Intervention de Christophe Porquier en présence de M. le Préfet de région, le 16 décembre 2010

Christophe Porquier

Pour le Groupe Europe écologie – Les Verts au Conseil régional de Picardie

Intervention sur le Canal Seine Nord en présence de M. le Préfet de région

Jeudi 16 décembre 2010

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Monsieur le Préfet de région,
Monsieur le Président du Conseil régional
Monsieur le Président du CESER
Mes chers collègues,

Vous ne serez pas surpris ici d’entendre mon scepticisme à propos du projet de Canal Seine Nord, que j’exprime au titre du groupe Europe écologie – Les Verts.

Ce canal pose de nombreux problèmes
– en termes d’aménagement du territoire en traversant surtout une zone peu densément peuplée de la région,
– un impact considérable sur la ressource en eau et sur les milieux naturels des bassins concernés
– son imbrication dans un modèle de développement globalisé, en tant qu’axe de transport continental des marchandises du port de Rotterdam,
– un financement qui apparaît encore à ce jour bien incertain, tant dans ses estimations que dans le tour de table complet avec les partenaires privés à l’issue du dialogue compétitif.

Tout ceci pour un bénéfice en termes de transports et de transfert modal,  de développement économique local, qui semble bien hypothétique, et tiens davantage de l’incantation.

Mais je ne rentre pas plus avant dans le débat sur l’opportunité.

Nous sommes dans un contexte de crise économique sévère : l’Etat peinant à investir 15 milliards par an toutes politiques confondues s’engagerait ici à hauteur de près d’un milliard, soit 45% de la part publique.

Les collectivités sont quant à elle invitées à s’engager à hauteur de 785 millions d’euros. Pour un investissement qui est du domaine de compétence de l’Etat, c’est une proportion considérable : 36% de l’apport public.

C’est une donnée qui nous interpelle. Au moment où s’effectue un mouvement de recentralisation, qui vise à fusionner les collectivités, à supprimer la compétence générale tout en gelant les dotations qui remplacent leur autonomie fiscale. Voici les collectivités invitées à contribuer aux politiques de l’Etat dans un rapport de 36 pour 45, le reste revenant à l’Europe.

D’une part, les collectivités subissent une pression accrue sur leurs compétences et leurs financements, et d’autre part on leur demande de payer ce qui ne tient pas de leurs compétences. Et ce n’est pas la TIPP grenelle qui pourra compenser les sommes ainsi engagées par les collectivités.

Ceci m’amène, Monsieur le Préfet, à exprimer un certain nombre de questions sur ce projet :

D’abord des questions sur son financement :
– Le plan de financement est estimé à 4318 millions, pouvant atteindre 4447 millions à l’issue du dialogue compétitif. Mais nous savons que cette estimation est un premier devis qui semble aujourd’hui sous évalué.  A supposer que ce canal se réalise, quels mécanismes sont prévus pour abonder le budget initial entre les parties prenantes ? Si, par exemple, le budget réel dépassait les 5 milliards ou flirtait avec les 6 ?  Dans ce projet, quels sont les aspects qui ne sont actuellement pas pris en compte (tous les ouvrages d’art et les routes pour rejoindre le canal – le « schéma d’accueil »  – relèvent d’autres budgets). Quelle sera la politique de l’Etat pour ces budgets annexes ?
– Si le canal est construit, après le temps de la construction viendrait celui de l’exploitation. Le tunnel sous la manche nous a enseigné que celle-ci ne transformait pas une infrastructure en poule aux œufs d’or. Il y aura un déficit d’exploitation sur le canal. A combien estimez-vous le déficit d’exploitation de cet hypothétique canal, et quels mécanismes envisagez-vous pour le combler ? Quelle sera la subvention d’équilibre de l’Etat ? Est-ce que les collectivités locales seraient elles aussi appelées à y contribuer ?
– Ma question vaut également si le canal n’est pas construit et que les sommes sont finalement moins importantes. Est-ce que la même clé de répartition est valable avec un  budget réduit, si on en vient à constater « l’impossibilité d’un canal » pour paraphraser un  récent prix Goncourt, dont il resterait à payer les sommes engagées au titre des fouilles, des études, des acquisitions de terrains ?

Par ailleurs, j’ai aussi des questions sur l’apport essentiel que notre région apporterait au canal si elle devait être traversée, à savoir la ressource en eau et le patrimoine naturel.

La ressource en eau. Elle est vitale pour les populations, pour l’agriculture dans notre région, pour de nombreuses activités de loisirs comme la pêche, elle est indispensable pour la pérennité des zones naturelles humides qui sont de grands réservoirs de biodiversité de notre région.

En absorbant 20 millions de m3 d’eau, puis plusieurs millions de m3 par an en usage régulier puisés dans l’Oise et dans l’Aisne (1,2 m3 par seconde), ce canal aurait des conséquences inévitables et dommageables sur le bassin versant de l’Oise.

Cette eau elle sera prélevée en Picardie, et si des habitants payent le prix du détournement de son utilisation ce seront les Picards les seuls concernés. Si des budgets s’avèrent nécessaires demain pour préserver le patrimoine naturel, pour préserver des activités… il faudra bénéficier de fonds complémentaires qui ne peuvent être alimentés par les seules collectivités de la région d’accueil du canal. C’est pourquoi il apparaît nécessaire que la politique tarifaire de ce canal et une rémunération sur l’alimentation en eau alimentent un fonds destiné à compenser les charges qui seraient inévitablement amenées par cette infrastructure. Où en est la réflexion de l’Etat à ce sujet ?

Enfin,  le réseau de canaux historiques, dit « Freycinet »  nécessite des investissements conséquents. Ainsi le canal de la Sambre à l’Oise – pour ne prendre que celui-ci – est aujourd’hui interrompu car les écluses sont « hors service ». Les bateaux arrivant de Belgique arrivent dans une impasse en Picardie. Comment les fonctions économiques et touristiques de ces équipements historiques peuvent-elles être maintenues en parallèle d’un tel projet de grand canal. C’est aussi l’un des questionnements dont nous devons nous saisir à l’occasion de ce débat.

Je vous remercie.

Consultez l’intégralité des échanges sur le Canal Seine-Nord ICI

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