Décentralisation : « Sur le logement, je ne vois pas en quoi la Métropole de Paris répondra mieux aux problèmes actuels » (Emmanuelle Cosse)
ADépêche AEF Paris, mardi 5 mars 2013, 19:33:03
« Sur la question du logement, je ne vois pas en quoi la métropole de Paris répondra mieux aux problèmes actuels », explique Emmanuelle Cosse, à AEF Habitat et Urbanisme, mardi 5 mars 2013. Réagissant à la dernière version du projet de loi de décentralisation transmise au conseil régional (1), qui prévoit notamment la création de la « métropole de Paris » (AEF Habitat et Urbanisme n°10497), la vice-présidente (EELV) de la région Île-de-France en charge du logement et de l'aménagement, se dit « dubitative sur le fonds et sur la forme ». Elle regrette qu' « on décentralise une compétence mais qu'on n'y associe pas l'ensemble des acteurs de l'habitat et l'ensemble des financeurs ». Elle y voit « deux interprétations possibles : soit se dire que c'est un oubli fâcheux, soit que c'est le signe que la région importe peu ».
AEF Habitat et Urbanisme : Le groupe EELV assure dans un communiqué, que vous cosignez, que la création de la métropole de Paris signifie « la mort de la région Île-de-France » (AEF Habitat et Urbanisme n°10502). Pourquoi ?
Emmanuelle Cosse : Personnellement, je ne suis pas opposée à ce qu'il y ait une métropole, y compris qu'on décide qu'il y ait besoin d'organes de décision un peu différents pour la zone dense, et une des choses positives de ce projet de loi, notamment sur la question du logement, est la montée en puissance des intercommunalités. Le problème est qu'on crée une métropole « de Paris » qui couvre les deux tiers du territoire francilien, qui va concerner dix millions d'habitants et qui ne correspond d'ailleurs pas qu'à la zone dense. On peut s'interroger sur la place qu'auront la région et les départements car ils ne sont pas associés à la gouvernance de cette métropole. Dans les versions précédentes, la région en était membre, là elle n'y est plus du tout.
Nous sommes simplement conviés à une « conférence métropolitaine », pour échanger les points de vue. On ne dit même pas si cette conférence se réunira une fois par an, elle n'a aucun pouvoir coercitif, pas de statut juridique… Cela montre le peu d'intérêt qui lui est porté. Cela nous interroge sur le maintien de nos actions et sur la légitimité politique de la région Île-de-France, alors même que le projet de décentralisation renforce le rôle économique de la région. Il y a là une antinomie troublante.
AEF Habitat et Urbanisme : Quelles sont vos principales craintes ?
Emmanuelle Cosse : J'ai très peur qu'on crée une nouvelle strate institutionnelle, compréhensible pour personne et qui ne réponde pas aux besoins actuels. L'un des enjeux majeurs pour la région est la péréquation entre départements riches et départements pauvres, le texte actuel prévoit la création d'un fonds qui permet de péréquer, mais sur une base assez faible. Le deuxième sujet est la montée en puissance de l'intercommunalité, et là je crois quand même qu'on y arrive, d'autant que sur le reste du projet de loi, on la renforce en tant que telle.
Mais la question va être celle de la coexistence de la métropole d'un côté, de la région de l'autre, avec les départements en plus… Je m'interroge sur la manière dont on va gérer les territoires qui ne sont pas dans la métropole : qui va s'intéresser à eux ? Comment va-t-on construire une stratégie sur ces zones si cela ne se fait pas en synergie avec la stratégie de la zone dense ? D'autant que les départements vont être coupés en deux pour certains d'entre eux…
Ce qui m'inquiète aussi, c'est que le projet de loi ne fait jamais référence au Sdrif, qui porte une vision de l'aménagement pour les années à venir. La métropole ne s'intègre même pas dans ce schéma directeur. On ne sait donc plus si une des actions principielles de la région est toujours là…
En outre, je remarque que sur un sujet très onéreux comme les transports, personne ne réclame à prendre la compétence, d'un seul coup, la vision francilienne est intéressante… C'est hypocrite qu'en fonction des thèmes et surtout des avantages politiques que cela procure, on décide que là, la région ça vaut le coup, là non. Ce qui me chagrine, c'est qu'il y ait une incohérence globale !
AEF Habitat et urbanisme : Le texte, dans sa version actuelle, prévoit un « schéma régional de l'habitat et de l'hébergement ». Qu'en pensez-vous ?
Emmanuelle Cosse : Ce schéma régional n'a de régional que le nom, il faut dire les choses franchement. Le texte dit que la métropole élabore son schéma métropolitain, et que la région est sur l'autre partie, ne pouvant imposer sa vision à la métropole sur le territoire la concernant. Cela n'a pas de sens au regard d'une carte ! On devra s'intéresser à une zone circulaire, aux franges, sans regarder l'interaction avec la zone métropolitaine sur les questions de logement et d'hébergement : je ne comprends même pas le sens d'une telle chose. On ne peut avoir cette vision séparée. J'ai l'impression qu'on nous a donné ça pour nous faire plaisir, alors que la loi a exigé en 2009 que l'Île-de-France se dote d'un schéma francilien du logement étudiant, qu'on mène une politique de rénovation urbaine sur un schéma francilien, etc. Il y a quelque chose de complètement antinomique. Le projet de loi prend les élus régionaux pour des imbéciles!
L'idée de départ était de faire un programme régional de l'habitat : c'était une idée forte émise dans notre rapport sur l'autorité organisatrice du logement, une idée qui a fait consensus auprès de Marylise Lebranchu [ministre de la Décentralisation], et que l'on retrouvait dans les versions précédentes du texte. In fine, on n'a même pas jugé utile que la région continue à faire ce PRH. La région ne peut rien dire sur la métropole, ni même avoir de vision sur les deux tiers du territoire, il n'y a pas de message plus clair !
Je ne sais pas si cela pourrait nous conduire à cesser nos actions en la matière, mais la question peut venir en débat. À partir du moment où l'on n'est pas associés à la prospective, ni à la programmation, que l'on n'est pas considéré semble-t-il comme un acteur sérieux… On décentralise une compétence mais on n'y associe pas l'ensemble des acteurs de l'habitat et l'ensemble des financeurs. Il y a pour moi deux interprétations possibles : soit se dire que c'est un oubli fâcheux, soit que c'est le signe que la région importe peu.
Je suis donc dubitative sur le fonds, mais également sur la forme. Le texte prévoit la création de la métropole en 2016, c'est un temps très long. Il faudra ensuite élaborer le schéma, puis l'adopter, ce qui pourra se faire en un an et demi au mieux… Mais la crise du logement, ça n'est pas dans trois ans qu'on doit la résoudre ! Je ne comprends pas, au vu de l'objectif partagé par tous de répondre à cette crise, on en arrive à exclure un acteur qui met 250 millions d'euros dans le logement et l'hébergement. Je ne dis pas qu'il fallait faire l'autorité telle que la région la réclamait, mais il fallait au moins arriver à un compromis…
(1) Texte transmis par le gouvernement vendredi 1er mars, et présenté selon l'élue comme étant la version transmise au Conseil d'État.