Accueil Thématiques Convertir l'économie Discours de Robert lion sur les Agences de notation – 28/06/12

Discours de Robert lion sur les Agences de notation – 28/06/12

Monsieur le président, Madame la vice-présidente, chers collègues,

 

Le sujet des agences de notation, mes chers collègues, n’était pas une lubie conjoncturelle de quelques groupes politiques. Si le sujet battait son plein en 2011, lors des dégradations successives de la Grèce, de l’Italie, de l’Irlande, de l’Espagne, lors de la première dégradation de la note française. On notera au passage que la phrase de Nicolas Sarkozy « si la France perd son AAA, je suis mort » n’était pas, sur un plan électoral, complètement erronée.

 

Le sujet des agences de notation financière est bien un sujet de dysfonctionnement structurel de la planète financière. Récemment, l’Espagne a vu sa note reculer de trois nouveaux crans, atteignant quasiment la catégorie spéculative. Les conséquences, en termes de coût du crédit, sont considérables.

 

Le paradoxe soulevé dans cet hémicycle à plusieurs reprises continue d’exister : alors que la crise financière a mis en lumière les lourdes responsabilités d’acteurs tels que les agences de notation, ces dernières ont pris un poids encore plus prépondérant devant la crise de la dette souveraine.

 

Voilà pourquoi je suis heureux de présenter un rapport sur les agences de notation, heureux que ce sujet ait été soulevé, ici-même, par mon groupe politique, et que la commission des finances ait pu y travailler sereinement. 5 réunions de la commission des finances ont permis d’avancer sur cette question. Nous avons notamment auditionné plusieurs acteurs : ceux qui sont au cœur du problème (Standard & poor’s), le régulateur (AMF) et un investisseur (ERAFP).

 

Je tiens à remercier l’ensemble des commissaires qui s’y sont attelés et ont mis leurs idées au service de la recherche commune de solutions. Certes, les désaccords ont existé, et je ne vous cache pas qu’en tant qu’élu écologiste, j’aurais aimé qu’on puisse « oser » davantage. Nous avons néanmoins su, ensemble, trouver des compromis et tracer une stratégie pour sortir de l’impasse de la notation.

 

Notre rapport coïncide, tant temporellement que le fond, avec celui présenté il y a quelques semaines au Sénat.  Dans les deux rapports, il s’agit de préconisations fortes, il s’agit de préconisations opérationnelles, il s’agit de préconisations justes.

 

Evidemment, la focale ne pouvait pas être identique. Le Conseil régional ne pouvait pas parler en tant qu’institution normative en la matière. Il s’agissait de parler en tant qu’institution, si vous me permettez l’expression, « consommatrice » des notations. Cela impliquait évidemment d’établir un diagnostic sur le fonctionnement des agences de notation, mais également de se prononcer sur les relations contractuelles de la Région avec ces agences.

 

Que dit notre rapport ? D’abord, que le système reposant sur les agences de notation fonctionne mal. Ces dernières se sont gravement trompées, que ce soit hier pour les subprimes et Lehman Brothers comme avant-hier pour Enron. Dans leur fonction d’évaluation du risque, elles ont été et restent des acteurs inefficaces.

Inefficaces, car la notation repose sur des incitations iniques, le payeur étant l’entité évaluée. C’est la question du modèle économique.

Inefficaces, car ne devant répondre de rien devant personne. C’est la question de la responsabilité.

Inefficaces, car en situation d’oligopole. Pour les collectivités, cette situation est d’autant plus problématique que la notation, pour laquelle les collectivités paient, est adossée à celle de l’Etat, ce qui réduit fortement son utilité.

Inefficaces enfin, car les notations financières sont trop court-termistes, focalisées sur des variables principalement financières.

Ces critiques, que je résume ici trop brièvement et qui mériteraient sans doute des appoints, se retrouvent également dans le rapport du Sénat.

 

Le système des agences de notation marche donc sur la tête ; la Région, en la matière, ne peut s’acquitter des 200 000 € annuels sans réfléchir à des alternatives. Elle a le pouvoir, comme elle l’a montré sur la question des paradis fiscaux, de faire évoluer la finance, pour une finance au service de l’économie réelle, de l’humain, du long terme.

 

Les propositions du rapport vont donc dans ce sens. Les diverses auditions menées ont convaincu la commission qu’il était impossible de renoncer, seuls et à brève échéance, à la notation financière. En effet, la quasi-totalité des investisseurs l’exige. Toutefois, le rapport propose une stratégie pour réduire la dépendance de la Région aux agences de notation, pour sortir progressivement de l’impasse actuelle.

 

D’abord, il s’agit de promouvoir une vision au niveau national et européen. L’UE a travaillé, sous l’égide du commissaire Barnier, à des propositions qui vont dans le bon sens ; suppression du référencement des ANC dans de multiples règles et normes, l’obligation pour les investisseurs d’effectuer leurs propres évaluations de crédits ; l’encouragement d’une plus grande transparence des notations. D’autres pourraient sortir des débats en cours : interdiction des préconisations politiques, rotation, responsabilité civile des agences, concurrence plus ouverte entre agences.

 

La Région doit appuyer ces débats dans le sens d’une plus forte régulation. Il est essentiel que la Région fasse connaître sa position, en lien avec l’ARF. De même, elle doit se proposer comme terrain pilote de mise en pratique des orientations européennes. La Région pourra également demander au gouvernement d’étudier la perspective d’une mise à disposition des prêteurs et souscripteurs français, des analyses financières établies par la Banque de France.

 

En outre, nous devons faire évoluer nos relations avec les agences de notation, dans les contrats qui nous lient avec elles :

-       changement de l’appel d’offres, pour une meilleure prise en compte d’éléments extra- financiers, c'est-à-dire sociaux et environnementaux ; cela permettra d’évaluer les performances sur des critères plus larges, afin d’apprécier réellement la soutenabilité de la dette. Les bonnes pratiques sociales et environnemenatles doivent donc être prises en compte positivement, car effectivement elles concourent à la solidité financière de la Région !

-       application du principe de rotation, que la Région a déjà commencé à s’appliquer.

 

Enfin, c’est la stratégie financière tout entière qui peut évoluer pour gagner en indépendance vis-à-vis de la notation. Il faut aller vers une plus grande diversification des ressources.

Cela conduit, par exemple, à ne pas négliger les relations directes avec les banques. EN effet, si l’on va dans le sens des futures régulations concernant les agences de notation, il faudra promouvoir l’internalisation de la notation, c'est-à-dire qu’un maximum d’acteurs effectuent eux mêmes les évaluations.

Cela conduit également à s’engager en faveur d’emprunts populaires, comme nous venons de le mentionner. Ou d’emprunts ISR, qui sont relativement moins dépendants de la notation financière.

 

Une dernière piste nous semble particulièrement opportune, alors que les collectivités éprouvent les pires difficultés à se financer et qu’elles sont souvent amenées à ajourner leurs investissements. Cette piste, il s’agit des emprunts groupés.

A travers des emprunts d’une plus grande envergure, nous pourrons mobiliser des capitaux plus importants à des taux moindres.

Cela passe, tout d’abord, par l’adhésion à l’association de préfiguration de l’Agence de financements des collectivités locales. L’Ile-de-France, loin d’être au-dessus de cela, a intérêt à fédérer autour d’elle, pour que les collectivités investissent et se mettent ensemble, comme cela se fait dans beaucoup de pays européens.

Aussi, cela peut passer par l’émission d’obligations groupées, comme des « eurobonds » à l’échelle de l’Ile-de-France. C’est possible. Symboliquement, cela voudrait dire, par exemple, que nous refuserions d’être l’Allemagne de l’Europe. Ce faisant, la contrainte sur les collectivités serait réduite, avec elle le serait la contrainte de la notation, au bénéfice de la solidarité.

 

Chers collègues, ces orientations sont le fruit d’un travail sérieux et commun. Elles dressent des pistes réalistes mais ambitieuses. L’alternative, en matière de finance, surtout lorsqu’on se place au niveau régional, est difficile à mettre en œuvre. C’est cependant par ce type de réflexions que nous parviendrons à faire émerger une notation plus juste, au service d’une économie plus résiliente.