Automobile : sauvons les emplois en prenant le virage écologique
Pour tous les Cassandre, écologistes et autres prophètes de la fin de l’automobile, le choc avait beau être attendu, il n’en est pas moins douloureux. Les 8000 suppressions de postes annoncées par PSA Peugeot-Citroën, emportant avec elles des dizaines de milliers d’emplois indirects, confirment cruellement le déclin industriel français.
Comme les mines en leur temps, les usines automobiles auront fait la grandeur d’une époque, fournissant des emplois aux classes populaires, entretenant la fuite en avant des économies de marché et garantissant le rayonnement international des élites françaises. Mais à la fin, pas de happy-end. Le secteur périclite, enfermé dans une vision court-termiste qui aujourd’hui favorise les stratégies boursières et le dumping social, et ce sont toujours les mêmes qui trinquent. Fatalité ?
Il n’est pas trop tard pour renverser la vapeur. Chaque euro déboursé dans l’urgence en direction d’une filière automobile prisonnière du même modèle économique sera un euro perdu. Chaque euro déboursé dans une logique de transformation de long terme de la filière, à l’inverse, sera un euro gagné. Sinon, à l’image des 8 milliards d’euros mobilisés par l’Etat au plus fort de la crise, nous allons tout droit vers un gigantesque gâchis.
Nous sommes devant une opportunité historique : le sauvetage des emplois aujourd’hui menacés peut être le point de départ de cette transformation. Nous avons plus que jamais besoin du savoir-faire des ouvriers spécialisés de l’industrie automobile. Nous avons besoin qu’ils construisent les véhicules du futur dont nous aurons encore besoin, plus de transports en commun, plus de batteries pour les éoliennes et les panneaux photovoltaïques. La mobilisation de leurs compétences sera indispensable pour s’engager dans de nouvelles productions, dans le recyclage et surtout dans de nouveaux modèles économiques basés notamment sur le partage de véhicules plus petits et moins polluants. Certains exemples sont positifs : l’équipementier automobile Bosch s’est, en 2011, réorienté vers le montage de panneaux solaires, ce qui a permis de pérenniser 200 emplois.
C’est dans cette alliance de lucidité et de responsabilité que réside l’espoir d’une réindustrialisation française et européenne. La nouvelle majorité doit prendre ses responsabilités, et savoir rappeler aux constructeurs celles qui sont les leurs. Un nouveau cadre devra sanctionner les abus d’entreprises qui, bien que bénéficiant d’aides publiques, ont des stratégies de valorisation défavorables à l’emploi. Les collectivités locales, et notamment les Régions, doivent sans attendre faire valoir la pertinence de leur échelle pour agir concrètement sur les bassins de vie et d’emploi. Elles doivent dès maintenant réorienter leurs aides à la filière automobile, pour en faire un instrument de reconversion. L‘accompagnement des mutations appelle un engagement sans précédent en matière de formation professionnelle, dans une logique de sécurisation des parcours. Pour ce faire, l’établissement de « CV de site » pourra permettre de préparer au mieux les reconversions industrielles.
Pour aller de l’avant, nous devons d’abord dépasser le mythe de la berline individuelle. Oui, une voiture est un incroyable outil de liberté. Oui, pour beaucoup d’entre nous, c’est un outil de travail indispensable. Oui, c’est aussi une extension de notre foyer, un espace qui nous appartient et dans lequel nous nous sentons comme à la maison. Mais soyons réalistes : avec 6 véhicules pour 10 habitants, les marchés sont saturés ! De plus en plus de ménages n’en n’ont plus les moyens, où plus l’utilité. Déjà, dans les grandes villes, les habitants se tournent vers d’autres modes de déplacement. Victimes de leur succès, les transports en commun sont saturés. Le nombre de deux roues explose, entrainant à leur tour de nouvelles nuisances. Dans un monde qui compte plus d’un milliard de voitures, la planète atteint des seuils de tolérance qui appellent de nouvelles conceptions de la mobilité.
C’est ainsi toute notre vision du partage et de l’organisation de l’espace public que nous devons repenser. Nous avons construit nos villes et nos banlieues pour l’automobile. Nous avons construit nos maisons loin de nos lieux de travail, parce que nous pouvions nous déplacer toujours plus vite. Nous avons rassemblé les commerces dans d’immenses centres commerciaux, et coulé d’immenses dalles de béton pour nous y garer. Mais cet étalement dans l’espace a ses limites. La raréfaction des énergies fossiles va brutalement nous rappeler à la réalité des distances. Avec un pétrole à 200 dollars le baril, comment remplirons-nous les caddies, les coffres et les frigos des pavillons périurbains ?
Des solutions existent pour rapprocher le domicile du travail, pour densifier les villes afin que chacun puisse avoir accès à un logement et à des services publics de proximité. Cela suppose la redéfinition des règles du jeu de l’urbanisme, avec des limites collectivement fixées. Au-delà de l’encouragement d‘un développement local, il s’agit d’inventer de nouvelles manières de se déplacer, plus propres et plus partagées.
C’est en construisant la ville de demain que nous sauverons les emplois d’aujourd’hui. Cela commence par un soutien sans faille aux salariés et à leurs familles. Les usines d’Aulnay, de Rennes ou d’ailleurs ne doivent pas fermer. C’est en leur sein que se joue notre avenir à tous.
Mounir Satouri