PROJET DE LOI ORGANIQUE RELATIF AU REMBOURSEMENT DES DÉPENSES DE CAMPAGNE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la vice-présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans un contexte de faible croissance, une position réaliste et économe concernant les dépenses de l’élection présidentielle ne peut qu’être bien comprise par nos concitoyens, qui se trouvent cependant confrontés à d’autres problèmes beaucoup plus graves.

Ces dépenses auraient pu être encore diminuées, et des économies supplémentaires réalisées dans d’autres domaines – je pense aux cadeaux fiscaux offerts aux riches –, mais il s’agit aujourd’hui d’une première démarche.

Pour autant, les écologistes appellent de leurs vœux des règles claires, respectées, plus transparentes et plus équitables.

Les Françaises et les Français attendent cette nécessaire moralisation du financement de la vie publique en général et de la campagne présidentielle en particulier.

En effet, il convient d’éviter à l’avenir les écueils du passé lointain et récent – on ne citera personne pour l’instant – ainsi que les polémiques dont la presse s’est récemment fait l’écho – je pense en particulier à l’affaire dite de Karachi, qui montre bien que les lois successives n’ont pas mis fin aux usages immoraux et aux dérapages.

À ce propos, il est important que la justice fasse son travail, tout son travail, quels que soient les noms, positions et grades des personnes impliquées dans cette affaire qui, rappelons-le, s’est traduite par quatorze décès, dont onze Français – je le précise, même si cette distinction peut choquer. Toute la lumière doit être faite sur ce dossier !

Par ailleurs, et sans lien direct avec l’affaire précédente – il se peut toutefois qu’il en existe un, mais je me garderai bien de l’établir –, un grand quotidien du soir évoquait hier l’éventualité que la communication des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy pour les élections présidentielles de 2007 soit exigée dans le cadre des affaires Bettencourt. Ces exemples montrent que la situation n’est ni saine ni claire. Sur toutes ces affaires, je le répète, la justice doit faire son travail !

M. Jean-Jacques Mirassou. Et l’IGS !

Mme Corinne Bouchoux. Absolument, mon cher collègue.

Par ailleurs, le système actuel, avec ce seuil de 5 % en deçà duquel le remboursement des frais de campagne diminue drastiquement, n’est ni juste ni moral.

Cette formule pénalise la diversité politique, en donnant tout, ou presque, aux plus gros partis, alors qu’ils ont déjà beaucoup, et alors même que certains d’entre eux préfèrent renoncer à des deniers publics plutôt que de respecter la parité.

M. Michel Delebarre. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Exactement !

Mme Corinne Bouchoux. Pourtant, en se conformant à cette obligation, un certain nombre de formations politiques réaliseraient des économies !

Ainsi, faute d’avoir respecté la parité, l’UMP aurait subi un manque à gagner de l’ordre de 4 millions d’euros lors des dernières élections législatives. Ce chiffre, le seul que j’ai pu trouver ce matin, me paraît toutefois un peu élevé. Il se peut donc que j’ai commis une erreur, et je vous prie de bien vouloir m’en excuser le cas échéant.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. C’est pourtant la triste réalité !

Mme Corinne Bouchoux. En l’état actuel, le système des 500 signatures constitue déjà un ticket d’entrée élevé. Il ne semble pourtant pas très opérationnel. En effet, il n’évite pas les candidatures farfelues et écarte des candidats dont on sait qu’ils récolteraient un nombre important de suffrages. Peut-être est-il temps que l’on accepte de s’interroger sur ce système !

Mes chers collègues, le risque de multiplication des candidatures à l’élection présidentielle existe, mais ne justifie pas pour autant que l’on aboutisse à l’expression d’une pensée unique ! C’est pourquoi nous pourrions réfléchir à un autre système, qu’il s’agisse par exemple du vote des différents conseils ou d’autres propositions. Ce matin même, l’une de nos collègues a émis une suggestion très intéressante, qui nous semble pouvoir donner lieu à des travaux de réflexion au sein du Sénat.

Selon nous, au-delà du projet de loi que nous examinons aujourd’hui, qui est un texte démagogique et de circonstance, il est souhaitable de poser la question des modalités de la campagne présidentielle et de répartir autrement l’enveloppe des frais de campagne.

Les « bien dotés » ont tout, les « peu dotés » n’ont rien : je le répète, ce système n’est pas propice à un débat démocratique équilibré et serein. Dès lors, pourquoi ne pas étudier les systèmes en vigueur dans d’autres pays ? En effet, différents modèles existent, et nous pourrions à tout le moins engager une réflexion comparative ! Ainsi, certaines législations prévoient que l’enveloppe est calculée non pas sur la base d’une élection, mais sur le fondement de plusieurs scrutins de diverses natures. Cet exemple est intéressant, car certains partis, comme celui auquel j’appartiens, peuvent récolter un nombre significatif de suffrages lors de certaines élections, et non des moindres – 16 % aux européennes, 12 % aux régionales –, et faire des scores inférieurs à l’occasion d’autres scrutins. À cet égard, le système actuel pose question et peut paraître injuste à un certain nombre d’électeurs.

En d’autres termes, les règles en vigueur s’apparentent à un système de la double peine : double dotation pour les grands et, pour les petits, « débrouillez-vous comme vous le pouvez ! »

Comme M. Collombat l’a souligné, ce système aboutit à des situations surréalistes, où des collègues honnêtes sont sanctionnés pour avoir obtenu des prêts sans intérêts. Ils les ont sans doute obtenus dans des conditions discutables, mais le fait est que ceux qui tentent de réaliser des économies sont pénalisés alors que d’autres, qui multiplient les dépenses inconsidérées, ne le sont pas. Qu’en pensent les contribuables et les citoyens ? On peut se poser la question.

Au-delà du cumul des inégalités, en matière financière ou face à l’accès aux medias, il existe une autre inégalité, que je vais tenter d’aborder le plus aimablement possible : le fait que 70 % d’entre nous se trouvent en situation de cumul des mandats. Ne vous en déplaise, mes chers collègues, nous devons en tenir compte.

Sans souhaiter une augmentation globale des dépenses – au contraire, nous sommes favorables à une réduction de celles-ci – conformément aux propos de M. le rapporteur, il nous semble que le présent projet de loi organique pose de manière anecdotique une question cosmétique et masque le débat de fond.

Selon nous, le système actuel favorise, d’une manière d’ailleurs assez inefficace, un pseudo-bipartisme qui ne nous semble plus tout à fait le reflet de la diversité des opinions de la société française en 2012 : en témoignent par exemple les scores obtenus par les différents candidats lors des trois dernières élections présidentielles ! Il convient également de se pencher sur cette question.

À nos yeux, la richesse de la vie politique vient des débats, des contradictions, des divergences de vue, de la confrontation des analyses et des projets respectifs pour la France de demain.

À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, dans une économie où les medias sont de plus en plus concentrés entre les mains de quelques puissances industrielles, et dans un contexte où les journalistes doivent lutter farouchement, par exemple pour garantir l’indépendance de la provenance de leurs informations, il serait légitime et sain pour notre démocratie de réfléchir aux moyens de réduire l’injustice et les iniquités entre les candidats à l’élection présidentielle, qui, force est de le constater, rythment encore la vie politique de notre pays.

Il est nécessaire que les candidats disposent des moyens de présenter de manière équilibrée leurs différentes visions de la société : dans cette perspective, le système actuel est hautement perfectible.

Dès lors que des candidats et des candidates défendent les valeurs républicaines, en conformité avec nos institutions, même s’ils sont critiques et dérangeants, ils et elles doivent pouvoir s’exprimer et être entendus par tous nos concitoyens. Ils feront ensuite librement leur choix dans l’isoloir.

Mes chers collègues, ces trente dernières années, des prises de conscience, des évolutions et des améliorations ont eu lieu.

Pourtant, il reste encore beaucoup à faire. C’est pourquoi, outre le débat sur le seuil de 5 %, qu’il faudra bien engager un jour prochain, dans la perspective d’une prochaine élection présidentielle, il convient de permettre des recours plus rapides et de concevoir un autre mode de travail pour le Conseil constitutionnel – sur ce sujet, je vous renvoie, mes chers collègues, à l’amendement qui sera discuté dans quelques instants.

Les précédents orateurs ont déjà évoqué le cas du candidat potentiel à sa réélection, qui fait pour ainsi dire campagne en poste, alors qu’il est encore en fonction : une telle situation n’est ni morale, ni équitable, ni propice à la vie démocratique. Nos concitoyens ne le comprennent pas, notamment les plus jeunes d’entre eux, qui éprouvent des difficultés à entrer dans la vie active.

Il est grand temps que le système évolue. Un de nos collègues vient de le rappeler : les élections cantonales sont mille fois mieux surveillées et sanctionnées que les élections présidentielles ! Où est donc la morale ? Où est l’exemplarité dont on nous a tant parlé ? M. le rapporteur l’a souligné, cette situation n’est ni normale ni tenable.

Pour l’ensemble de ces raisons, un autre système doit, à nos yeux, être mis en place à moyen terme. Il n’est certes pas possible de l’appliquer pour la prochaine élection présidentielle, mais il sera nécessaire de l’instituer pour la suivante.

Je vous remercie de votre attention, mes chers collègues, s’agissant d’un projet de loi organique essentiel pour l’avenir de nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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