« Pour nous, l’école est un sujet si important qu’il mériterait davantage qu’une concertation à chaque élection présidentielle »

Corinne Bouchoux (c) Sénat

Débat sur les conditions de la réussite à l’école, intervention en séance du 3 octobre 2012

Mme la présidente.La parole est à Mme Corinne Bouchoux

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour nous, la construction d’une école tournée vers la réussite à l’école doit s’appuyer sur une approche globale, suppose une concertation permanente – et pas seulement à chaque élection présidentielle – et un travail collectif qui n’exclut aucun acteur et inclut les élèves.

Si refonder l’école, c’est assurer la réussite de tous les élèves, le débat d’aujourd’hui doit nous fournir des pistes pour le texte législatif qui ne manquera pas de voir le jour. Quelle école voulons-nous pour former les citoyens de demain ? Quelle école voulons-nous pour avoir des élèves épanouis et motivés ?

Nous proposons trois leviers – nullement exclusifs les uns des autres – pour améliorer la réussite à l’école.

Il s’agit tout d’abord de lutter énergiquement contre le décrochage scolaire et, surtout, contre l’ennui. Il me semble que la source des problèmes auxquels notre système éducatif est confronté vient aussi de l’ennui à l’école, que celui-ci se manifeste dans les cités ou dans les beaux quartiers.

Il faut ensuite refonder le métier d’enseignant en ayant de la considération pour les professeurs, en les formant véritablement et en les respectant.

Il convient enfin, même si ce sujet peut paraître iconoclaste, de garantir le bien-être de tous à l’école.

Cela a déjà été souligné, le décrochage scolaire, c’est-à-dire l’abandon avant la fin d’un cursus, représente aujourd’hui un gâchis majeur à la fois pour les jeunes, pour les familles et pour l’institution. S’il touche majoritairement les milieux défavorisés, ce phénomène concerne également des milieux plus privilégiés.

Un autre problème majeur touche notre système éducatif : l’ennui à l’école. Je suis désolée s’il s’agit d’un tabou et d’un sujet qui dérange, mais, pour l’avoir évoqué avec nombre d’enseignants, je peux dire que ce phénomène, qui a peut-être toujours existé, entraîne aujourd’hui un autre type de comportement.

Certes, on peut le déplorer, mais c’est ainsi, nos jeunes ont une capacité d’attention de vingt minutes. Il faut donc adapter nos pratiques pédagogiques, pour lutter activement contre l’ennui dans les salles de classe.

À cet égard, plusieurs causes ont été identifiées.

Les élèves ont le sentiment d’être enfermés dans des disciplines qui se succèdent sans bien voir le lien qu’elles peuvent avoir entre elles.

Le recours au redoublement se poursuit, alors que cette mesure est inefficace. Si l’on voit deux fois le même film, mais que l’on dort à chaque fois, à la fin de la seconde projection, on n’a toujours rien vu ! C’est ce qui se passe dans notre système en France.

Comment créer une école qui permette d’éviter à la fois le décrochage et l’ennui ? Nous pensons en effet qu’il existe un lien entre les deux phénomènes.

Sur ce sujet, je tiens à signaler les intéressantes initiatives menées par un certain nombre de collectivités territoriales. Celles-ci tentent, en marge du système éducatif, de promouvoir des mesures innovantes. Il faut absolument que tous les acteurs travaillent ensemble ; peut-être en sera-t-il question demain, lors des états généraux de la démocratie territoriale.

Nous proposons donc une scolarité commune pour tous les élèves, avec une école fondamentale de six à seize ans, qui soit libérée de toute pression évaluative et de tout enjeu d’orientation, en tout cas en primaire. Avant onze ans, les notes ne servent à rien. Allez en Finlande, en Suède, ces pays où l’école réussit ; on va voir ce qui marche et on ne le fait pas !

La finalité du système ne doit pas être celle qui prévalait au début du siècle, c’est-à-dire sélectionner l’élite de l’élite. Aujourd’hui, il s’agit de donner à tous un bagage important. Il faut que tous les enfants à l’école aient conscience que la formation se déroule tout au long de la vie et pas seulement pendant quelques années.

Pour lutter contre le décrochage scolaire et l’ennui, offrir une autre formation aux enseignants constitue également un remède efficace. Nombre de mes collègues ayant développé ce point, je n’évoquerai pas la mécanique qui permettrait une autre formation. À nos yeux, le principe « 3 + 2 » que Michel Le Scouarnec a décrit est une bonne solution. Nous pourrions y revenir plus en détail à d’autres occasions.

En matière de pédagogie, les valeurs qui sont défendues doivent évoluer. Jules Ferry, c’est bien, Freinet, c’est bien, mais, depuis, il y a eu du nouveau sur de nombreux sujets !

Les élèves doivent apprendre à coopérer plutôt qu’à s’opposer, à participer y compris à l’oral. Ils doivent apprendre à se tromper : on parlerait bien mieux les langues vivantes étrangères si l’on pouvait prendre le risque de s’exprimer de façon fautive. Ils doivent apprendre à travailler par projets, individuels ou collectifs. Il nous faut prendre en compte le fait que, depuis cinquante ans, le monde a profondément changé et que l’école essaie de faire au mieux face à ces mutations.

Par conséquent, la formation des enseignants doit être adaptée à toutes ces nouveautés. Faute de quoi, nous constaterons toujours du décrochage massif, de l’ennui à l’école, lesquels peuvent aussi malheureusement produire de la violence.

J’en viens au troisième levier, qui s’inscrit dans la suite logique de notre raisonnement. Même si cela semble une idée originale qui peut prêter à sourire, nous pensons qu’il faut promouvoir le bien-être à l’école.

Je souhaite appeler votre attention sur le fait que nous avons en France de très bons élèves qui sont extrêmement malheureux. Songez au nombre de tentatives de suicide en classes préparatoires aux grandes écoles. Ces élèves, en pleine réussite scolaire, ce qui contribue à améliorer le classement de notre pays dans l’enquête PISA, personne n’en parle jamais. Je demande qu’un travail approfondi soit entrepris sur ce sujet qui pose la question des formes de la réussite scolaire.

Enfin, il faut aussi un accompagnement, c’est-à-dire des psychologues, des éducateurs. Nos enseignants doivent être sensibilisés à ces questions. Prenons en compte le bien-être de l’enfant. Cela passe par de la prévention, la lutte contre les discriminations et l’addiction à l’alcool. André Reichardt a d’ailleurs étudié le problème de l’alcoolisation des jeunes, phénomène qui peut apparaître dès l’âge de onze ans pour un certain nombre d’entre eux.

Du travail reste donc à accomplir pour que le bien-être à l’école permette la réussite de tous à l’école.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour relever tous ces défis, même s’il s’agit, nous en sommes conscients, d’une mission difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

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