Transports
Pas de pilote pour les politiques publiques de transport en Alsace
Notre région n’a toujours pas de Schéma régional des transports (la démarche prospective « Alsace 2030 » a pointé cette carence). Pourtant, un tel schéma permettrait, selon Jacques Fernique, « une stratégie d’ensemble cohérente et d’atteindre des objectifs de développement durable : il ferait bien sûr la part belle au rail et aux transports collectifs urbains, il réduirait la part de l’aérien sur les distances où le train est plus adapté, il chercherait la cohérence avec les bonnes politiques suisses et allemandes de transfert modal du fret et de juste coût des camions ». Il s’agit de sortir de cette course aux lourdes infrastructures qui, depuis des décennies, tient lieu de politique des transports en Alsace pour nos décideurs. Antoine Waechter le dit sans détours : « Nous sommes la seule petite région accessible par deux TGV et trois autoroutes. Cela n’a pas empêché le chômage de monter et la situation de se dégrader. Je vous propose donc de cesser de geindre, de cesser d’adopter la position de la victime, de l’enfant gâté qui réclame toujours plus ».
Alors qu’en principe, la Région n’est pas en charge des routes, elle n’a jamais cessé d’y consacrer du budget. Certes ses contributions routières sont peu élevées au regard des autres financeurs, mais comme elles complètent des financements croisés, elles sont déterminantes. Les écologistes se sont opposés sans succès à la Rocade Sud de Strasbourg, vieux projet incohérent et destructeur pour la biodiversité, justement là où le hamster a encore une population dynamique. Comme le dit Jacques Fernique, « cette rocade générera de l’étalement urbain et coûtera de l’ordre de 60 millions pour bricoler une liaison nouvelle entre la D1083 et l'A35 alors qu'il est possible de retravailler la liaison existante ». Nous nous opposons également à la liaison routière rapide prévue entre Mulhouse et Altkirch qui au-delà du saccage d’espaces naturels et agricoles concurrencerait surtout la volonté régionale de développement de la voie ferrée.
Et puis, il y a le désaccord majeur du Grand Contournement autoroutier à l’Ouest de Strasbourg. L’engagement constant des écologistes contre ce GCO et pour la mise en œuvre d’alternatives viables a connu bien des rebondissements au cours de ce mandat. D’abord, ce fut la précipitation de la fin du quinquennat Sarkozy pour offrir la concession à Vinci juste avant l’élection présidentielle : il nous fallut mener la contre-offensive (avec le PS comme allié temporaire). Le ciel se dégagea ensuite avec l’incapacité de Vinci à réaliser son montage financier et l’arrivée de la gauche et des écologistes au gouvernement. En juin 2013 celui-ci reprenant les conclusions de la commission parlementaire Duron dite « Mobilités 21 » déclassait le GCO du rang des « priorités premières ». Cette embellie fut courte, puisque, face au lobbying de la CCI et du BTP, les dirigeants socialistes se reniaient et relançaient le projet. Depuis lors, nous poursuivons la lutte en coopération avec le Collectif GCO-Non Merci. Andrée Buchmann, membre du Conseil National de l'Air, démonte ainsi systématiquement les contre-vérités qui nous vantent un GCO « facteur de dépollution ».
Parmi les ratages de l’État, la palme revient à la taxe poids-lourds qui aurait due être précédée d’une expérimentation alsacienne votée il y a 9 ans. Pour réclamer cette taxe poids-lourds, des motions consensuelles successives ont été adoptées à l'initiative des écologistes (même si le FN s’est rétracté à partir de 2013). Mais les reports successifs jusqu’à l’abandon par Ségolène Royal ont effrité ce consensus. Aujourd’hui, alors que le Président Hollande évoque un possible dispositif Alsace-Lorraine, beaucoup de conseillers régionaux ont perdu courage et ne réclament plus que l’Alsace soit « dans une situation expérimentale et pilote » pour reprendre les termes d’Adrien Zeller il y a 10 ans.
L’autre ratage gouvernemental concerne les vallées vosgiennes. « Elles souffrent, explique Jean-Marc Riebel, de l’incapacité de l’État à appliquer des principes cohérents de circulation ». Il devrait séparer les niveaux de service (transit, trafic interrégional, trafic interdépartemental, trafic local) entre les grands axes périphériques au massif : le tunnel de Sainte Marie aux Mines, les cols principaux et les autres cols. Jean-Marc Riebel a œuvré pour le calibrage à 2x1 voie du contournement de Chatenois et réclamé (pour l’instant en vain) l’abaissement des péages du tunnel Lemaire sous-utilisé par les camions.
Contre la « mono-culture du TGV »
Une part essentielle des investissements de la Région pour les transports est allée aux TGV. La majorité UMP et les socialistes ont systématiquement cherché à caricaturer les écologistes en adversaires du TGV sous prétexte que nous ne sommes pas des inconditionnels de la « mono-culture » de la grande vitesse ferroviaire et ses dégâts sociaux, environnementaux et territoriaux. Là-dessus, les nouvelles orientations nationales nous donnent raison. En 2015, on découvre ainsi les difficultés des liaisons entre Strasbourg et les grandes villes de la nouvelle région. « Le TGV est un outil pour la diminution de l’impact des mobilités ; il ne doit pas devenir une fin en soi au détriment des trains du quotidien » : voici la ligne des écologistes résumée par Antoine Waechter. C’était cette ligne qui avait inspiré le modèle négocié avec Adrien Zeller en 1996 (circulation sur la voie classique depuis Baudrecourt). Celui-ci, contrairement aux critiques de nos détracteurs, a parfaitement fonctionné puisque près de 800 000 voyageurs ont abandonné l’avion pour le rail, et la route a perdu sur ce segment 35% de ses usagers. Cela a représenté aussi, pendant ces années de répit, une économie de 250 millions d’euros pour la région Alsace. Depuis, la majorité des élus ont décidé de repasser en caisse pour doubler la mise sur cette ligne Paris-Strasbourg. Est-ce que cela contribuera à doubler le transfert de l’avion ou de la route vers le rail ? Rien n’est moins sûr.
Au total la facture du TGV s’avère exorbitante et plombe largement nos capacités budgétaires (le TGV a généré les 2/3 de la dette régionale). « Nous n'avons pas été suivis ces dernières années quand nous avons répété sans relâche que l’évitement de Mulhouse et les tracés des 2èmes phases des deux LGV étaient déraisonnables et bien trop impactants », estime Djamila Sonzogni. La commission Duron (suivie par le gouvernement) nous a donné raison pour la LGV Rhin-Rhône qui saccagerait la basse vallée de la Doller et coûterait 1 milliard pour un gain de 7 à 15 minutes ! L’opportunité de cet investissement se posera peut-être mais dans longtemps.
Le coût du TGV, c’est aussi pour ses usagers le prix du billet. A de multiples reprises nous avons dénoncé la disparition des trains Corail et le caractère très inégalitaire de la tarification TGV pratiquée par la SNCF : sur l’axe Rhin-Rhône selon l'exemple d'Antoine Waechter, elle n'est intéressante que pour les personnes à revenu net au-delà de 3200 € (si on fait le rapport : temps de travail rémunéré / gain de temps du TGV sur un train corail).
Sur la politique aérienne... ... les écologistes se sont nettement différenciés de la majorité régionale. Celle-ci a opéré en 2012, comme l’a dénoncé Jacques Fernique, « un virage politique majeur ». Auparavant, la Région avait l’intention de ne plus consacrer de budget au transport aérien (qui n’est pas de sa compétence) et jugeait qu’une stagnation à un million de passagers annuels pour Entzheim était viable suite à la bonne concurrence du TGV. Ces principes ont été balayés avec une nouvelle politique (soutenue par le PS et le FN) visant les 2 millions de passagers en attirant les compagnies à bas coûts (mais au coût environnemental désastreux), et en versant des millions pour mener la bagarre du dumping fiscal contre les autres aéroports du bassin rhénan. Pour la desserte de l’Euroairport de Bâle-Mulhouse, nous avons été les seuls à mettre en doute la stratégie hasardeuse qui consistait à retenir le scénario ferroviaire le plus coûteux. La suite nous a donné raison puisque ce manque de mesure a compromis l’ensemble du projet. |
La Région, c’est surtout les TER
L’Alsace a été une des régions pionnières avec la compétence des transports ferroviaires de voyageurs depuis 17 ans : elle a donc une nette avance sur les autres régions. Mais pour répondre aux enjeux climatiques, énergétiques et de réduction des nuisances et des congestions il s’agit de faire basculer nettement plus d’autosolistes vers le rail. Pour cela, l’accroissement de notre capacité de transport s’impose car elle est aujourd’hui à saturation aux heures de pointe. Cela passe, d’une part par l’optimisation du matériel roulant en cours, notamment avec les rames Régiolis, d’autre part par le développement et la modernisation des infrastructures et des gares (pour l’essentiel encore de la compétence de l’État mais qui n’agit plus qu’avec la contribution financière de la Région). Ce que nous avons consacré au TGV nous a manqué pour la modernisation et la réactivation des lignes TER.
Haguenau-Niederbronn s’améliore, le service Mulhouse-Mülheim est rouvert, mais il subsiste les emprises de nombreuses voies qu’il s’agit de rouvrir. Sur l’axe Nord-Sud la 4ème voie est nécessaire dans certains secteurs, dans d’autres la 3ème reste à réaliser (cela permettra de réactiver certaines gares de l’axe central). Les travaux nécessaires pour démêler les nœuds ferroviaires de Mulhouse et Strasbourg sont inscrits au Contrat de Plan : il s’agit de priorités absolues pour fluidifier et cadencer nos trafics TER. Nous aurions préféré, sur l’axe Strasbourg-Wasselonne, une solution ferroviaire plutôt qu'un bus express en site propre (dont la réalisation doit à présent être accélérée). La réouverture de la ligne Bollwiller-Guebwiller a été un dossier sur lequel comme le dit Djamila Sonzogni, « nous n’avons rien lâché » face à la mauvaise volonté de l’État, au manque de volonté régionale parfois. Aujourd’hui la partie semble mieux engagée mais n’est pas finie. Nous avons pu, pour le tram-train Mulhouse-Thann, vérifier la justesse des prévisions des écologistes : vouloir mixer sur une même voie faute de moyens un service TER rapide et un service tram-train génère des difficultés. Certes il y a eu un net progrès pour la périphérie ouest de Mulhouse, mais aussi des problèmes, voire dégradations de services pour les usagers de la vallée de Kruth.
Des transports ferroviaires pour tous
Le service public des trains régionaux doit fonctionner dans la concertation citoyenne. Les écologistes des mandats précédents ont contribué à la mise en place des Comités de lignes, conçus à l’origine comme lieux d’échanges avec les usagers, mais aussi comme des espaces de mobilisation des élus locaux et des usagers pour le développement et l’amélioration du ferroviaire. Depuis ces années pionnières, la démarche s’est émoussée. Nous sommes régulièrement intervenus, sans guère de résultats, pour alerter sur la sclérose de ces instances devenues simples lieux de communication institutionnelle.
La qualité des TER nécessite aussi la présence des contrôleurs dans les rames. La direction de la SNCF et l’exécutif régional ont supprimé leur présence systématique pour certains services (tram-train et ligne Molsheim-Strasbourg par exemple). Nous avons combattu cette évolution. De même nous avons été soucieux des bonnes conditions de l’intermodalité train+vélo. Nous sommes également intervenus, sans succès encore, pour le maintien des guichets SNCF hors gare, récemment celui de la galerie marchande de Schiltigheim : il s’agit, martèle Andrée Buchmann, « d’un service de proximité irremplaçable ».
Autant le système numérique d’information multimodale Vialsace devient de plus en plus adapté aux besoins, autant on n’a guère progressé sur le chantier de la tarification intégrée (train/bus inter-urbain/réseau collectif urbain) : les égoïsmes financiers des collectivités concernées sont forts. Il faudrait partager une volonté, une démarche et un pilotage régional pour avancer.
Enfin, pour le fret ferroviaire, les écologistes sont largement insatisfaits. L’engagement du Grenelle qu’un quart des marchandises circulent par le rail en 2022 ne sera tenu ni nationalement ni régionalement (l’Alsace est à près de 6%). Certes, un opérateur ferroviaire de proximité a été mis en place sur le Port Autonome de Strasbourg, mais c’est en quelque sorte l’arbre qui tient lieu de forêt. En Alsace, notre position frontalière nous permet de réaliser combien notre pays s’est déconnecté de l’Europe ferroviaire des marchandises. Si on donnait aux Régions les moyens d’agir, un renouveau du fret par rail serait possible par la mutualisation territorialisée des flux pour créer des convois multi-clients, collecter et concentrer les flux diffus et non pas les supprimer (comme la SNCF l’a fait pour ROHR à Colmar en 2010). Nous n’avons pas senti de la part de l’exécutif régional une vraie ambition pour préparer ce renouveau.