Le sujet est emblématique pour tous ceux qui se battent sur cette planète pour un changement de nos modes de vie et de production, et qui réclament la fin de notre dépendance au pétrole, conventionnel ou pas.

Il faut attendre le 27 juillet pour découvrir dans Le Monde un article plus critique, révélant que le professeur de l'Université d'Austin (Texas) qui avait minimisé l'impact de l'exploitation des gaz de schiste sur l'environnement et la santé, est en fait "membre du conseil de direction et actionnaire de PXP, une société de forage spécialisée dans les gaz de roche" !

Il a fallu toute l'opiniâtreté d'une ONG environnementale pour débusquer cette vérité peu reluisante que l'administration américaine s'employait à dissimuler. De l'amiante aux organismes génétiquement modifiés, des pesticides au Mediator, nous ne sommes pas surpris de ces connivences entre scientifiques vénaux et industriels prêts à tout pour augmenter leurs profits, y compris à saccager notre planète.

Car la question est bien celle-ci : au nom de notre voracité et de notre addiction au pétrole, sommes-nous prêts à assumer devant les générations futures la destruction massive de notre environnement et tous les dégâts collatéraux qu'elle induit en termes de santé, de mode de vie, de production de gaz à effet de serre ? Quand la planète est à bout, doit-on s'obstiner à défendre une idée du "progrès" qui peut être criminelle, ou proposer un autre modèle de société, sobre, juste, solidaire, plus humain ? Que serait un "débat" sur l'exploitation des gaz de schiste, si ce n'est une occasion de plus de cautionner une logique infernale inscrivant le destin de nos sociétés dans la dépendance à l'or noir ? Comme s'il n'existait pas d'autres voies.

Après tout, quand l'humanité est passée de l'âge de pierre à l'âge de fer, ce n'est pas par manque de pierres, mais parce que son mode de vie avait évolué. La question qui se pose aujourd'hui n'est pas de savoir si nous manquons ou pas de réserves pétrolières, mais de sortir de cette dépendance qui ne cesse d'accumuler les dégâts environnementaux et humains. Savoir que notre sous-sol possède d'énormes réserves de gaz de roche ne doit donc pas nous obliger à les exploiter, quels que soient les progrès techniques.

Ce n'est pas la technique qui doit s'imposer aux sociétés humaines, mais l'homme qui doit en garder la maîtrise. A défaut, il choisit la "servitude volontaire" (La Boétie) ou se trouve condamné à la "honte prométhéenne", autre nom donné à la fuite en avant et au délire de puissance par le philosophe allemand Günther Anders. En ce sens, l'éditorial du Monde est fondé à dire qu'il s'agit d'un problème moral, philosophique et politique...

Mais les écologistes ont démontré à maintes reprises que les pétroliers, les semenciers, l'agro-industrie, les lobbies de la chimie, de la pharmacie ou du nucléaire se fichent comme d'une guigne de ces questions.

Ils les considèrent, au mieux comme secondaires, au pire comme nuisibles, et leurs moyens de pression sur les politiques sont, pour l'heure, plus efficaces que les mobilisations citoyennes. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le combat de la société civile japonaise contre le nucléaire. Jamais il n'avait pris une telle ampleur, pourtant Tepco (compagnie d'électricité japonaise gérant la centrale de Fukushima) et le gouvernement continuent à mentir et rouvrent des centrales sur des failles sismiques très actives.

Quoi qu'en pensent nos élites et de nombreux politiciens conservateurs – il n'en manque pas à gauche sur ces sujets –, le "progrès" n'est plus dans les vieux pots des "trente glorieuses" et de l'ère de l'opulence. Nous sommes à la fin d'un cycle. Il est temps de changer le logiciel et d'affirmer haut et fort que gaz de schiste et autres ressources fossiles ne seront pas les "nouvelles frontières" de notre monde en mutation.

Tribune parue dans le Monde du 07-08-2012