Réforme des retraites : pas qu’une question de démographie

Groupe Europe Ecologie Les Verts au conseil regional de Bourgogne, 2011.

Intervention de Philippe HERVIEU lors de la séance plénière du 18 octobre 2010

Le débat s’est engagé sur la réforme des collectivités locales. Je voudrai juste rajouter une chose qui n’a pas été abordée sur ce thème-là : la démocratie. Je crois que c’est tout aussi important que les finances, puisqu’avec le retour à une centralisation importante de notre pays. On éloigne la décision du citoyen. On l’éloigne de ce que l’on a mis en œuvre et de ses bienfaits : que ce soit avec les emplois tremplins, avec la politique associative, culturelle ou sportive. On a rapproché le citoyen de la politique et c’était une bonne chose. Ça va s’en éloigner et c’est une mauvaise chose.
Je voudrai interpeller monsieur Larrivé sur ce thème et le mode d’élection. Plus de proportionnelle, disparition des femmes. Si ça continue comme ça, où va le pluralisme démocratique, où allons nous.

Vous vous en doutez, j’interviendrai aujourd’hui sur la question des retraites, car c’est l’actualité brûlante et je voudrai rappeler l’opposition résolue des écologistes à cette réforme injuste et si éloignée dans l’ambition que nous avons dans la société du 21e siècle.
Je voudrai dire tout d’abord que les écologistes sont convaincus qu’il faut revoir notre système de retraites comme notre système de protection sociale comme d’une manière générale notre contrat social.
Mais nous sommes aussi convaincus qu’il faut conserver et renforcer notre système de répartition.

Je dis cela, car il n’y a pas d’un côté ceux qui seraient responsables, courageux et réformateurs et de l’autre ceux qui seraient incapables de changement et qui s’accrocheraient à des rêves insurmontables.
Il n’y a pas d’un côté ceux qui savent compter, et de l’autre ceux qui refusent de compter.
Il n’y a pas d’un côté ceux qui accepteraient de se frotter à la réalité et de l’autre ceux qui voudraient fermer les yeux.

Ce qu’il y a, par contre, c’est deux visions, deux ambitions, et deux diagnostics différents sur ce qui doit être changé et ce qui doit être conservé.

Rappelons-nous pourquoi on a mis en place ce régime de retraites que nous défendons aujourd’hui et tâchons aussi de nous rappeler ce qu’était la vie d’avant.
Rappelons-nous le programme du Conseil National de la Résistance, qui affirmait l’union des forces de la Résistance pour libérer le territoire. Et qui voulait, je cite : « le droit au travail et au repos », un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence » et « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

C’est parce que les écologistes ont encore ces mots en mémoire qu’ils continuent à se battre, car ces avancées sociales ont permis véritablement de protéger les travailleurs « dans tous les cas où ils sont incapables de se procurer par le travail » la sécurité, la dignité et « la possibilité d’une vie pleinement humaine ».

La réforme des retraites n’est pas qu’une question de démographie.

Ce n’est pas qu’un sujet économique, un sujet de chiffres et d’équilibre des comptes. Çà l’est aussi, bien sûr : la solution se trouve dans une autre répartition des richesses. Il faut bien comprendre que derrière ces chiffres, derrière les millions d’euros et les milliards d’euros, il y a des visages. Des personnes. Des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes. Pour lesquels, le droit à la retraite est une « ligne de vie ». Pour lesquels le droit au repos, la possibilité de ne pas finir épuisé au travail est une conquête inaliénable.

La réforme des retraites, c’est avant tout une affaire de vision de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas.
De ce qui est un droit, de ce qui ne l’est pas.
De ce que nous voulons faire de nos vies.
C’est un sujet de civilisation.

Alors, il y a un projet qui se soumet aux injonctions des marchés, et dont le véritable objectif est de permettre la capitalisation du pactole des retraites par les groupes financiers. Il nous dit que le temps que nous gagnons sur la mort, le temps de vie qui s’allonge, nous devons entièrement le passer au travail, le compenser au travail comme s’il fallait être punis de vivre mieux, et de vivre plus vieux.

Il y a un autre projet, une autre manière de regarder les choses, qui consiste à mettre l’économie au service de l’homme et pas l’inverse.
Qui consiste à penser que l’objectif premier n’est pas de travailler, mais de conquérir « la possibilité d’une vie pleinement humaine ».
S’il faut travailler pour cela, tout le monde est prêt à le faire, et il y a suffisamment de gens qui cherchent et attendent un emploi, et souffrent de ne pas en avoir, pour le prouver.

Mais le travail est un moyen, pas la finalité ultime de nos vies. Le temps que nous gagnons sur la mort, nous ne devons pas l’épuiser dans le travail, mais dans le droit au temps libre, à la vie pour soi et pour les autres, pour le plaisir, pour la famille.

Le gratuit, le non-marchand, ce qui ne se vend pas et ne s’achète pas, le don, l’échange, les relations interpersonnelles, le bénévolat, ça a de la valeur même si ça ne compte pas.
Ce qui a été inventé avec le droit à la retraite du Conseil national de la Résistance, et qui doit être défendu, c’est cette belle idée qu’on ne peut pas mesurer la dignité de quelqu’un à la mesure de ce qu’il gagne ou de ce qu’il rapporte.
On comprend que cela soit insupportable à des gens qui confondent l’économie avec un casino, et la vie collective avec une guerre économique permanente, une guerre de tous contre tous où seule une petite minorité s’en sort tandis que la collectivité y perd à tous les coups.
Si nos parents et nos grands parents ont eu assez  de force et de courage, au sortir d’une guerre qui avait tout détruit, pour construire la retraite et la sécurité sociale, nous devons être capables, dans un pays 100 fois plus riche, d’au moins assez de force et de courage pour conserver leur invention, pour sauver l’idée et la générosité qui animaient cette invention.

Nous, écologistes, voulons prolonger ce qu’ils ont fait, avec le même souci qu’ils avaient de celles et ceux qui, au-delà d’eux-mêmes, et pour nous au-delà d’aujourd’hui, venaient après eux, et viendront après nous.

Je le redis donc ici, les écologistes resteront mobilisés pour refuser cette réforme. Ils iront le dire dans la rue demain encore et le temps qu’il faudra.

Remonter