Intervention d’Alain Chabrolle : la Région doit être associée à l’audit de sûreté nucléaire
Il y a plus de trente ans, j’achetais avec des amis, une prairie humide, le notaire nous indiquant qu’elle était très inondable. Quelques temps après j’étais exproprié, pour le compte d’EDF pour construire la centrale nucléaire du Blayais, sur la Gironde.
Oui nous ne voulions pas de cette centrale et surtout pas à cet endroit. Le 27 décembre 1999, dans une configuration déjà Xinthia, la centrale était inondée et nous avons frôlé de très près l’accident du Japon.
Oui, depuis quarante ans les écologistes se posent les bonnes questions, et vous posent les bonnes questions sur l’industrie nucléaire.
Que dire du « tout électrique » ? Nous constatons aujourd’hui l’énorme gâchis de cette politique qui a poussé la construction publique et privée sans isolation en repoussant toutes recherches et développements dans les autres solutions alternatives.
Que dire des règles et principes de la CIPR, la Commission Internationale de Radio Protection qui évalue les risques et fixe les normes qui sont la base, le socle du développement de l’industrie nucléaire ?
Extrait de SEBES, Radioprotection et droit nucléaire, Genève, 1998) par Roger Belbéoch
Annexe 5 « La CIPR a très tôt reconnu l’importance d' »optimiser » les doses reçues ou à recevoir par les travailleurs ou la population. Si l’on considère que le rayonnement est dangereux pour la santé, la logique d’une protection sanitaire correcte, sans restriction, aurait voulu que ces doses soient réduites au niveau le plus bas.
[…] En 1977 la CIPR introduisait le principe ALARA, « As Low As Reasonably Achievable », aussi bas qu’il est raisonnablement possible de réaliser. Mais est-ce « raisonnable » de condamner des gens à mourir de cancer en leur imposant certains niveaux de dose parce que la radioprotection coûte cher? Est-il raisonnable de condamner l’industrie nucléaire à dépenser des sommes considérables pour éviter quelques morts alors que ces dépenses pourraient menacer son développemnt? La CIPR ne pose pas le problème en ces termes d’une façon aussi crue mais ce qu’elle met en avant n’est-ce pas de préserver l’existence de l’industrie nucléaire dont les avantages pour la société sont le postulat majeur de son activité en tentant d’éviter des débordements qui pourraient socialement poser quelques problèmes?
La logique de la CIPR se justifie si l’argent nécessaire à l’amélioration de la radioprotection des individus (travailleurs ou population) est plus utile dans d’autres domaines de la protection sociale en protégeant un plus grand nombre de personnes. Le raisonnement est simple et le résultat est simple: les économies d’argent faites par les exploitants nucléaires en n’augmentant pas la radioprotection ne sont pas versées au budget de la protection sociale. Cet argent reste dans la comptabilité des exploitants. »
Annexe 10 « En 1990 la CIPR abandonne alors toute justification rationnelle de l’acceptabilité du risque du rayonnement. Elle va même jusqu’à déclarer qu’il n’est pas possible de fonder rationnellement les limites de dose sur la seule base de concepts scientifiques (biologiques). Les critères socio-économiques doivent être prépondérants pour juger de l’équilibre entre les risques et les bénéfices, mais aucun critère précis n’est avancé pour encadrer ces préoccupations financières
L’histoire du passage de l’admissibilité biologique à l’acceptabilité sociale, puis à l’acceptabilité socio-économique pour aboutir finalement à l’acceptabilité financière, résume assez bien l’évolution de la CIPR. »
Et c’est bien ce glissement que l’on constate en France, glissement cynique où la sécurité est devenu l’ajustement entre les bénéfices et les risques. Et ceci est particulièrement inquiétant concernant le prolongement de vie des centrales et la privatisation.
Que dire encore des comprimés d’iode périmés depuis 2007 et des stocks insuffisants ? L’association des Maires s’en ait ému dans l’Ain, pour la vieille centrale du Bugey. Tout est prévu, circulez. Il n’y a rien à voir !
Que dire également d’une industrie décarbonée ?
Faites une bibliographie. Il n’y a que quatre ou cinq véritables études sérieuse dans le monde et les dernières estimations indiquent que si l‘on intègre toute la filière , de la mine au Niger au stockage ultime, surveillé pendant des centaines d’années, le bilan est plus proche de l’industrie du gaz (150gr de CO2/kWh, bilan), qui n’est pas spécialement décarbonée.
Et que dire de l’électricité pas chère, pour tous ? Personne n’est plus dupe. Nous savons tous que les coûts des démantèlements et les traitements des déchets et leur stockage dont la faisabilité n’est toujours pas assurée par ailleurs, ne sont pas du tout provisionnés à leur juste valeur.
Que vraisemblablement le démantèlement sera tellement prohibitif que l’on conserve même tel quelle nombre de vieilles centrales. Et les augmentations des tarifs ne font déjà que croître.
Que dire aussi des vingt mille travailleurs intérimaires, véritables cobayes de l’industrie nucléaire, dont le statut ne permet même pas d’ouvrir des droits aux maladies professionnelles du nucléaire ?
Mais ayons aussi en tête les enjeux globaux.
L’électricité, ce n’est que 16 à 18% de notre consommation d’énergie et dedans la part du nucléaire est de 75%.
Le nucléaire ne peut pourvoir les secteurs les plus émetteurs de CO2. Pour 80% de ceux-ci le nucléaire est hors-jeu.
Aussi la transition énergétique c’est de s’attaquer à l’efficacité et à la sobriété énergétique, et dans deux grands domaines : la construction et les transports.
Le nucléaire fournit 3% de l’énergie mondiale. Il en fournirait 8% au maximum en 2050, selon les promoteurs de l’industrie nucléaire. Le nucléaire n’est pas la solution aux défis énergétiques. Qu’on en soit bien conscients tous.
Et c’est bien notre modèle de développement et le contenu de la croissance qui est au cœur des enjeux.
Ce vœu prend donc tout son sens. Merci.