Séance plénière du 7 avril 2014 : discours de politique générale de David Cormand
Une semaine après les résultats du second tour des élections municipales, nous devons entendre et essayer de comprendre le message adressé par les Françaises et les Français. Deux marqueurs forts se dégagent de ce scrutin : Une fracture démocratique et une sanction de la politique gouvernementale.
Fracture démocratique
L’abstention record pour un scrutin municipal, et l’avancée territoriale et électorale de l’extrême-droite, sont les révélateurs d’une fracture démocratique qui s’élargit dans notre pays.
Les citoyen-ne-s croient de moins en moins que la politique, et – par conséquent – que leur vote, puissent être en mesure de régler les problèmes auxquels ils et elles se trouvent confronté-e-s.
Face à la perception d’une mondialisation hostile, d’un pouvoir économique ressenti comme incontrôlable et un sentiment de relégation et de déclassement, beaucoup de Français-e-s renoncent à cautionner, en participant aux élections, une représentation démocratique qu’ils jugent impuissante à lutter contre les crises.
Ce phénomène touche particulièrement l’électorat de Gauche en réaction à leur perception de la politique du Gouvernement. L’absence d’un imaginaire politique fédérateur et émancipateur renforce le brouillage de ces frontières politiques.
La perte de confiance en l’avenir pour soi et pour les siens conduit à un repli individualiste qui aboutit, finalement, au rejet de l’Autre.
Gouvernement : la sanction
Incontestablement, ces élections municipales traduisent un rejet massif de la politique du Gouvernement. Beaucoup de Françaises et de Français ont exprimé par leur abstention ou par leur vote une incompréhension, face au décalage entre les engagements de la campagne présidentielle et les actes qui ont été posés depuis l’élection de François Hollande. Ce climat a pesé lourd dans les choix des électrices et des électeurs.
A ce phénomène national s’est ajouté localement, dans notre région, des divisions entre les différentes composantes de la Gauche, parfois à l’intérieur même d’un même parti, ce qui a encore accentué l’ampleur de la sanction.
Notre responsabilité est d’entendre le message des Françaises et des Français. Le problème n’est pas une question de pédagogie ou de communication mal maîtrisée de la part du Gouvernement. Le problème est le constant décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Nos concitoyen-ne-s se trouvent aujourd’hui en situation de légitime défiance par rapport à la parole politique, à laquelle ils ne croient plus.
Alors, me dira-t-on, il ne faut pas mélanger les enjeux nationaux et locaux.
Les Normandes et les Normands se seraient trompés de colère. Mais la vérité est qu’il n’y a pas une réalité à Rouen et une autre à Paris. Il n’y a pas une Gauche de proximité, et une autre au niveau national. Il n’y a pas de cordon sanitaire entre ce que nous faisons localement et ce qui est fait au niveau national.
Tout se tient. Et il faut tout assumer.
C’est pourquoi, au lendemain de ces résultats électoraux, notre Région Haute-Normandie doit rappeler des engagements simples au Gouvernement. Car si ces engagements ne sont pas respectés, c’est également au niveau régional que la sanction tombera.
La transition énergétique, c’est maintenant
Notre Région est volontaire pour accomplir sa part de la transition énergétique dont le pays a besoin. Toute la chaîne économique, de l’industrie aux PME, attend le passage à l’acte et les moyens nécessaires pour que l’emploi soit au rendez-vous.
Les projets éoliens offshore, mais aussi les entreprises du bâtiment pour l’isolation, la filière bois-énergie et la filière du démantèlement des réacteurs nucléaires, tous ces secteurs ont besoin d’un pacte de responsabilité écologiste dans lequel le concours de l’Etat est conditionné, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’argent de l’Etat ne doit pas servir à arroser le sable. Pas un euro ne doit finir dans les dividendes des actionnaires.
Une fiscalité juste et vertueuse, c’est maintenant
Le recul sur la taxe poids-lourds, confirmée par la nouvelle ministre de l’Ecologie, va coûter très chère à notre région et à ses habitant-e-s. Pour satisfaire le mouvement conservateur des bonnets rouges, le Gouvernement a renoncé à des recettes justes et indispensables pour financer des projets utiles de transport collectif, notamment dans notre région : l’arc Nord-Sud de la CREA, Le Bus à Haut Niveau de Service de la CASE ou l’axe de transport en commun en site propre Est-Ouest d’Evreux.
Une politique de l’environnement ambitieuse, c’est maintenant
La création d’une agence nationale de la biodiversité est annoncée. Mais nous ignorons encore comment celle-ci interagira avec les territoires. Préserver les espaces naturels et agricoles, notre littoral, les forêts, la ressource en eau, c’est une priorité pour notre Région où l’artificialisation des sols continue d’accélérer. Mieux connaître les écosystèmes pour mieux les protéger et les réparer n’est pas un sujet secondaire. C’est un enjeu fondamental pour garantir l’équilibre environnemental de notre territoire.
Une réforme territoriale lisible et démocratique, c’est maintenant
Ce qui était annoncé comme l’acte III de la décentralisation s’est avéré être un acte manqué. Illisible, non-démocratique, technocratique, la simplification du millefeuille a accouché d’un « mille et une feuilles » administratif où les compétences, les contours géographiques et les responsabilités politiques des élu-e-s sont de plus en plus confus.
Alors qu’il s’agissait de simplifier pour rapprocher les décisions des citoyennes et des citoyens, le gouvernement, les associations d’élu-e-s et les législateurs ont joué aux apprentis-sorciers dans une négociation de maquignons pour organiser et pérenniser leurs fiefs et préserver leurs vassaux. Cette féodalisation de la vie politique locale a elle aussi été lourdement sanctionnée et conforte une image déplorable des élu-e-s et de nos institutions locales.
Pourtant, nous le savons, c’est au niveau local que l’inventivité se transforme en action. C’est pourquoi nous devons encourager une réforme territoriale qui permette aux citoyen-ne-s de réellement choisir et contrôler leurs élu-e-s. Mais cette réforme doit également permettre aux élu-e-s d’agir quand la réforme actuelle sanctuarise les inerties. Elle doit encourager les collaborations entre les territoires plutôt que d’organiser leurs concurrences.
Des moyens pour les collectivités, c’est maintenant
Les 50 milliards d’économies nécessaires pour financer le Pacte de confiance, tel qu’il est aujourd’hui voulu par le Président de la République, auront des conséquences sur les finances des collectivités locales.
Lorsque les dotations de l’État baisseront, nous ne pourrons pas dire que nous n’y sommes pour rien, que ce n’est pas nous, que ce sont les autres, qu’on ne les connaît pas. Nous les connaissons. Et eux comme nous savent que les services publics de proximité, le logement, l’accompagnement des personnes en difficulté, la transition écologique de notre économie, les politiques environnementales, les transports alternatifs, la culture, l’éducation et la formation, c’est sur les territoires qu’ils s’organisent.
Les collectivités locales sont le dernier rempart face aux crises auxquelles nous sommes confrontés. Ce sont aussi les collectivités qui investissent et ainsi créent des emplois locaux. Sans ces capacités de faire, c’est un écosystème économique et humain fragile et précieux qui sera menacé.
Monsieur le Président, mes chers collègues, chacune et chacun ici doit entendre et relayer l’attente impatiente de nos concitoyennes et concitoyens avant que celle-ci ne se transforme en une colère durable.
En réalité, les Françaises et les Français n’attendent pas de nous des miracles. Ils ont compris que la situation était difficile. Mais ils ne supportent plus nos renoncements.
Ce qu’ils attendent de nous est très simple : que nous fassions ce que nous avions dit.
Pour retrouver la confiance de celles et ceux qui nous l’avaient accordée, il est temps de mettre en œuvre le changement qui leur avait été promis.
Pour télécharger cette intervention en pdf, c’est ici.