La transition énergétique, une question sociale avant tout
Par nicole rouaire le mercredi 17 avril 2013, 10:33 - Actu - Lien permanent
A qui va profiter la transition énergétique ? Quels seront les leviers du changement ? A l'heure où le gaspillage énergétique est une valeur dans la société de consommation, il s'agit de rendre désirable une autre voie, celle de la sobriété.
"La transition énergétique est une problématique où tout ou presque relève du social : la gouvernance, la maîtrise de l'énergie, la justice sociale, la précarité énergétique, la sûreté, les impacts environnementaux et sociétaux : les choix techniques engagent la société sur le long terme. Les prix et les coûts relèvent du social", exposait Marie-Christine Zelem, Professeur de sociologie à l'université de Toulouse II, lors d'une audition du Conseil national de la transition énergétique, à Paris, le 11 avril. Ainsi l'autonomie et l'indépendance énergétique, la décentralisation, les acteurs des territoires, la gouvernance locale, l'acceptabilité sociale de technologies telles que le nucléaire, sont autant de questions sociales. L'efficacité énergétique renvoie à d'autres sujets que techniques : à qui sont destinés les équipements, pourquoi faire ?
Changer de culture plutôt que de technologie
Quant à la sobriété, elle implique la maîtrise de la demande, la sensibilisation, mais aussi la formation. Il s'agit rien moins que de changer de culture. Or la transition énergétique tend à occulter cette dimension dans la mesure où elle est "secondarisée" par rapport à une approche techno-centrée, top-down, reposant sur la croyance dans la technique, sur des scénarios, sur la technicisation des choix de société, sur la logique du lock-in technique qui s'accompagne d'irréversibilités. "Certains disent que la transition énergétique n'est pas sociale, mais elle invite les usagers à la responsabilisation. Or on a tendance à déléguer à la technique. Mais la transition énergétique est l'occasion de repenser les déplacements et les logiques". La responsabilité des choix techniques n'est-elle pas généralement renvoyée aux usagers, à travers la notion controversée d'acceptabilité sociale et des bonnes pratiques ? Les sociologues ne peuvent qu'intervenir en amont afin de repenser la problématique. "Demandons à toutes les catégories ce qu'elles veulent et ce qu'elles peuvent. Cessons de penser à la place de. Le dire n'est pas le faire. Trop d'info tue l'info. Savoir ne suffit pas à changer ses habitudes. Chassez le naturel, il revient au galop" : voilà de quoi revisiter nos cadres de pensée.
Encourager la sobriété
A qui s'adresse la transition énergétique ? Aux citoyens avant tout, qui sont aussi des usagers, des habitants, des parents. L'humain est pluriel, sans compter les effets de générations, de genres, de diplômes. Or la tendance de la société est de n'envoyer qu'un seul message. Le frein principal aux changements de comportement est l'équation coûts concentrés-bénéfices diffus. A qui va profiter la transition énergétique ? Quels seront les leviers et les dynamiques de changement ? A l'heure où c'est le gaspillage énergétique qui est une valeur dans la société de consommation, il s'agit de rendre désirable une autre voie, celle de la sobriété. Cela passe par un système d'encouragements et de récompenses. "Fondamentalement, la transition énergétique implique une culture moins énergivore. Il ne suffit pas de faire une loi pour que le social obtempère. Le socle, c'est la société de consommation. C'est sur cette base qu'opèrent les routines, les normes, les micro-conflits, les croyances", note Marie-Christine Zelem.
Zoom sur le bâti économe
Exemple, le bâti économe est un projet systémique de type socio-technique, qui associe fabricants, promoteurs, Etat, CSTB, collectivités, associations, banques... Les comportements énergétiques sont complexes, pluriels et incertains. La performance énergétique combine à la fois les acteurs humains et des imaginaires, des dispositifs techniques et des dynamiques sociales, des effets d'influence... Un bâtiment n'est économe que lorsqu'il n'est pas habité, en raison de la technicisation de l'habitat. La question est aussi celle de l'appropriation des systèmes techniques. Faut-il parler de smart grids ou de smart humans ? Qu'en est-il de l'insertion sociale des techniques ? Il faut constater "l'inutilisabilité de la technique", à l'heure où la technicité excède les capacités de compréhension des usagers, qui "perdent la main" sur les machines. Habiter devient compliqué, l'hyper-technicisation de l'habitat est susceptible de causer une forme d'inconfort, voire une sensation de perte de performance. "Le bâtiment économe ne serait-il pas une utopie technicienne, comme la transition énergétique ?", interroge la sociologue Marie-Christine Zélem.
Les modes de vie, déterminants de la transition énergétique
Pour Bruno Maresca, sociologue et directeur de recherche au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc), la question des modes de vie est centrale dans la transition énergétique. Jusque dans les années 1950, la société française était caractérisée par une faible mobilité, par des relations de proximité et par le maintien des positions sociales. Puis le Plan Marshall a imprimé à la société française les valeurs de la société de consommation et des Trente Glorieuses. A la suite du choc pétrolier de 1973, la question des modes de vie s'est à nouveau posée, plus que la question des technologies. Mais cette réflexion a été laissée de côté. Aujourd'hui, le processus de la transition énergétique est questionné essentiellement d'un point de vue technique. Dans le reste du monde, l'amplification des classes moyennes obéit au moteur de la consommation ostentatoire. "La consommation énergétique est connotée avec plus de croissance et plus de développement. Et la sobriété n'est pas bien connotée, c'est une sorte de révolution comportementale", souligne Bruno Maresca, pour qui "jusqu'à présent, on ne consommait pas de l'énergie, car c'était une abstraction organisée reposant sur des tarifs bas permettant une consommation sans limites". Ainsi les modes de vie déterminent-ils une certaine inertie structurelle, au sein de laquelle émergent des styles de vie tributaires de la structure du système.
L'action publique est-elle en mesure de transformer les modes de vie ? Réponse des sociologues : non, car le mode de vie résulte d'un système productif, voire productiviste. Changer le mode de vie ne résulte pas d'une transformation technologique. Par exemple, le développement numérique n'a pas changé les modes de vie. Il est même un facteur d'augmentation des consommations d'énergie. Alors qu'est-ce qui peut être changé ? Il faudrait "libérer l'innovation sociale dans les territoires", martèlent les sociologues. Se rapprocher des habitants, revenir à des dispositifs de proximité qui permettent de s'approprier la démarche, développer le coaching énergétique, et favoriser les initiatives de collectifs d'habitants désireux de rénover leurs îlots de quartier.
Agnès Sinaï
Article paru le 16 avril sur Actu-Environnement