Débat d’orientation budgétaire – intervention de David Cormand lors de la séance plénière du 22 octobre
Ce budget s’inscrit dans un contexte de crise particulièrement marqué. Les uns après les autres les Etats européens se retrouvent face à des impasses fiscales, qui les conduisent à engager des plans de rigueurs en Grèce, en Italie en Espagne mais aussi aux Pays-Bas – pourtant considéré jusqu’à présent comme « bon élève » – qui se révèlent pires que le mal qu’ils sont censés combattre.
C’est d’ailleurs pourquoi notre parti, Europe Ecologie – Les Verts, s’est prononcé contre le vote du TSCG, qui risque d’entraîner l’Europe et au-delà l’économie mondiale dans une spirale déflationniste voire stagflationniste[1] dévastatrice pour les plus modestes et les classes moyennes.
Localement, les choix opérés vont avoir des conséquences directes pour nos collectivités, avec le gel des dotations d’Etat, qui revient de facto à réduire les ressources financières de nos collectivités, puisque les dépenses de fonctionnement augmentent mécaniquement par le biais notamment du GVT (Glissement Vieillesse Technicité).
Pour autant, notre parti ne défend pas l’immobilisme.
De la même façon que nous nous préoccupons de l’état de la planète que nous laisserons en héritage aux générations futures, il serait particulièrement injuste de leur léguer nos dettes.
Nous rejoignons donc l’idée de la nécessité d’agir en proposant d’intervenir à quatre niveaux :
– Rationaliser les dépenses publiques, notamment en simplifiant le millefeuille administratif, en supprimant les communes et les départements ;
– Accroître les ressources fiscales, en amplifiant d’une part la suppression des niches fiscales « d’opportunité », et en mettant à contribution d’autre part les marchés financiers et les grandes entreprises, qui s’exonèrent trop souvent de l’obligation de payer l’impôt auquel sont soumis les petites et moyennes entreprises ;
– Généraliser la fiscalité écologique, en particulier les bonus malus pour financer les infrastructures vertueuses, et modifier les pratiques. Bien évidemment, dans un souci de justice sociale, cette réforme fiscale devra s’accompagner de la création de « chèques verts » au bénéfice des plus modestes, qui viendront neutraliser l’impact des malus écologiques;
– En coordonnant un vaste plan de relance à l’échelle européenne, financé par la BCE, d’au moins dix mille milliards d’euros, dans l’économie verte. Cet investissement massif aurait le triple avantage de préparer la conversion écologique de nos sociétés, d’apporter une réponse au chômage endémique, et donnerait à l’Europe un avantage décisif sur ces nouvelles technologies.
A l’échelle régionale, cela implique de réorienter les politiques publiques vers les investissements productifs qui contribuent à la conversion écologique de notre société.
A ce titre, l’annonce de l’arrêt du projet de canal de Seine-Nord va dans le bon sens. De même le renoncement au projet de la LNPN porté par l’ancien Président de la République, au profit du projet défendu par la Région autour du doublement du Mantois, de la gare nouvelle Rouen-Rive gauche et de l’amélioration de l’existant, est une excellente nouvelle.
Je profite de l’occasion pour rappeler la nécessité de faire avancer le projet de réouverture de la liaison ferroviaire Rouen-Evreux, liaison qui concerne plus de 12 000 déplacements pendulaires journaliers.
Il reste à aller au bout de la logique et à renoncer au contournement Est, pour ensuite réorienter les crédits programmés au bénéfice du développement des transports collectifs, TER et transports urbains.
Parallèlement, il est important que notre collectivité puisse jouer un effet de levier pour les investissements des autres collectivités, acteurs publics (par exemple les offices HLM) et même privés qui œuvrent à la conversion écologique de notre société.
En effet, pour ne prendre que l’exemple de l’isolation thermique des bâtiments, bien qu’il soit démontré que ce sont des investissements extrêmement rentables, amortis en moyenne en moins d’une décennie, les acteurs publics ou privés renoncent souvent aux investissements faute de pouvoir accéder aux crédits bancaires.
La création d’une banque publique d’investissement répondra en partie à ces besoins, mais en partie seulement, car nombre de collectivités ont atteint leur seuil maximum d’endettement, et ne peuvent plus emprunter un euro supplémentaire.
Peut-être que la solution est à regarder du côté de ce que l’Ile-de-France expérimente avec la création de la SEM « Energies Posit’if ». Cette dernière est chargée de porter les investissements à la place des acteurs publics ou des particuliers qui veulent réaliser une rénovation thermique de leurs logements. Le mécanisme est simple, la SEM, capitalisée entre autres par la Région, avance les travaux et en contrepartie est remboursée sous forme de loyers. C’est ce que l’on appelle le « tiers financement ».
Cette solution a l’avantage de ne pas faire figurer les investissements dans l’encours de dette des collectivités. En outre, elle n’impacte pas la section de fonctionnement puisque les loyers sont calculés pour être d’un montant inférieur aux économies réalisées sur les dépenses de fluides, générées par la rénovation thermique.
Peut-être que notre Région pourrait s’inspirer de cet exemple et s’engager dans la même voie pour favoriser l’isolation thermique des quelques 800.000 logements de notre région dont la rénovation thermique est nécessaire.
On pourrait également envisager de soutenir le développement en régie publique des réseaux de chaleur, qui peuvent devenir un enjeu majeur de la lutte contre la précarité énergétique et du développement des énergies renouvelables. En effet actuellement tous les nouveaux réseaux de la région sont développés dans le cadre de délégation de service public, car les collectivités locales sont dans l’incapacité de mobiliser les financements requis pour les investissements.
Cependant cette situation est loin d’être satisfaisante, compte-tenu de l’opacité de ce secteur privé, qui n’est pas sans rappeler celle que les écologistes dénonçaient dans les réseaux de l’eau. Ils sont d’ailleurs gérés par les mêmes acteurs, puisque les deux principaux opérateurs des réseaux de chaleur, Cofely et Dalkia, sont des filiales de Suez et de Veolia !
En aidant les collectivités à développer en gestion publique les réseaux de chaleur, notre collectivité contribuerait à garantir aux usagers un prix juste, accélèrerait le développement des énergies renouvelables et, ce n’est pas le moindre des avantages, permettrait aux collectivités locales de consolider leurs sections de fonctionnement au moment où l’Etat gèle les dotations.
Il serait en effet regrettable de rééditer l’erreur commise avec la privatisation des autoroutes, qui prive aujourd’hui l’Etat de précieuses recettes, et qui le contraint à compenser par des augmentations d’impôts.
Bien évidemment, la Région ne peut pas tout faire, toute seule. Ce sujet pourrait donc être porté par notre collectivité dans le cadre de la feuille de route de la conférence environnementale, pour que l’Etat retienne le principe de la création de sociétés de « tiers financement » et mobilise les ressources qui permettent de démultiplier leurs capacités d’intervention.