Voeu sur la sûreté nucléaire : présentation par Annie Agier

Agier-08

Mesdames et messieurs les conseillers,

Vous l’aurez peut-être aperçu dans la presse, les centrales nucléaires font parler d’elles, ces temps-ci. Même le vénérable Dauphiné Libéré se demande en pleine Une si les centrales de Tricastin et de Cruas tenir plus de 40 ans.

Il faut dire qu’au rythme des révélations d’EDF et de l’Autorité de sûreté nucléaire, même les esprits les plus sereins ont de quoi s’alarmer.

Le 1er février, on apprenait que pas moins de 34 réacteurs sur 58 présentaient une « anomalie générique du système d’injection de sécurité ». En d’autres termes, les pompes à haute pression prévues pour le refroidissement d’urgence ne sont pas fiables et pourraient, dixit l’ASN, « ne pas refroidir suffisamment le coeur du réacteur »[1], en cas de fuite importante d’eau dans le circuit primaire. En Rhône-Alpes, les centrales de Cruas-Meysse, du Bugey et de Tricastin sont concernées. Pourtant, le réacteur n°1 de Tricastin vient de recevoir l’agrément pour fonctionner jusqu’à 40 ans au lieu de 30 !

Ce n’est pas tout. Le 16 février, EDF annonçait cette fois que les groupes électrogènes de secours de 19 réacteurs étaient potentiellement défectueux. À nouveau, le site de Tricastin est concerné en premier chef, au point que l’ASN a classé l’incident au niveau 2 de son échelle de sûreté. À quand le niveau 3 ?

Allons, allez-vous me dire, pourquoi se faire du souci alors que jusqu’à présent la France n’a jamais connu d’accident majeur ? Après tout, la Région n’y peut pas grand-chose, et le nucléaire est en de bonnes mains, non ? Justement, la responsabilité d’un élu, national ou local, est de se départir de l’approche la plus triviale du risque, qui consiste à n’envisager que la possibilité d’une explosion majeure et brutale. Non, c’est ainsi, ce n’est pas confortable, les situations critiques naissent en général d’une accumulation de dysfonctionnements plus ou moins ordinaires. Et dans la situation qui nous préoccupe, les deux incidents rapportés ne font qu’allonger la liste d’une inquiétante série : erreur d’étiquetage de matière fissile à Marcoule (2009), fuite d’uranium à Tricastin (2009), irradiation d’un salarié d’une entreprise prestataire d’EDF à Chinon (2010), pour ne parler que des faits les plus graves.

Pour notre région, les risques et les impacts de la filière électronucléaire ne s’arrêtent hélas pas aux portes des centrales. Ainsi, toutes les semaines, un ou deux convois ferrés de déchets remontent la vallée du Rhône. Le 14 décembre 2010, on en voyait un traverser le centre-ville de Valence. Le 08 février, un autre train traversait l’Ain, direction la Hague, avec pas moins de 13 tonnes de déchets. Mieux encore, quand les déchets ne circulent pas sur notre réseau TER, façon Transport extra radioactif, ils se baladent sur les routes de la Région. Les Ardéchois en savent quelque chose, on croise ces convois très spéciaux jusque sur les petites routes, du côté du col de la Chavade. À chaque fois, les maires des communes concernées ne sont jamais prévenus !

Le groupe Europe Écologie – Les Verts ne joue pas la carte de l’affolement, mais il ne peut pas se satisfaire de la situation. Notre position sur le nucléaire, vous la connaissez. Jamais nous ne cautionnerons pareille désinvolture à l’égard des générations futures. En amont, l’extraction de l’uranium expose quotidiennement les travailleurs et les riverains à la radioactivité, souvent sans qu’aucune protection sérieuse ne soit fournie. Oh, c’est sûr, tout cela se passe au Niger, dans un désert où il y a assez de sable pour faire l’autruche. En aval, le traitement des déchets se résume en gros à leur empilement, voire leur transfert en Russie – en attendant mieux, nous dit Areva. In fine, le démantèlement des centrales en fin de vie n’est pas financé, dans un contexte où EDF préfère multiplier les investissements hasardeux à l’international, et affaiblit sa maîtrise technique par un recours de plus en plus systématique à la sous-traitance. Qui peut en redemander ?

Pour autant, même si pour nous il n’est de sûreté raisonnable que dans la sortie du nucléaire, nous devons bien nous préoccuper de la sécurité des réacteurs existants, et c’est tout le sens du vœu que nous proposons. Car la sûreté passe par des procédures et dispositifs de contrôle adaptés, par des moyens humains dégagés de toute pression vers le moins-disant, mais aussi par une transparence de tous les instants sur le fonctionnement et les dysfonctionnements de la filière nucléaire. Parce que 25 ans se sont écoulés depuis que le nuage de Tchernobyl s’est officiellement « arrêté aux frontières de la France », nous souhaitons que les Rhônalpins soient enfin sérieusement informés des risques et des inconnues auxquels ils doivent bon gré mal gré faire face. Cet effort de transparence est du ressort des acteurs industriels, on peut toujours l’espérer, des autorités chargées de leur contrôle, ASN en tête, et plus largement de l’ensemble des services de l’État. Nous souhaitons que la Région s’investisse également, même si on ne lui en laisse pas toujours la possibilité – nous n’avons pas oublié que l’État a refusé que le Plan régional d’élimination des déchets dangereux s’occupe des déchets nucléaires. Au moment où de grandes manœuvres s’engagent pour prolonger la durée de vie du parc de réacteurs français à 40, 50 voire même 60 ans[2], au moment où d’autres acteurs, ou les mêmes, cherchent à nous faire accepter de nouveaux bijoux nucléaires au nom ripoliné comme « Atméa », il est plus que jamais important de sortir le débat sur le nucléaire sorte de son enceinte de confinement.

Vœu :

Pour l’ensemble de ces motifs, et par la voix de son assemblée plénière, la Région Rhône-Alpes exprime le vœu suivant :

 

–       que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) fasse rapidement la lumière sur la potentielle défectuosité du système d’injection de sécurité des 34 réacteurs concernés ; qu’elle étudie le cas des 24 autres tranches en exploitation ; qu’elle publie un rapport détaillé sur les anomalies constatées au niveau des groupes électrogènes de secours du site de Tricastin ;

 

–       qu’Électricité de France (EDF), en tant qu’exploitant des centrales, remédie rapidement aux dysfonctionnements observés, en garantissant le niveau de sûreté normalement assuré par les deux dispositifs de secours incriminés ;

 

–       que le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire se penche sur la série d’anomalies pointées par l’ASN, et fournisse une explication sur le silence général observé jusqu’à cet hiver ;

 

–       que le Préfet de Rhône-Alpes organise une commission d’enquête spécifique au site de Tricastin, en associant le Conseil régional au pilotage des travaux ; qu’il tienne informé les maires dont la commune est concernée par le passage des convois de déchets radioactifs ;

 

–       que les ministères en charge de l’Écologie et de l’Industrie initient une campagne d’études épidémiologiques de grande ampleur autour des sites nucléaires français (portant à la fois sur les populations et sur les écosystèmes) ; que cette campagne s’inspire de ce qui a été réalisé en Allemagne, et de l’étude réalisée par la FRAPNA autour du site de Tricastin (2010) ;

 

–       que les installations nucléaires fassent l’objet de plans de prévention des risques à l’image du dispositif « Plan de prévention des risques technologiques » mis en place vis-à-vis des installations classées « Seveso » seuil haut (loi n°003-699 du 30 juillet 2003).

 

Dans le même temps, pour appréhender les tenants et les aboutissants de l’électricité d’origine nucléaire, les citoyens rhônalpins ont droit à une information sans zones d’ombre quant aux questions de sûreté des installations, de démantèlement des réacteurs en fin de vie ou de traitement des déchets issus du combustible employé et son recyclage éventuel. Dans cette optique, et soucieuse de faire vivre sa devise « Rhône-Alpes, la citoyenne », la Région s’engage à :

 

–       dynamiser les Commissions locales d’informations, en lien avec les Conseils généraux concernés (Ain, Ardèche, Drôme, Isère) ;

 

–       diffuser une information exhaustive auprès de tous les Rhônalpin-e-s, en l’adaptant en fonction des publics : scolaires, professionnels de santé, agriculteurs, élus locaux…

 

–       relayer toute information relative aux comportements individuels et collectifs à observer en cas d’incident.

 



[1] ASN, Avis d’incident du 7 février 2011.

[2] Dans un récent communiqué, EDF déclare souhaiter prolonger la durée de vie de ses centrales jusqu’à une moyenne de 52 ans.

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