Et ce qui devait arriver, Areva
Par nicole rouaire le mercredi 4 mars 2015, 11:55 - Actu - Lien permanent
Article du Canard Enchaîné du 25 février 2015
Le groupe nucléaire français, Areva, devrait annoncer 4,9 milliards d’euros de pertes provisoires pour 2014. Sur un chiffre d’affaires de 8,4 milliards d’euros. Et près de 8 milliards de pertes en quatre ans. Décidément l’excellence française de l’atome a pris du plomb dans l’aile !
Le 4 mars, l’entreprise présente ses résultats définitifs ainsi qu’un grand plan stratégique qui pourrait remettre en cause le modèle du groupe. Soucieuse de couper court à toutes les rumeurs, Areva a déjà communiqué sur les pertes pressenties le 23 février dernier.
Son endettement atteint 4,7 milliards d’euros pour 4 milliards de fonds propres. Pourtant, le groupe a déjà cédé quelque 7 milliards d’euros d’actifs en quelques années et a déjà bénéficié d’une première augmentation de capital de 600 millions ; c’est dire l’ampleur du désastre, tu ou nié depuis des années.
Au début de l’automne dernier, l’agence de notation Standard & Poor’s a placé Areva sous surveillance négative. Bercy s’est alors employé pour que le groupe nucléaire ne soit pas classé dans la catégorie infamante de ‘junk bonds’.
En échange, l’État, les actionnaires et la direction d’Areva ont promis de remédier à la situation en lançant une émission obligataire de quelque 800 millions début novembre 2014. Malgré un taux de 8 %, très supérieur aux conditions de financement actuelles, les investisseurs n’ont pas suivi et Areva a dû annoncer qu’il repoussait son opération. Dans l’attente de temps plus favorables…
Si Areva était une société privée, elle aurait déjà dû déposer le bilan.
A l’origine de ce crash industriel et financier, plusieurs explications :
1- L’ère post-Fukushima – Le groupe peine à s’adapter à l’ère post-Fukushima, marquée par le non-redémarrage des réacteurs japonais et un arrêt massif des centrales nucléaires allemandes. L’atonie de l’énergie nucléaire au niveau mondial ne contribue pas au dynamisme d’AREVA dont les projets-phares ont toujours du mal à s’exporter. C’est d’ailleurs une deuxième explication de la crise.
2- Le fiasco de l’EPR. Finlandais, tout d’abord. Alors que ce réacteur nucléaire devait à l’origine entrer en fonctionnement en 2009, son démarrage ne cesse d’être repoussé, d’abord en 2016, puis 2017. Le groupe parle maintenant de 2018. Chaque année de retard coûte 400 millions d’euros au groupe. Areva a déjà avoué un surcoût de 4 milliards d’euros par rapport aux 3,5 milliards d’euros prévus dans le contrat signé avec l’électricien finlandais TVO.
Mais au-delà du site finlandais, la question la plus sensible et qui est au cœur de l’avenir du groupe, est celle de l’arrêt ou non du programme EPR. Le réacteur nucléaire est un fiasco industriel et commercial. Il se révèle trop compliqué et trop cher à construire. A l’étranger comme en France, à Flamanville.
Même si «l’excellence industrielle française» en prend un sérieux coup, l’État ne peut plus ne plus mesurer l’ampleur financière du désastre et les couloirs des ministères bruissent d’une vague rumeur quant à la possibilité de tirer un trait sur cette coûteuse et malheureuse aventure. Un rapprochement des structures d’AREVA avec EDF signerait le démantèlement du premier groupe et, à terme, l’arrêt de mort de cette entité issue en 2001 de la fusion de la COGEMA et de FRAMATOME.
À l’intérieur de l’entreprise, la colère et la peur se mêlent à la stupeur. Les salariés savent que ce sont eux qui vont payer le prix des folies passées. Plus de 1 500 suppressions de poste sont déjà annoncés en Allemagne, 200 aux États-Unis. En France, le chiffre n’est pas encore connu. Mais les suppressions d’emploi pourraient se compter en milliers.
3- L’activité minière dans l’impasse. Il y a d’abord le dossier Uramin, qui devrait conduire à la mise en examen prochaine de certains responsables, et qui n’est pas totalement purgé. Il reste notamment le milliard d’euros de travaux réalisés en Namibie qui n’a jamais été provisionné.
Mais il faut aussi ajouter le dossier Imouraren, nom d’un site au Niger dont Areva a obtenu le permis d’exploitation début 2009. Le gisement devait produire 5 000 tonnes de minerai au moins par an avec un permis d’exploitation pendant 35 ans.
Mais début 2015, le groupe a décidé de tout arrêter, la mine semblant aussi inexploitable que les gisements d’Uramin. Coût total de cette acquisition : 800 millions d’euros (non encore inscrits dans les comptes).
4- Enrichissement. En 2008, Areva a décidé de construire une nouvelle usine de gazéification pour l’uranium sur le site de Tricastin, en remplacement de celle de Lodève. Le prix de cette nouvelle construction s’élève à un milliard d’euros environ. Elle devrait fonctionner à partir de 2016 mais n’a toujours pas de client. De même, l’usine d’enrichissement Georges-Besse 2, toujours sur le site de Tricastin, peine à monter en puissance, alors qu’elle a coûté elle aussi plus d’un milliard d’euros à réaliser.
L’excellence du gâchis
L’effondrement du système Lauvergeon, du nom de l’ancienne présidente du groupe, pose ouvertement la question d’une recapitalisation du groupe par l’État, opération qui se chiffrera en milliards d’euros.
Si à cela, vous ajoutez les coûts croissants de la globalité du parc électronucléaire français, qu’il s’agisse de gestion des déchets (issus des centrales ou des anciennes mines d’uranium comme celle de Saint-Priest-Laprugne dans le Puy-de-Dôme), du vieillissement des centrales ou de leur démantèlement dont les frais n’ont jamais été provisionnés, vous mettez le pied sur le seuil de la grande impasse industrielle de l’industrie nucléaire française. Les récents incidents de la centrale du Tricastin ou la mise à l’arrêt de celle de Fessenheim ne rendent le débat que plus urgent.
Que ces montagnes de pertes, de déficit et de provisions à réaliser s’accumulent au moment précis où l’urgence écologique nous commande de faire le pari de la maîtrise de la demande énergétique et de la transition vers les énergies renouvelables, tout cela laisse le goût amer d’un vaste gaspillage et d’une impuissance pourtant acquise au nom de l’indépendance nationale. Navrant.