Les écologistes sont pour le Lyon – Turin par le tunnel du Mont Cenis
Ce 11 juillet 2013, la Région organise un « débat » autour du projet Lyon – Turin. En n’invitant que des promoteurs du projet, Jean-Jack Queyranne a transformé ce débat en opération de lobbying. Les écologistes n’ont donc pas participé à cette opération et ont quitté l’assemblée. Ils s’en expliquent.
Pourquoi les écologistes boycottent-ils ce débat ?
Un débat sur le Lyon – Turin avait bien été demandé par le groupe EELV, et décidé par toute la majorité réunie en séminaire au mois de mars. Pour EELV, il s’agissait de donner à l’assemblée régionale la possibilité d’entendre toutes les sensibilités et d’actualiser son analyse, car les paramètres et le format de ce projet ont notablement évolué.
Jean-Jack Queyranne a transformé ce débat en opération de lobbying avec l’audition des seuls promoteurs du projet et un débat politique réduit à la portion congrue. Ce n’est pas digne d’une démocratie d’assemblée car cela ne permet pas aux élus de se faire une idée en conscience. Impossible pour nous de cautionner une telle opération de propagande.
Aujourd’hui, doit-on compter Europe Écologie – Les Verts parmi les opposants au Lyon – Turin ?
Nous sommes pour le Lyon – Turin, pour un accès ferroviaire facilité aux Alpes du Nord, avec des sections de voies nouvelles limitées aux portions souffrant de saturation sur l’itinéraire. Ailleurs, on peut être aussi efficace en rénovant les lignes existantes, en les doublant et en les électrifiant là où ce n’est pas encore fait. Ces investissements profiteront bien plus aux liaisons TER. Il n’y a pas d’urgence à construire un second tunnel de base de 57 km, plus long que le tunnel sous la Manche.
Les promoteurs du tunnel, eux, sont dans la priorité inverse : obsédés par une subvention européenne, ils veulent creuser un méga-ouvrage sans se préoccuper des lignes en connexion, qui resteront en piteux état pendant des décennies.
Y a t’il une volte-face de la part des écologistes ?
Non. Les objectifs sont les mêmes, mais l’analyse a évolué, car le projet lui-même et le contexte socio-économique ont évolué. Les écologistes ont adopté une position commune à l’échelle européenne, à la suite d’un exercice de démocratie interne inédit : EELV s’est rapproché des partis verts italiens et suisses pour organiser une convention sur les traversées alpines en octobre 2012. Cette convention a auditionné aussi bien des promoteurs du projet (Louis Besson, alors président de la commission intergouvernementale de suivi) que des opposants déclarés et diverses parties prenantes. Après des échanges approfondis, le mouvement a ensuite arrêté sa position au niveau national et européen. Les actes sont disponibles sur le site www.convention-traversees-alpines.org
Qu’est-ce qui a évolué dans ce projet ?
Depuis 1992, les écologistes se sont battus, à la Région et ailleurs, pour que cette liaison contribue à un report massif du transport de marchandises de la route vers le rail. Le projet initial, une ligne à grande vitesse voyageurs, n’était pas pertinent vu le faible potentiel de passagers internationaux.
En 2007, l’État et les collectivités se sont engagés pour une priorité au fret, sur un itinéraire évitant le lac du Bourget et l’agglomération de Chambéry.
Mais depuis, le fret a de nouveau été relégué au second plan, pour donner la priorité à une gare TGV à Chambéry. Or, en desservant Chambéry en premier par le tunnel de Dullin-L’Épine, on repousse aux calendes grecques l’accès fret indispensable à la Combe de Savoie.
Pourquoi les écologistes pensent-ils qu’un second tunnel international n’est pas nécessaire ?
Le tunnel actuel du Mont-Cenis vient juste d’être rénové et agrandi. Ouvert au grand gabarit depuis un an, il n’est utilisé qu’à 20% de sa capacité. Or, il peut permettre le report vers le rail de plus des deux tiers des camions empruntant aujourd’hui les tunnels du Mont Blanc et du Fréjus et les vallées de l’Arve et de la Maurienne.
Le second tunnel, lui, est justifié par des projections qui prévoient une multiplication du trafic par quatre d’ici 2050. On est dans la pure croyance en une croissance mathématique et ininterrompue des flux de marchandises : le trafic mesuré à travers les Alpes du Nord stagne ou baisse depuis 1998.
Que faut-il faire pour reporter le trafic des marchandises vers les trains ?
Le fret ferroviaire est un support essentiel de la transition écologique. Pour le stimuler, ce n’est pas un méga-tunnel « de dans 20 ans » qu’il faut, c’est une volonté politique immédiate. La France et l’Italie doivent mettre en place une éco-redevance sur le fret routier à un niveau conséquent, à l’instar de la Suisse. Elle permettrait de financer des infrastructures alternatives à la route, mais aussi d’assurer leur attractivité, en rétablissant la vérité des coûts du transport routier.
Les écologistes s’opposent-ils systématiquement à tout projet d’infrastructure nouvelle ?
Non. Pour répondre aux besoins de mobilité, les écologistes veulent développer le réseau ferroviaire. Ils privilégient la modernisation des lignes existantes et la réouverture de certaines lignes fermées par RFF. Les infrastructures nouvelles sont nécessaires en cas de saturation avérée et/ou d’impossibilité d’une amélioration sur place. Dans ce cas les écologistes mettent en balance l’utilité sociétale et économique du projet avec ses impacts sur l’environnement, le foncier et les populations concernées. Ainsi, ils sont favorables aux contournements ferroviaires de Lyon (CFAL) et de Chambéry.
Comme le disent ses promoteurs, le Lyon – Turin n’est-il pas entièrement financé par l’Europe ?
Le budget de l’Union Européenne dépend de la contribution des États-membres, dont la France. Pour le moment il ne financerait que le tunnel international, à hauteur de 40%. La partie française, de Lyon à Saint-Jean de Maurienne, est donc entièrement à la charge de l’État et des collectivités locales. Il y en a pour au moins 11 milliards d’euros. La Région pourrait s’engager à hauteur de 900 millions, ce qui représente plus de 12 ans d’investissements sur les infrastructures de nos TER ! Il est impensable que notre Conseil régional agisse à l’inverse de ses discours en faveur des transports du quotidien.
Le budget global du projet n’est pas encore stabilisé, comme l’a souligné la Cour des Comptes, dont les conclusions de l’an dernier se rapprochaient de celles des écologistes. Et le financement de l’État sur la partie française est loin d’être acquis. Le rapport « Mobilité 21 » vient de le rappeler : « l’impact d’une poursuite du projet de liaison ferroviaire binationale Lyon – Turin : aucune possibilité de financement d’autres projets par l’AFITF ne serait plus alors ouverte avant 2028 ou 2030 ». Le Lyon – Turin reporterait donc l’ensemble des projets déclarés prioritaires au niveau national.
Les élus Europe Écologie – Les Verts ont-ils un plan B ?
Pour le prix d’un second tunnel entre Saint-Jean de Maurienne et Suse, il est possible d’améliorer grandement l’offre ferroviaire vers et dans les Alpes :
- modernisation, avec doublement et électrification pour les sections concernées, des lignes existantes : Lyon – Chambéry, Annemasse / Saint-Gervais – La Roche-sur-Foron – Annecy – Aix-les-Bains – Chambéry (sillon alpin Nord), Turin – Suse, Lyon – Grenoble.
- développement d’un itinéraire fret et voyageurs à haut niveau de service entre Lyon et les Alpes ;
- contournement des nœuds ferroviaires de Lyon et de Turin ;
- création de plateformes de fret intermodales, connectées aux zones d’activités logistiques ; simplification des services fret aujourd’hui handicapés par des procédures incohérentes ;
- protection des populations contre les risques et nuisances (pollutions, accidents, bruit…) ;
- développement de l’offre TER, y compris par des services périurbains de tram-train ;
Ce programme satisfait les besoins des chargeurs de fret et de 90% des voyageurs. On peut donc répondre aux besoins des populations avec un moindre budget, ce qui n’obère pas les autres investissements nécessaires, comme l’a montré le débat sur la transition énergétique.