INTERVENTION DE CORINNE BOUCHOUX SUR LA FIN DE VIE

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Le 17 juin 2015, Corinne Bouchoux intervenait au Sénat dans le cadre de la discussion générale de la Proposition de loi créant des nouveaux droits en faveur des malades et personnes en fin de vie

Madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Sénat, assez régulièrement critiqué – parfois avec raison, parfois avec excès –, passe pour ses défenseurs, dont nous sommes, pour l’instance qui protège les libertés collectives et individuelles.

En ce qui concerne les droits humains, qu’y a-t-il de plus précieux, de plus intime et de plus symbolique que le droit de pouvoir finir sa vie comme on l’a rêvé ou, à défaut, de ne pas l’achever comme on n’aurait jamais voulu qu’elle se termine ? De nos jours, les patients sont devenus des acteurs de leur maladie et, dès leur plus jeune âge, les citoyens sont invités à construire un projet de vie.

Le Président de la République François Hollande a, durant sa campagne, promis dans son engagement n° 21 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Sept propositions de loi ont été déposées au Sénat : celles de MM. Jean-Pierre Godefroy, Roland Courteau, Alain Fouché, Gaëtan Gorce, Jacques Mézard, celle de Mme Muguette Dini, ainsi qu’une proposition de loi écologiste. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail effectué par Mme Dini lorsqu’elle présidait la commission des affaires sociales. La majorité de ces textes a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État, et une autre proposition de loi sur le sujet a été récemment examinée.

Nous voici donc après la quatrième proposition de loi déposée depuis 2012 à l’Assemblée nationale, dont celle de notre collègue et amie Véronique Massonneau, discutée et renvoyée en commission le 29 janvier 2015.

Le groupe écologiste se sent proche de ce texte, qui vise à donner à chacun le libre choix de sa fin de vie, avec la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir, dans des conditions strictes et avec des directives anticipées contraignantes. À la suite de la lettre de mission du Président de la République, du rapport Sicard, d’une conférence de citoyens sur la fin de vie et d’un rapport du Conseil consultatif national d’éthique, un nouveau texte a été proposé, celui que nous examinons aujourd’hui.

Autant le dire posément, ce texte ne nous donne pas pleine satisfaction. Il ne prévoit pas ce que réclame la majorité de la population, à savoir le choix de bénéficier d’une aide ou d’une assistance active à mourir dans certaines conditions.

Vous l’avez dit, madame la ministre, cette proposition de loi est une sorte de compromis qui constituerait une petite avancée. Elle risque cependant de froisser ceux qui estiment qu’elle va trop loin, sans satisfaire l’immense majorité des Français qui demandent davantage.

Aussi, comment expliquer le sensible décalage entre les demandes de nos concitoyens, attestées dans tous les sondages, et notre timidité ? Nous respectons bien sûr celles et ceux qui n’ont pas la même position que nous. Néanmoins, nous considérons que la version initiale, tout comme celle qui a été modifiée par les rapporteurs, dont nous saluons la recherche de dialogue malgré nos avis divergents, n’est pas assez ambitieuse et ne prend pas en compte la demande de celles et ceux qui ne veulent pas d’acharnement thérapeutique.

Il reste une forme d’hypocrisie, puisque, d’après les statistiques officielles, près de 4 000 personnes meurent chaque année par « quasi-euthanasie ». Pourquoi refuser à toutes celles et tous ceux qui le réclament ce qui est déjà accordé à certains ? Les initiés, qui vivent dans des centres urbains bien dotés en services de soins palliatifs, seraient-ils les seuls à avoir le droit de bien mourir ?

La loi Leonetti de 2005 est peu et mal appliquée, nous avons tous partagé ce diagnostic. Pour remédier à cela, on demande au même de refaire une copie… De plus, sauf erreur de notre part, nous constatons que nos collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales, dont je salue les grandes compétences, sont respectivement médecin et pharmacien. Est-il indispensable de laisser ce débat uniquement aux mains du corps médical ? Ne faut-il pas démédicaliser l’approche que nous avons de la question et considérer que celle-ci concerne chacun d’entre nous ?

Enfin, j’aimerais exprimer un regret. Toutes les statistiques le montrent avec force, la fin de vie comme le care sont majoritairement pris en charge par des femmes. Nous discuterons peut-être à l’avenir d’une nouvelle loi sur cette question, puisque ce texte ne répond pas à toutes les attentes, mais j’estime qu’un tandem mixte serait aussi de nature à favoriser une approche plus ouverte sur le sujet.

Il faut également saluer l’excellent travail des personnels qui travaillent dans les services de soins palliatifs et celui des bénévoles, qui donnent leur temps sans compter pour aider ceux qui n’ont pas de visites. Grâce à eux, ceux qui meurent à l’hôpital – c’est là que l’on meurt aujourd’hui, et non plus chez soi – sont parfois bien accompagnés. Toutefois, on meurt aussi souvent seul, isolé, et pas de la façon dont on l’aurait souhaité.

Cela a été dit à plusieurs reprises, la loi dont nous discutons aujourd’hui concerne ceux qui vont mourir ou ceux dont la médecine pense qu’ils vont mourir, et non ceux qui, à l’issue d’un long parcours, aimeraient mourir mieux ou plus vite. Le Sénat a pourtant une responsabilité, celle de prendre en compte les attentes de la population, qui – je le répète – dépassent ce que nous faisons aujourd’hui avec ce texte.

Les babyboomers d’hier, c’est-à-dire, mes chers collègues, vous et moi, n’accepteront pas demain de ne pas être acteurs de la dernière étape de leur vie, alors qu’ils auront connu des évolutions majeures des droits individuels fondamentaux : droit de vote des femmes, reconnaissance du droit à l’interruption de grossesse, droit des personnes transgenres – même s’ils sont encore insuffisamment pris en compte, leurs droits sont en construction –, droit pour tous de se marier ou de ne pas le faire, de se pacser ou de vivre célibataire, de divorcer et de recommencer, ou non, une vie en couple.

Nous souhaitons avoir ici, aujourd’hui et demain, des débats à l’image du Sénat, des échanges sereins et sincères, argument pour argument. Nous aimerions qu’au-delà des clivages habituels se dessine une majorité humaniste et fraternelle, qui entende les demandes qui nous sont formulées et qui vont plus loin que vos propositions, madame la ministre. Je comprends votre prudence politique, mais je ne la partage pas.

Nous ne sommes pas, hélas, égaux face aux risques, aux aléas de la vie, aux souffrances et aux épreuves. J’espère que cette loi nous donnera l’occasion de montrer l’utilité du Sénat et de ses élus expérimentés, qui ont tous eu à connaître, dans leur mandat, leur vie antérieure ou leur vie familiale, les effroyables inégalités face à la mort.

Je rappelle que quelque 96 % des Françaises et des Français souhaitent que « la loi française autorise les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ». Ils sont 93 % à vouloir « que le Président de la République tienne sa promesse de campagne en autorisant, dans le cadre d’une loi votée par le Parlement, le recours à l’euthanasie active pour les personnes en fin de vie qui en feraient la demande ». Nous ne forçons personne, mais nous demandons que ceux qui le souhaitent puissent choisir leur mort.

Si les Françaises et Français se déclarent, dans leur très grande majorité, favorables à l’euthanasie, ils plébiscitent également – à 94 % selon une enquête de décembre 2014 – le recours aux soins palliatifs, qu’ils connaissent d’ailleurs trop peu. Néanmoins, j’en conviens, la loi n’est pas faite pour répondre aux sondages.

Notre philosophie a consisté à enrichir le présent texte en y apportant tout d’abord un amendement issu d’une réflexion collective et transpartisane, car, sur ces questions, la sensibilité personnelle compte peut-être beaucoup plus que toute autre considération. Ensuite, d’autres amendements ont été déposés au nom du groupe écologiste, à l’exception de l’une de ses membres.

En premier lieu, nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir dans des conditions strictes, afin d’élargir le champ des possibilités figurant dans la version actuelle du texte. Associée à l’analgésie et à l’arrêt des traitements, la sédation profonde et continue jusqu’à la mort ne saurait en effet constituer le seul moyen d’assurer le droit à une fin de vie digne. C’est d’ailleurs le point qui fait le plus débat entre nous aujourd’hui.

En deuxième lieu, il convient, selon nous, de laisser à chacun la possibilité de décider, pour sa mort, du moment et de la manière, puis de respecter ce choix. L’assistance médicalisée active à mourir est définie conjointement par la personne malade et – nous dit-on – par l’équipe médicale qui l’entoure. Ici aussi, un débat serein est nécessaire. Certains d’entre nous considèrent effectivement qu’une évolution est nécessaire et que ce texte ne va pas assez loin au regard des attentes de nos concitoyens.

En troisième lieu, nous proposons un amendement visant à élargir le contenu des directives anticipées, qui sont, selon nous, extrêmement importantes ; nous souhaitons en élargir et en préciser le périmètre.

En quatrième lieu, un amendement aura pour objet le développement, particulièrement nécessaire selon nous, des soins palliatifs. Nous promouvons les soins palliatifs pour tout le monde ! Il s’agirait du principal progrès de ce texte, car c’est là que réside l’échec de la première loi Leonetti.

Pour conclure, je réaffirme que le combat contre le « mal mourir » en France passe par le développement des soins palliatifs, mais aussi par la liberté de choix et la possibilité de recourir à une assistance médicalisée active à mourir. N’ayons pas peur de réclamer, pour ceux qui le souhaitent, le droit à l’euthanasie et au suicide assisté !

Mes chers collègues, je tiens à rendre hommage à Jean-Luc Romero et à l’association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD ; et je veux aussi remercier les sénateurs écologistes Jean Desessard et Marie-Christine Blandin, les premiers qui ont porté ce combat au Sénat.

Pour finir, je rendrai hommage à un collègue avec qui nous avions discuté de ces sujets et auquel nous pensons à cet instant : le sénateur Guy Fischer. Il s’agissait pour lui d’un sujet très important et il me semble qu’il aurait aimé un texte un peu moins timide. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

Crédits photo: Sénat

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