par les spoliations, vols, pillages. Nous savions que des œuvres des collections publiques furent cachées par ici, il y eu également des « disparitions » d’œuvres de propriétaires privés  via Angers.

Nous ne savons rien sur l’ampleur de ces flux. Nous savons simplement que des enquêtes minutieuses ont eu lieu après guerre, vol par vol, tableau par tableau.

Et nous découvrons aussi que le mot « spoliations » est utilisé come synonyme de « vol ».  Or nous savons bien que la spoliation n’est pas un vol mais une prise de possession avec les apparences d’une forme de légalité à l’encontre de personnes car elles sont juives, opposantes, franc maçonnes. Il y a donc après guerre l’utilisation générique  du mot « spoliation » quand une œuvre a été prise à son propriétaire et qu’il y a eu un témoin de cet acte et/ ou une plainte…

L’Anjou n’a pas été épargné par les vols et pillages et spoliations mais les victimes n’en sont connues qu’imparfaitement : la commission Mattéoli a travaillé sur les tableaux ayant appartenu à des personnes juives et persécutées par antisémitisme. En Anjou il y a eu des vols, pillages et des « spoliations » à l’encontre de propriétaire peut être opposants, peut être résistants ou francs -maçons…

Signalons ensuite qu’ après- guerre le château de Pignerolles (St Barthélémy d’Angers) est choisi par Rose Valland comme lieu où on pourrait stocker les œuvres des collections publiques en cas de nouvelle guerre ( 1954).

Il y a donc bien dans l’histoire locale eu des vols, des spoliations, des enquêtes, des retours d’œuvre, des renoncements à des œuvres retrouvées, une géographie des stockages, des départs, des retours, mais pas réellement d’histoire de ces évènements.   Cette mémoire s’est perdue au fil du temps, restant l’apanage de quelques acteurs….

La mémoire de ces spoliations et de  ces vols reste diffuse, connue des antiquaires, marchands d’art, amateurs, possesseurs de tableaux,  mais fait ici, aussi, l’objet d’un silence pudique et compliqué. La presse locale ne s’est pas fait l’écho de ces évènements… Mais a relaté le problème national de façon assez ponctuelle….

Dans une région d’art et de culture le sujet reste encore un angle mort de la recherche locale, faute de sources bien identifiées , faute de curiosité…. Et faute de volonté….. C’est encore un non sujet…

Si l’histoire des MNR (les deux mille œuvres gardiennées depuis la fin de la guerre par les Musées de France dans l’attente de leurs ayants droits) est désormais complètement renseignée par le travail réalisé lors de la mission Mattéoli par Didier  Schulmann et Isabelle le Masne de Chermont et si le dossier est suivi par Thierry Bajou désormais, il y a une histoire qui reste lacunaire et ne se fera peut être jamais, celle des spoliations et vols commis en région et qui via des centres (comme Angers) partaient pour l’Allemagne.

Après la guerre un système centralisé et efficace fut mis en place à l’OBIP (Office des bien et  intérêts privés) où chaque victime OU TEMOIN d’une spoliation ou d’un vol pouvait ouvrir un dossier. De nombreuses enquêtes eurent lieu. Tout ce travail  très méticuleux plainte par plainte, tableau par tableau, semble avoir  été comme « oublié ». Pourtant que d’énergie et de travail recèlent les enquêtent que nous avons pu consulter dans les archives de l’OBIP ! Il y eut un travail colossal !

Cette histoire locale des vols, pillages, spoliations a été quelque peu éclipsée par le poids symbolique des MNR et le retard que les musées nationaux avaient pris pour s’occuper de ce dossier rester des années en suspens Jusqu’au rapport  de la Cour des Comptes de 1995 qui parla de « coupable négligence des musées ».

 

A la suite de ces  enquêtes minutieuses et nombreuses, des œuvres furent restituées (d’Etat à Etat) et celles rendues à la France furent inventoriées et numérotées.

Entre 1950 et 1954 certaines (les plus somptueuses ?) furent exposées au château de Compiègne. D’autres plus anodines furent vendues aux enchères renflouant utilement les Caisse du trésor…qui en avaient bien besoin ….

Des victimes (3 000 cas contestations) ont reconnu des œuvres et ne se les virent pas restituées.  Les archives portent encore trace de ce contentieux.

Pourquoi ? Cette  énigme ne reçu jamais vraiment de réponse officielle ou publique. Osons une hypothèse…. Puisque nous sommes entre nous et que ceci ne sortira pas d’ici…

Avec le recul il nous semble que le travail de récupération et restitution fut colossal en terme  d’énergie déployée pour retrouver, et récupérer et faire revenir en France les œuvres prises durant la guerre à leurs propriétaires….

A une époque de Keynésianisme triomphant, de reconstruction, il n’est pas absurde que des entreprises nouvellement nationalisées (banques, assurances..) aient pu acquérir lors de ventes aux enchères par les domaines des biens » non revenus » à  leurs propriétaires… A l’époque ceci n’avait rien de scandaleux… mais on l’a oublié… Ou on s’en est souvenu très diplomatiquement dans des notes en bas de page…des rapports.

Plus délicate est l’affaire dite « des domaines »  qui en 1951 fait condamner une vingtaine de personnes dont 5 hauts fonctionnaires qui ont « détourné »  des biens qui devaient revenir à leurs propriétaires . « Spoliés deux fois » titre la presse dans une quinzaine d’articles. Tous consultables en accès libre aux Archives Nationales. Rien n’est caché… Tout est accessible. Pourtant à aucun moment Françoise Cachin  n’accepte de parler publiquement du dossier et nos questions sont restées sans réponses. Isabelle Le Masne de Chermont n’a jamais reconnu cette affaire et a dit l’ignorer….

Sont donc condamnés en 1951, un Inspecteur  général des Domaines, un haut fonctionnaire des finances (fils de deux déportés), et la propre nièce du Président du Conseil de l’Epoque Yvonne L. Rien que cela !!!!

Plus délicat un membre de la première heure de la CRA (Commission de Récupération Artistique) est complice du réseau. Arrêté, mis en prison,  il ne peut échapper au Conseil de Discipline de l’OBIP, qui le radie du Ministère des affaires étrangères pour « escroquerie dans le cadre de des fonctions ». Le chef des restitutions est révoqué aussi du jour au lendemain… Tous les membres de la CRA sont interrogés de longues heures par la police. Ceux qui ont voyagé aux Etats Unis tout particulièrement. Il est à l’époque dit que les américains  ont fait leurs emplettes.. et ont rempli leurs nouveaux musées d’oeuvres au passé « flou » ou gris.

Rose Valland connaît la partie délicate de cette histoire. C’est ce qui fit sa force et contribua à la marginaliser au Louvres… Elle connaissait la face sombre du dossier des récupérations et restitutions pour lesquelles elle risqua sa vie plusieurs fois entre 1945 et 1953 en Allemagne. Dans toutes les zones dont la zone soviétique.. Très honnête  elle-même « bidouille » en permanence les listes des œuvres manquantes. Pour négocier dans les années 1950…

Tenue à l’écart des accords diplomatiques  qui scellent la fin de partie en matière d’œuvres d’art elle se cramponne à l’idée de « tracer » des œuvres et de les restituer. Ce qui n’est plus d’actualité pour les politiques…

Ce sera l’œuvre de sa vie. Mais elle restitue peu aux Français. Et se mure dans le silence et les archives jusqu’à sa mort en 1980…. Ce dossier n’aurait jamais dû ressortir s’il n’y avait eu  en  1989  la chute du mur de Berlin. Et la nécessité de solder cinquante ans après ce pan de l’histoire culturelle et diplomatique.

Au plan local, et au plan national voire international, le dossier délicat des œuvres  spoliées et restituées est désormais en cours de bouclage et touche à sa fin. Le Conseil d’Etat considère le dossier comme règlé et la CIVS agit pour les victimes des mesures anti sémites. Pour les autres victimes le sujet  est de facto devenu caduc.

Avec des avancées  de la recherche, avec encore quelques  zones grises tant que les archives ne sont pas interrogées, et croisées. Même si les sommes en jeu ajoutées aux enjeux de mémoire compliquent la donne.

Le fait que parmi  les héritiers concernés par ce dossier il y ait eu dans les années 1997 l’épouse du Ministre des finances, petite fille d’un grand collectionneur spolié, ne facilita peut être pas non plus la « communication simple » sur un dossier compliqué et complexe.

Le fait qu’un des acteurs majeurs (WILENSTEIN) soit dans les années soixante dix proche du pouvoir politique ne simplifie pas le sujet.

Personne n’a envie de mettre en jeu des collections et de les insécuriser. Mais il faut aussi  relater les faits tels qu’ils furent…  Sans tabou ni auto censure…

Rendre justice aux victimes avec un travail    « historico diplomatique » fut un enjeu  politique majeur. Trouver un équilibre subtil  entre histoire et enjeux de propriété et enjeux de mémoire, sans insécuriser les collections publiques ni déstabiliser tout le marché de l’art, fut une opération très délicate.

François Cachin, Isabelle Le Masne de Chermont et Didier Schulmann n’ont jamais voulu d’un historien pour le dossier des œuvres d’art spoliées (les archives de la Commission Mattéoli le montrent bien)  et ont relevé le défi des « 2000 MNR » pour concentrer sur ce dossier précis l’attention des médias en conformité avec les accords de Washington  que la France a toujours appliqué à sa convenance dans une position toute gaullienne. Les MNR ont servi de paratonère…

Rendre une justice tardive (suivant les mots du diplomate américain Stuart Eizenstat), faire un devoir de mémoire, la France a réussi à faire ce que certains de ses voisins ne purent faire (RFA, Autriche..) éviter la quête de provenance systématique dans les collections publiques – même si les musées ont beaucoup changé dans leur attitude. Thierry Bajou nous le montrera par exemple…

Faire l’histoire des spoliations et pillages  sur grande échelle des œuvres d’art  au plan local, national ou international, et des restitutions, conduit également à s’interroger sur la fascination  humaine pour les œuvres d’art…

Paradoxalement en France la littérature et le cinéma ont depuis quarante ans peut être longtemps   plus et mieux  apporté sur ce sujet que la corporation des historiens pour qui ce sujet n’était pas une vraie question ni une priorité.

Une amnésie collective a touché les collectionneurs et les milieux de l’art, et si tout le monde sait qu’il y a eu des vols, des pillages, des spoliations,  dans un département, on attend encore une géographie des vols et des enquêtes (redisons le longues,  fastidieuses, méthodiques, rigoureuses et colossales) dans les années 1945-1950.

Les riches archives de l’OBIP que nous avons consultées le permettraient. Avec des bases de données informatiques et des statistiques .Quel sens y aurait-il de connaître tant d’années après ces vols, pillages, spoliations et les enquêtes pour assurer les retours ? Peut- être aucun… C’est possible peut -être est-ce un non sujet d’histoire.

Pour autant des millions d’heures de travail ont été   «  oubliées » et c’est peut-être plus la cause de cette amnésie collective qui interroge que son contenu….

On empêcha les témoins de ces récupérations (oeuvres  d’art, livres)  de témoigner après  guerre et c’est le fil d’une histoire qui s’est perdue…

Quand on voit la valeur de certains de ces tableaux aujourd’hui… on ne peut s’empêcher de penser que l’histoire est une discipline fondamentale qui doit éclairer le citoyen… Le travail historico diplomatique de la commission Mattéoli restera exemplaire par les apports de leurs auteurs à la vérité historique. Cependant  la question des tableaux n’était ni prioritaire ni structurante dans l’économie générale du dispositif.

Les musées de France ont réalisé un travail brillant qui n’a cependant porté que sur une infime partie de la question.

Faut-il prolonger ou non les recherches scientifiques  en matière  d’œuvres d’art ?

Etait-ce sage ou risqué en 2000 à l’heure d’internet de masquer l’affaire des domaines ? Faire l’histoire en régions des pillages nous semblait un moyen de sortir des difficultés de ce dossier.

Les spoliations furent massives, les enquêtes et recherches furent exemplaires. Mais l’ampleur du problème, le changement de paradigme politique, ont contribué à marginaliser ce sujet qui est pourtant instructif et intéressant …..

On ne saura jamais pourquoi  Mlle Vauquier a renoncé à ses biens culturels mais ce renoncement a  un sens et ce sens aussi nous interroge. Ces pillages et spoliations doivent avant tout nous faire nous souvenir des victimes.

 

Corinne Bouchoux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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