"On peut créer plus d’un million d’emplois paysans en Europe"
Par nicole rouaire le mardi 24 mars 2009, 09:11 - Ressources - Lien permanent
Dans une interview récente à Libération, José Bové défend une agriculture de proximité créatrice d’emplois comme solution à la faim dans le monde.
Que préconisez-vous comme solution pour nourrir la planète ?
Actuellement, 90 % de l’agriculture mondiale est consommée là où elle est
produite et 75 % de ce pourcentage dans un rayon de 75 km. Seuls 10 % de
l’agriculture mondiale changent de continent. Donc parler de la mondialisation
de l’agriculture comme d’un phénomène qui reflète la réalité, c’est faux. Mais
les règles économiques de l’Organisation mondiale du commerce imposent que les
lois pour les 10 % structurent toute la production agricole. On casse, au nom
de cette volonté de mondialiser l’agriculture, toutes les politiques agricoles
locales et on empêche les pays de Sud de se développer.
Pourtant la mondialisation est présentée comme une solution pour nourrir le
monde, contre la famine…
Il n’y a plus grand monde qui dit ça. On se rend compte qu’en 1996 au sommet
de la FAO, il y avait à peu près 830 millions de personnes qui mourraient de
faim. Aujourd’hui, quinze ans après la mise en place de l’Organisation mondiale
du commerce en 1995, on en est presque à un milliard. La réalité, c’est que 60
% des gens qui meurent de faim vivent en milieu rural. Ce sont les paysans les
premières victimes de la famine. Ça veut dire que le commerce mondial détruit
la capacité des paysans locaux à écouler leur production et à obtenir un prix
convenable pour leur production. C’est dû à la pression des Etats-Unis et de
l’Europe avec le dumping et les subventions qui font que leurs produits sont en
dessous du coût de production des paysans africains ou asiatiques. Après on
dit, vous voyez, ils n’y arrivent pas !
Vous dénoncez aussi les effets pervers de l’aide alimentaire ?
A travers l’aide alimentaire il y a des tentatives d’imposer de nouvelles
formes d’alimentation qui rendent dépendant. Par exemple, en Afrique de
l’Ouest, on trouve du pain partout alors que ce n’est pas un produit
traditionnel et que le blé n’y pousse pas. La transformation du mode
alimentaire rend les populations dépendantes, c’est une espèce de chaîne
infernale qui progresse.
Quelles sont les solutions que vous proposez ?
On affirme le droit à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit des
peuples à se nourrir avec leur propre agriculture. Donc le droit de pouvoir se
protéger, en protégeant leurs frontières contre le dumping. Le dumping est
totalement illégitime, il devrait être condamné par l’OMC.
Mais n’est-ce pas seulement une déclaration d’intention ?
Non, grâce à l’énonciation d’un tel droit universel, les associations de
paysans pourront appuyer leurs actions contre leur Etat.
A l’échelle européenne, pensez-vous vraiment que les circuits courts
peuvent avoir un avenir ?
Aujourd’hui, il y a une nécessité de relocaliser l’agriculture. On a fait
des statistiques sur tous les circuits courts comme les Amap (Associations pour
le maintien d’une agriculture paysanne), notamment sur Marseille et on s’est
rendu compte que les produits labellisés bio ou agriculture paysanne coûtent 20
% de moins que ceux de Leader Price !
Que pensez-vous la prochaine réforme de la Pac (Politique agricole commune)
?
C’est tout l’enjeu des cinq prochaines années. On doit changer la Pac en
2013. Depuis 1992 et la première transformation de la Pac, on a perdu plus de
deux millions d’emplois paysans dans l’ancienne Europe des 15. Dans l’Europe
des 27, c’est encore davantage : une ferme disparaît toutes les trois
minutes ! Cette Pac n’est satisfaisante ni pour les agriculteurs, ni pour
les consommateurs, ni pour l’environnement, puisque le seul modèle préconisé
est le modèle productiviste.
La récente décision des pays de l’Union de refuser la levée de
l’interdiction de la culture du maïs génétiquement modifié en Hongrie et en
Autriche constitue-t-elle une avancée significative ?
C’est une bonne nouvelle. Là, pour la première fois, une large majorité de
pays ont voté pour le maintien du moratoire. Le vote sur le maintien du
moratoire en France et en Grèce doit avoir lieu prochainement, j’ai donc bon
espoir qu’il soit maintenu. Actuellement, le seul argument de la Commission en
faveur des OGM, c’est le risque d’un procès des Etats-Unis à l’OMC, comme pour
le bœuf aux hormones ou le poulet chloré. La majorité de la population
européenne est opposée aux OGM, donc j’ai bon espoir qu’on arrive à les
interdire définitivement.
Est-ce dans ce but que vous vous présentez aux élections européennes
?
Oui. Aujourd’hui, on vit un moment historique. On peut, si on est fort et
nombreux notamment avec le groupe vert, être en capacité de faire bouger les
lignes dans ce parlement. C’est une nécessité pour les citoyens de l’Europe. On
peut créer plus d’un million d’emplois paysans dans les années qui viennent.
C’est un gisement extraordinaire qui va dans le sens de la conservation de la
biodiversité au niveau de l’Europe.
Recueilli par Pascale Le Garrec